Le retour au monde classique
Dès la dernière décennie du XVIe siècle, les artistes se tournent ver le monde classique comme modèle de perfection pour sélectionner ce qui est l’idéal du beau. Au XVIIe siècle, le classicisme s’affirma en provoquant une polémique aussi bien avec le maniérisme qu’avec le naturalisme caravagesque, et trouva des formulations très précises, en particulier avec Bellori et dans le milieu de l’Académie française. Pour Giovan Pietro Bellori dans ses Vies des peintres, sculpteurs et architectes (1672), la vérité de l’art dépend de l’idée comprise comme produit culturel et fondée sur la sélection des aspects naturels. La perfection n’est plus présentée, comme pour Vasari, par l’art de Michel-Ange, mais par l’art plus serein de Raphaël, chez qui la grandeur de l’Antiquité reprend vie. En peinture, l’expérience du classicisme se déroule des Carrache à Guido Reni, au Dominiquin, au Guerchin de la dernière manière et jusqu’à Carlo Maratta, mais l’artiste le plus représentatif fut peu être le Français Poussin, chez qui la vision lyrique s’accompagna de l’exigence d’une rationalité rigoureuse.
La délicatesse de l’Albane, un Bolonais formé à l’école des Carrache, se perçoit dans sa traduction idyllique des sujets classiques ou mythologiques. Dans le quatre « tondi » représentant l’histoire de Diane et de Vénus peints pour le cardinal Borghese, montre son talent pour les délicates inventions poétiques où, dans un paysage idyllique, amours et nymphes au corps de perle se divertissent à l’ombre des bosquets. Ce type de sujet devient, dans les années 1630-1650, la spécialité de l’Albane. Par la grâce naturelle de ces peintures, par l’exemple de ses œuvres, par son enseignement comme pour ses positions théoriques, l’Albane est un élément essentiel dans la diffusion de l’idéal classique.
Nicolas Poussin, peinture et poésie
Nicolas Poussin (Les Andelys 1584 – Rome 1665) se serait forme à Rouen auprès de Quentin Varin, puis à Paris où il put approfondir sa connaissance des maniéristes de l’école de Fontainebleau. Homme d’une grande érudition, sa vocation artistique semble liée à une profonde nostalgie du monde antique et à l’étude de la peinture italienne, observée dans les collections royales. Après un premier séjour à Venise, Poussin arrive à Rome en 1624. Dans le milieu artistique, romain Poussin surmonta ses difficultés initiales grâce à l’appui de Casiano del Pozo et réussit à s’imposer comme un artiste de premier plan. Il manifesta un singulier penchant pour la mode néo-vénitienne qui touchait alors des artistes d’origine diverses comme pour exemple Pierre de Cortone et que favorisait la présence des Bacchanales de Titien passées de la cour des Este au cardinal-légat Aldobrandini. Dans ses première œuvres italiennes Poussin subit l’influence de Titien, mais une véritable rigueur du dessin le distingue déjà de la sensibilité d’un Pierre de Cortone, qui s’oriente avec plus de liberté vers des effets lumineux. Du début des années 1630 datent : le Triomphe de Flore, l’Inspiration du poète la Bacchanale à la joueuse de luth, la Bacchanale devant une statue de Pan, Diane et Endymion.
Les arbres qui ferment cette composition s’inspirent de la « Bacchanale » de Titien. Dans ce cas, l’ensemble est structuré de manière harmonieuse : le tronc incliné constitue une ligne diagonale, coïncidant avec le mouvement du groupe vers la nymphe allongée à terre ; Dans le lointain apparaît un délicat paysage sur un fond de montagnes. Les couleurs s’estompent à l’horizon, dans le ciel illuminé par l’aurore dorée.
Le rythme harmonieux de la danse, né de l’entrelacement des corps et des bras, est souligné par le contrepoint entre les jambes levées et celles posées au sol. Dans cette peinture, Poussin réalise une synthèse entre la sculpture classique, la grâce de Raphaël et le colorisme vénitien dans un spectacle de beauté idéale. La couleur, est une variété de jaunes froids, de bleus changeants et de jaunes argentés, révèle le goût pour l’abstraction et contribue à l’ordre serein et monumental de l’œuvre.
