Leonora Carrington : Un goût pour la liberté
Peintre et écrivain, Leonora Carrington est née en 1917 dans le Lancashire (Royaume Uni) et morte à Mexico en 2011. Son père était un riche et excentrique industriel du textile et sa mère, la fille d’un médecin de campagne irlandais. Elle fut éduquée par des gouvernantes – dont l’une était française – et des précepteurs. Leonora poursuivit ses études dans un couvent dont elle fut plusieurs fois renvoyée en raison de son insoumission et de son attitude provocatrice. Sa famille envoya alors Leonora dans une pension en Italie, où elle commença à apprendre la peinture et s’initia à l’étude des maîtres italiens. Elle entreprit même de copier le style des peintres italiens du Quattrocento, qu’elle pouvait voir au Musée des Offices à Florence. Ce séjour à Florence, puis quelques mois passés à Paris chez des amis, accrurent son goût déjà vif pour la liberté. Sa décision de devenir peintre se heurta à une vive opposition familiale, mais on l’autorisa finalement à aller à Londres, étudier la peinture à l’académie d’Amédée Ozenfant. Leonora Carrington adopta avec délectation l’esprit de révolte qu’elle avait hérité des années vingt. Le portrait qu’elle réalisa de son amie Joan Powell en 1936, un an avant sa rencontre avec le surréalisme, correspondait d’avantage à la vision d’une femme mondaine typique de la décade précédente qu’à celle de la « femme élue » d’André Breton.
Max Ernst : Rencontre avec le surréalisme
La lecture d’un exemplaire du livre Le Surréalisme d’Herbert Read, peu de temps après sa publication en 1936, et la reproduction qui s’y trouve du tableau de Max Ernst, Deux enfants sont menacés par un rossignol (1924), fut pour Leonora Carrington une révélation. L’année suivante elle rencontra Max Ernst à Londres, au cours du vernissage de son exposition à la Mayor Gallery. Ils quittèrent ensemble Londres pour Paris et, rapidement, Max Ernst se sépara de sa compagne Marie-Berthe Aurenche. Les premiers tableaux que Leonora Carrington exécuta dans la période qui suivit sa rencontre avec Ernst contiennent des thèmes et des images liées à l’enfance. Ils sont souvent aussi une satire désinvolte des mœurs et de la morale de la haute société anglaise – comme c’est le cas pour les deux tableaux de 1938 : Le Repas de Lord Candlestick et Les Chevaux de Lord Candlestick semblent dérouler une toile tissée de mystère et de fantaisie, dans un espace illusoire emprunté à Giorgio de Chirico et au premier Marx Ernst.
Les tableaux de Leonora datant de cette époque sont peuplés d’animaux magiques au centre desquels se retrouve toujours l’image du cheval blanc. On peut considérer liés l’un à l’autre les tableaux datés de 1937 et 1940 intitulés : Autoportrait (ou À l’Auberge du cheval d’aube) et Portrait de Max Ernst, montrent à l’évidence l’intérêt naissant de Leonora pour la transformation alchimique de la matière et de l’esprit. La frontière entre l’animal et l’humain, l’animé et l’inanimé, est floue ; les ombres projetées par la chaise, le personnage et le corps de la hyène se fondent dans une seule forme ; les montants sculptés de la chaise semblent parodier le corps de la jeune femme.
Dans son Portrait de Max Ernst, le peintre, habillé de chaussettes rayées et d’un manteau de fourrure de chaman, avance à grands pas dans un désert de glace. Il va délivrer le cheval blanc qui apparaît tel qui est décrit dans La Maison de la peur, écrite en 1937, le premier roman que publia Leonora était accompagné d’une préface et de collages de Max Ernst. « Assis sur son derrière, les jambes de devant raides ». Max Ernst porte une lanterne dans laquelle, à la place de la flamme, se trouve un autre cheval, l’animal magique de la transformation.
L’expérience de la folie
L’été 1939 devait être le dernier été de bonheur pour Leonora Carrington et Max Ernst. Ce dernier dans un camp de concentration et Leonora craignant l’arrivée des allemands, elle quitta Saint-Martin d’Ardèche pour Madrid avec Leonor Fini (Léonor Fini et Leonora Carrington avaient sympathisé peu de temps après l’arrivée en France de cette dernière). Leonora espérait pouvoir obtenir là-bas un visa pour Max Ernst. Le voyage tourna vite au cauchemar. Elles atteignaient Madrid après de rudes épreuves. C’est alors qui survint la crise la plus aigüe de Leonora : à l’ambassade d’Angleterre à Madrid elle menaçait d’assassiner Hitler et appelait à la libération métaphysique de l’humanité. Internée à la demande de sa famille, on lui administra de puissants médicaments destinés à provoquer de violentes convulsions. Elle fut ensuite confiée aux soins d’une infirmière qui l’accompagna à Lisbonne. Au cours d’une promenade avec celle-ci, Leonora Carrington réussi à s’échapper et se réfugia au consulat mexicain où on lui accorda asile grâce à l’intervention de Renato Leduc, un diplomate mexicain qu’elle avait rencontré à Paris par l’intermédiaire de Picasso. Quelque temps plus tard, elle épousa Leduc dans le seul but, comme cela avait été conclu entre eux, de pouvoir partir pour New York.