Dans les années 1627-1631, Poussin multiplie des « poésies » souvent inspirés d’Ovidé, vibrants morceaux de peinture en hommage à Titien, avec leurs formes rutilantes et leurs couleurs saturées comme dans cette peinture. Poussin situe au premier plan, à gauche, dans un écrin rouge et bleu, le couple d’Assis et Galatée au milieu de tendres émois d’amours adolescents, à droite une bacchanale marine, avec l’ivresse des corps blancs et cuivrés des tritons et des naïades saisis au plein de leurs ébats ; au fond, dans la lumière du crépuscule, se profile la sombre silhouette de Polyphème, le cyclope amoureux de Galatée qui chante sur une flûte son amour et sa peine, et qui vient redonner unité à la composition et à la fable.
Au centre de la composition Flore, la déesse des fleurs, danse dans son jardin, entourée des figures des héros et des demi-dieux grecs qui, à leur mort, ont été métamorphosés en fleurs. À gauche, Ajax se tue en se jetant sur son épée parce qu’il n’a pas obtenu les armes d’Achille. De son sang ainsi répandu naît la jacinthe. La jeune fille qui lève les yeux au ciel vers le char d’Apollon est Clytia, amante jalouse du dieu du soleil métamorphosée en tournesol pour pouvoir toujours le suivre du regard.
Le jeune homme qui regarde son reflet sur l’eau d’un grand vase est Narcisse, épris de sa propre image est mort consumé d’amour. La jeune fille qui tient le grand vase est la nymphe Écho, éprise de Narcisse mais repoussée par le jeune homme ; son amour non payé de retour la consumera au point qu’il ne restera d’elle que sa voix. À l’extrême droite, apparaît un jeune homme armé d’une lance et accompagné de chiens, est Adonis : il sera mortellement blessé par un sanglier et de son sang naîtra l’anémone. À ses côtés, Hyacinthe, jeune garçon aimé d’Apollon, qui le tue accidentellement de son disque lors d’une compétition et le métamorphose en la fleur qui porte son nom. Crocos et la jeune Smilax, épris l’un pour l’autre d’un amour malheureux, seront métamorphosés respectivement en safran (plante appelée couramment crocus) et en la fleur qui porte son nom « Smilax sapera ».
La poésie lyrique des couleurs de Titien et l’idéal classique de Raphaël (exemple, les dernières fresques de la Farnesina) sont les deux pôles entre lesquels grandit l’invention artistique de Poussin, dans une disponibilité stimulée par les sujets eux-mêmes. Ainsi, l’ombre illustre du répertoire gréco-romain se fait plus directement sentir dans les sujets historiques et religieux. Elle se reflète dans un équilibre de composition simple et solennel, capable de discipliner l’éloquence dramatique dans une mise en scène de la perspective et de la forme digne des tragédies de Racine : œuvres emblématiques comme l’Enlèvement des Sabines de 1637 et la première série des Sacrements réalisées pour Cassiano del Pozo entre 1636 et 1640. Dans cette approche du monde classique, Poussin est tout à fait un homme de son époque : l’excessive tension morale qui accompagne la contemplation des civilisations du passé sous l’enseigne de l’ordre, de la clarté et de la simplicité, qui sont également les fondements de la science et de la philosophie du nouveau siècle.
D’après la légende, Romulus, le fondateur de Rome, aurait enlevé les filles d’un peuple voisin, les Sabins, parce qu’il avait trop peu de femmes dans la ville nouvelle. À cette fin, il recourut à une ruse : il organisa une fête en l’honneur de Neptune et y invita les peuples limitrophes. D’après l’historien romain Tite-Live, les Sabines ne tardèrent pas à se réconcilier avec leurs amoureux latins. Romulus, lui-même épouse Hersilia, une des femmes enlevées. La scène, d’une rare violence, contraste avec l’attitude paisible de Romulus, témoin de l’événement qu’il a lui-même projeté. Au loin, on aperçoit le Capitole, le centre futur de la puissance romaine.
L’Arcadie est une région du Péloponnèse qui symbolise dans la littérature un paradis idyllique. Il y fait bon vivre, la paix règne, les bergers font paître leurs brebis. Tout un décor pour des aventures amoureuses, dans une vie de rêve au sein d’une nature luxuriante et accueillante, d’une volupté innocente. La signification de l’inscription sur la tombe s’éclaire : même dans l’Arcadie enchanteresse, la mort est présente. Le titre du tableau ferait référence à la personne ensevelie dans la tombe : « Moi (ego) aussi je fus en Arcadie ».
Dans cette œuvre, exemple sublime de la perfection de l’art de Poussin, il révèle l’influence de Raphaël. La parfaite pyramide que forment les figures est légèrement décentrée vers la gauche, mais l’équilibre est rétabli par les offrandes disposées plus à droite, sur la marche au premier plan ; le calme statique de la composition est régi par l’architecture, avec la tête du Christ qui se découpe sous un pur carré de ciel bleu, et par l’harmonie des trois couleurs primaires. La Vierge, comme l’escalier, sont des figures célestes qui permettent de passer de l’Ancien au Nouveau Testament, du monde régi par la Loi à l’univers gouverné par la Grâce.
L’intérêt de Poussin pour le paysage surgit au cours de ses promenades dans la campagne romaine, redécouvrant dans la vérité du milieu naturel ces lois d’harmonie universelle qui lient l’histoire de l’homme à celle de la nature. Il en naît une synthèse sublime de la nature et de l’histoire, de la nature et du mythe. Elle est célébrée avec une clarté absolue par la perspective qui condense de manière rigoureuse les divers éléments, narratifs ou non, constitutifs du tableau jusqu’à donner le sens de l’infini dans l’immobilité en suspens. Le Saint Matthieu et l’ange, le Paysage avec les funérailles de Phocion, les Quatre Saisons, qui peuvent être considérés comme son chef-d’œuvre.
Ce tableau appartient à la série des Quatre Saisons, dernière œuvre de Poussin, peinte pour le duc de Richelieu. Dans le lointain, sous une petite éclaircie dans le ciel du déluge, on voit la forme classique de l’Arche de Noé qui flotte dans l’eau qui est arrivée jusqu’aux toits des maisons. C’est la seule manière de se sauver et représente la continuité de la vie au-delà de la mort. Le paysage où se situe l’épisode biblique, peint avec les couleurs froides de l’hiver, exprime la foi en la nature et en sa force, supérieure à celle de l’homme.
Poussin, même s’il a vécu en Italie toute sa vie, à par un bref séjour à Paris où il est appelé par le roi pour décorer la grande galerie du Louvre (1640-1642), même s’il eut besoin, pour son inspiration, de Rome et de l’antique, il reste l’illustration du génie artistique français. C’est le charme des œuvres de Fontainebleau qui détermina sa veine poétique, c’est à Paris qu’il eut ses collectionneurs les plus dévoués, c’est à Paris que les peintres commentent ses tableaux (discours de Le Brun à l’Académie de Peinture) et développent ses recherches.
Guido Reni, la grâce et l’idéal
À la mort d’Annibal Carrache, Guido Reni (Bologne 1575 – 1642) est son héritier naturel, le chef de l’école du classicisme émilien à Rome. Issu de l’école maniériste, Reni entre en contact à l’âge de vingt ans, avec l’Académie des Carrache, où il put se consacrer à l’étude de l’antique et de Raphaël. Imprégné par l’idéal maniériste de la grâce, il trouve très rapidement un style original, qui associa harmonieusement élégance raffinée des formes et expression naturalistes dans des sujets mythologiques, comme dans Atalante et Hippomène. Cette manière lui vaut à Reni grandes commandes de fresques à Rome (chapelle du palais pontifical du Quirinal, 1610 ; au casino Borghèse, 1614 ; le Nessus et Déjanire, dans le cycle des travaux d’Hercule pour le duc de Mantoue, 1617-1621). Le destin de Reni était désormais marqué par la subtile pénétration du monde antique et la Renaissance, reproposé comme la nostalgie d’une beauté à la fois solennelle et naturalisée. Le classicisme de Reni, installé définitivement à Bologne (si nous excluons les séjours à Naples en 1622 et à Rome en 1627), s’exerça à partir de ce moment. Il s’exprima dans une gamme étendue de sentiments et de nouveaux intérêts, avec une grande habilité picturale comme constante. Très estimé des lettrés, comme Giambattista Marino, qui dans son poème épique la Strage degl’innocenti (Massacre des Innocents) célébrait le tableau du même nom de Reni.
Inspiré des « Métamorphoses » du poète romain Ovide, le tableau représente la mythique course entre la rapide Atalante et l’astucieux Hippomène. Imbattable et refusant de se marier, Atalante défiait ses prétendants et promettait d’épouser celui qui la surpasserait. La belle chasseresse interrompt sa course et s’efforce de ramasser les pommes d’or laissées par Hippomène. Son envie irrésistible de ces fruits lui fait perdre l’épreuve et elle devra épouser le jeune homme.
Le splendide croisement des deux corps nus (on croirait assister à un ballet classique) met en évidence une structure très étudiée de diagonales entrecroisées d’un extraordinaire raffinement et poésie. Le mouvement d’Hippomène est inversé par rapport à celui d’Atalante. Ce dynamisme, qui est renforcé par le petit saut gracieux sur une diagonale précise, est dans l’esprit du classicisme. Reni développe une idée de beauté sensuelle et de perfection classique en se servant des techniques coloristes et illusionnistes qui met au point Annibal Carrache.