Dans un marché de Lisbonne, en 1941, Leonora Carrington rencontra Max Ernst, accompagné alors par Peggy Guggenheim. Sans nouvelles de lui depuis son départ de France, elle avait craint qu’il n’ait pas survécu à son internement. En fait, libéré au cours de l’hiver 1940, il était retourné à Saint-Martin pour découvrir que Leonora avait abandonné la maison et quitté le pays. Peggy Guggenheim était alors venue à son secours et avait organisé son départ pour New York en 1941. Pendant les deux mois qui suivirent cette rencontre la situation s’avéra compliquée pour tous les trois. Leonora Carrington affaiblie par sa maladie et accablée par la perte de Max Ernst, s’abandonnait à la mélancolie, tandis que Peggy Guggenheim luttait pour sauvegarder son nouvel amour. Les années passées à Saint-Martin d’Ardèche étaient définitivement révolues ; la souffrance allait inspirer l’œuvre de Leonora Carrington au cours des années suivantes, 1940 à 1944.
À l’opposé de Breton qui pouvait surmonter la réalité d’un amour contrarié en se tournant vers un monde amoureux imaginaire, Leonora Carrington laissa sa souffrance envahir sa création artistique d’une façon à peine déguisée. Elle arriva à New York à la fin de l’été 1941. Son récit intitulé L’Attente fut publié cette année-là dans la revue View. Elle nous y présente la confrontation entre deux femmes dont l’attachement pour le même homme est pour l’une domaine du passé, pour l’autre domaine du présent : « Croyez-vous vraiment que le passé meure ? ». Leonora Carrington apparaît dans beaucoup de tableaux de Max Ernst datant de cette époque, comme par exemple Napoléon dans le désert et l’Europe après la pluie.
La période mexicaine : Rencontre avec Remedios Varo
En 1941, Leonora Carrington, au terme d’une longue odyssée arrivait dans ce pays que Breton avait décrit comme le « lieu surréaliste par excellence ». En compagnie de Renato Leduc, elle s’installa dans la rue Rosa Moreno, à quelques centaines de mètres de l’appartement de Remedios Varo et de Benjamin Péret. Leonora Carrington et Remedios Varo devinrent vite le centre d’attention d’un groupe d’artistes qui, eux aussi, avaient quitté l’Europe. « La présence de Remedios à Mexico changea ma vie », raconta Leonora Carrington. L’amitié entre ces deux femmes fut telle qu’elle les conduisit à partager leurs rêves, leurs récits et leurs « recettes magiques ». Néanmoins les œuvres exécutées par ces deux artistes sont le produit de deux sensibilités totalement différentes, même si elle partagent le même conception de la peinture, considérée comme le moyen de rendre compte des voyages physiques, métaphysiques ou spirituels qu’offre la vie. Parmi les tableaux de Leonora Carrington datant de sa période mexicaine, nombreux sont ceux qui, comme Les Vieilles Filles et Night Nursery Everything (1947), utilisent la maison et les activités domestiques comme des métaphores de la conscience féminine. Dans Night Nursery Everything, la maison d’où s’enfuit une jeune fille représente le monde étouffant de la demeure familiale où Leonora avait passé son enfance. Dans Crookey Hall, peint à l’occasion de la naissance de son second fils, Leonora décrit la vie magique de l’enfance dans son propre domaine domestique.
Pendant ses premières années à Mexico, Leonora ne peignit beaucoup. Elle semblait avoir trouvé dans l’écriture le meilleur moyen d’explorer ce que lui fournissait son imagination et elle ne se mit vraiment à la peinture qu’en 1945. La pièce en un acte de Leonora Carrington Une chemise de nuit en flanelle, contient les thèmes les plus importants qu’on allait trouver dans sa peinture. Un monde « non ordinaire » lié au monde visible dans la tradition celtique, grâce à un vaste schéma cosmologique.
La maison d’en face
A Mexico, Leonora commença à peindre à la détrempe à l’œuf sur des panneaux de bois recouverts de plâtre, retrouvant là une technique médiévale. Son ami Günther Gerso raconte que, plus elle se familiarisait avec l’œuvre de peintres comme Jérôme Bosch et Bruegel, plus elle s’intéressait aux aspects techniques de la peinture. Il faut examiner attentivement ses toiles pour se rendre compte de toute l’activité de ce monde microscopique qui se déroule sur les franges du motif principal, comme des histoires dans l’histoire. Dans La Maison d’en face (1947), elle nous présente l’Autre Monde inspiré de légendes celtiques, rempli d’images de la Création et de la Résurrection consacrées aux activités de la femme. Nous retrouvons le monde de l’enfance, où nous apparaît à nouveau le cheval à bascule blanc, être de la nuit et du rêve, des personnages qui attendent et d’autres qui sont surpris dans leur passage métamorphique de la plante à l’homme. Dans une autre partie du tableau, un espace est réservé à un chaudron qui contient un brouet bouillonnant. Un petit enfant apporte une offrande à une femme assise à une table, dont l’ombre a la forme d’une tête de cheval, ce qui suggère qu’elle a eu plusieurs existences.
La place de premier plan donné au chaudron dans la mythologie celtique, où il est le lieu de la fertilité et de l’inspiration, et qui est à l’origine de la légende du Graal, fascinait depuis longtemps Leonora Carrington, tout comme la préparation des substances placées dans des vases en forme d’œuf. Elle reliait se procédés alchimiques aux opérations culinaires et à la préparation de ses tableaux, choisissant soigneusement la métaphore qui allait unir les occupations traditionnelles de la femme, qui nourrit l’espèce humaine, aux procédés de l’artiste qui opère la transformation magique des formes et des couleurs.
L’esprit créatif de la femme
Le thème du rôle de la femme dans le cycle créatif est présent dans des nombreux tableaux de Leonora Carrington des années quarante comme Jardin potager su îlot (1946) et Amor che move il Sole e l’altre Stelle (1947). Ce dernier, décrit une procession de femmes et de jeunes filles vêtues de toges, qui conduisent le chariot du firmament rempli de rayons de soleil et d’étoiles. Le chariot est tiré par un cheval dont les ailes, sortant de sa tête, ont la forme de cornes incurvées. La présence de deux animaux fantastiques qui accompagnent le chariot suggère que l’image tire une de ses sources du jeu du Tarot ; la septième carte du jeu est le Chariot, tiré par deux chevaux et monté par un roi ou un héros ; il indique le triomphe de l’intelligence humaine. Cette procession triomphale de Leonora se déroule comme un spectacle médiéval destiné à célébrer la naissance du cosmos, une impression qui est renforcée par l’usage délicat de bleus et d’ors. Dans le légendes celtiques, vers lesquelles Leonora se tourne si souvent, le dieu à cornes est le seigneur des animaux et l’image de la fécondité, une allusion difficile à ignorer dans ce contexte puisque le tableau est daté du 12 juillet 1946, c’est-à-dire deux jours avant la naissance de son premier fils.
Le Jardin potager sur îlot de 1946, nous présente au moins une figure semblable, vêtue d’une toge qui rappelle les robes de la Renaissance. Le jardin potager de Leonora Carrington, comme l’hortus conclusus de la Vierge, est entouré de murs, et ses rangées de fruits et de légumes sont soigneusement entretenues. Un personnage tenant un œuf sous son bras, semble pousser du tronc d’un arbre fruitier. L’image du jardin est un thème souvent utilisé dans la littérature alchimique pour mettre l’accent sur la germination et la reproduction.
Dans sa vie comme dans son art, Carrington fonde sa poursuite du secret et de l’hermétique sur des images de la vie quotidienne de la femme. Ce fut pendant cette période d’intense échange d’idées et d’émotions que Leonora Carrington et Remedios Varo développèrent sa vision personnelle de la femme créatrice, dont les pouvoirs magiques se manifestent dans la création artistique, où dans les activités domestiques, comme la cuisine ou l’éducation des enfants.
L’exposition de Leonora Carrington en 1948 à la galerie Pierre Matisse à New York, comprenait des tableaux qui présentaient la femme à la recherche de la lumière spirituelle. Parmi ceux-ci, il y avait le Pèlerinage à Sirius (1947) et Palatine Predella (1942), deux tableaux qui faisaient référence à la déesse égyptienne de la Lune, Isis, et à son culte. Pèlerinage à Sirius et Êtes-vous réellement Sirius ? (1953) renvoient à la constellation du Chien, Sirius, sous l’influence de laquelle Isis donna naissance à ses cinq enfants.
Les personnages féminins des tableaux de Leonora Carrington ressemblent à des sibylles, des sorcières et des prêteuses d’antiques religions ; leurs voyages sont des voyages mythiques dans des mondes magiques, qui s’achèvent comme dans les comptes de fées.