La toile s’inclut dans une série idéale de peintures qui racontent l’histoire classique à travers les gestes de ses héroïnes. Hélène, l’actrice principale de la composition, est le personnage le plus lumineux et donne, avec une distinction naturelle, le rythme à tout le groupe. Paris, le geste maussade et hautain, souligné par la position affectée de la main sur sa hanche, contrôle la situation et accompagne délicatement Hélène. Le seul personnage qui fait soupçonner un avenir plus sombre est le soldat qui semble interpeller le groupe à avancer. Comme au théâtre, où le narrateur se trouve sur la scène mais dialogue avec le public, Cupidon se tourne vers le spectateur signalant la scène festive d’un air amusé, même si les conséquences seront tragiques.
La cruelle tension du plan médian est sublimée par la résignation dans le triangle des femmes, au premier plan, qui contemplent les angelots distribuant les palmes du martyre.
Le Dominiquin
Domenico Zampieri, dit le Dominiquin (Bologne 1581 – Naples 1641), fit son apprentissage en Bologne avec Calvaert et plus tard avec Ludovic Carrache, il s’installa ensuite à Rome, où il fut accueilli dans le cercle d’Annibal Carrache avec qui il collabora à la galerie Farnèse, s’orientant, sur l’exemple de ce dernier, vers un classicisme caractérisé par la précision du dessin et par un rare équilibre dans la composition. L’époque romaine lui donna la possibilité de continuer sa formation en étudiant les grands artistes comme Raphaël, qui se traduit dans les fresques réalisées par le Dominiquin à l’abbaye de Grottaferrata, dans la distribution harmonieuse des figures sur la base d’une organisation claire et mesurée. L’idéal classique n’empêcha pas le Dominiquin d’avoir un regard direct sur la réalité, comme il apparaît dans les Scènes de la vie de sainte Cécile (1616, Rome Saint-Louis-des-Francais) tout en restant dans le cadre d’une métrique rigoureusement classique. Les moments culminants de sa maturité furent la très classique Chasse de Diane et la Communion de saint Jérôme, tableaux d’inspiration différente mais proches par les très haut niveau d’élaboration formelle et par le soin apporté à l’exécution. Dans ses paysages (Le Gué, 1603-1605, Paysage avec Hercule et Cacus, 1621 ), le sentiment de la nature se diffuse dans des vastes décors d’une beauté idéalisée. L’heureux parcours romain du Dominiquin touché à sa fin : il est dépassé par les formes baroques exubérantes que Giovanni Lanfranco présente dans l’église Saint-André. En 1630, il quitte Rome et rejoint Naples, où il décore la chapelle San Genaro dans le duomo de la ville.
Dans cette composition, les nymphes se situent autour d’une ellipse dans laquelle s’élève la figure de Diane avec les bras levés, encourageant ses suivantes. Le Dominiquin expérimente ici avec la modulation des couleurs dans le rendu du paysage au loin, à travers de superpositions de subtils glacis qui démontrent l’intérêt pour la théorie de la perspective de Léonard. La perfection et la limpidité des contours des personnages prédomine sur la couleur. La scène s’inspire de l’Énéide V de Virgile, où il décrit une compétition à l’arc dans laquelle les guerrières doivent viser trois cibles différentes : un arbre, un oiseau, un ruban. La métaphore est celle de la justesse des arguments qui atteignent le cible.
Le tableau, commandé par le cardinal Aldobrandini, est arrivé aux collections de Scipione Borghese qui, par des moyens douteux (d’abord avec des menaces et plus tard avec l’emprisonnement du malheureux peintre), il réussit à avoir le tableau qu’il considérait comme un chef d’œuvre. La Chasse de Diane se présente comme une synthèse des valeurs anciennes et modernes ; les Bacchanales de Titien sont ici reformulées dans une harmonie raphaélesque, ornées avec la grâce du Corrège, et l’élégance du Parmesan.
Des superbes modulations chromatiques caractérisent cette Sibylle du Dominiquin, qui était lui-même un expert en musique. Le personnage est représenté avec une viole de gambe et un livre de musique, comme les sibylles de l’Antiquité qui chantaient leurs prophéties accompagnées de ses instruments musicaux.
Peinte pour Ferdinando Gonzaga duc de Mantoue, cette toile illustre le passage de La Jérusalem délivrée, célèbre poème du Tasse, où est décrit le jardin de la magicienne Armide : entre les arbres volettent d’innombrables oiseaux au chant mélodieux et de toutes espèces, en particulier un perroquet, dont « la langue distingue si nettement les sons qu’elle imite notre voix » (XVI, 13). Armide est le magicienne séductrice qui, séduite à son tour, s’éprend de Renaud et use de charmes pour le réunir auprès d’elle dans les îles appelées Fortunées.
Le Guerchin
Giovan Francesco Barbieri, dit le Guerchin (Cento, Ferrare 1591 – Bologne 1666), était un autodidacte formé dans l’admiration pour Ludovic Carrache. Il peignait pour sa petite cité natale des paysages et des scènes champêtres peintes à fresque dans des palais privés. À travers Dosso Dossi et Scarsellino, il chercha, avant même de se rendre à Venise (1616) la leçon chromatique de Titien, qui constitue la véritable base de sa peinture par touches, avec de grandes tâches de couleur liquides et lumineuses. La rencontre à Bologne avec les Carrache, surtout avec Ludovic, l’ouvre à la peinture baroque. Fut l’événement fondamental qui ouvrit l’horizon du Guerchin à une culture picturale contemporaine plus à jour, sans effacer pour autant ce substrat de vérité et de naturel qui reste à la base de son inspiration la plus ingénue. Appelé à Rome en 1621, alors que le nouveau pape est le cardinal Alessandro Ludovisi (Grégoire XV), il consacre deux ans à la décoration du Casino Ludovisi, proposant une peinture moderne au discours narratif illusionniste, où la couleur jaillit en une exaltation de lumière très réussie.
En contact avec les nouveaux cercles culturels, le Guerchin se lance dans le grand « théâtre » de la Rome papale, la Rome « baroque » de Bernini, de Pietro da Cortona, où au-delà des architectures en trompe-l’œil, s’ouvrent des espaces infinis, un horizon plus vaste qui comporte une nouvelle grandeur. La fresque du plafond de la Villa Ludovisi s’insère dans une architecture osée avec un puissant effet scénographique, souligné par des forts contrastes d’ombre et lumière dans un paysage trompeur et concret à la fois, qui reflète la vision fantastique et à la fois naturelle propre du baroque.
À Rome, le Guerchin peignit l’Enterrement de sainte Pétronille pour un autel : œuvre fondamentale dans laquelle, à côté du naturalisme presque caravagesque de certaines figures, affleure une nouvelle tendance idéalisante. De retour dans sa patrie, il se replia petit à petit dans un calme classicisme exagérément marqué de dévotion, choisissant des intonations modelées et affinées avec toujours plus de douceur, certainement sous l’influence de la poétique de Guido Reni, à la mort de qui (1624) il hérita à Bologne du rôle de chef de file.
Ce retable fut commandé par Grégoire XV pour la basilique Saint-Pierre. Le Guerchin réussit la synthèse entre le classicisme et le naturalisme mûri à Rome, à la lumière de la connaissance des Carrache. La scène cherche à impliquer le spectateur, en reportant le sentiment sur la toile : la souffrance acceptée de la femme, les précautions prises par les deux hommes pour faire descendre le corps, la dévotion des enfants.
Claude Lorrain et l’art du paysage
Il s’agit de l’un des plus grands interprètes du paysage. Claude Lorrain (Nancy 1600 – Rome 1682) arriva à Rome très jeune, vers 1610-1620, et travailla dans l’atelier d’Agostino Tassi. À l’exception d’un séjour à Naples aux côtés de Claude Deruet, Lorrain vécut à Rome toute sa vie, en contact étroit avec le cercle des Nordiques dans la zone de Santa Maria del Popolo. Ce rapport fut déterminant, parce qu’il incita Lorrain à une observation minutieuse des choses, à une analyse de la réalité qui constitua un pôle essentiel de sa recherche artistique. Le classicisme des Bolonais (Annibal Carrache, le Dominiquin, etc) fut tout aussi important. Leur processus d’idéalisation du paysage lui permit, en parallèle avec Poussin et Dughet, d’élaborer et de choisir ensuite en atelier les notes et les dessins pris sur le vif, les organisant selon une vision idéale de la nature qui constitue une des plus fascinantes directions de recherche de la peinture du XVIIe siècle. Les fragments d’architecture classique, les grands arbres qui se détachent sur le ciel, les hauteurs dans le lointain, les marines silencieuses dans un paysage idéalisé peuplé de petites silhouettes, ce sont de splendides approfondissements lyriques de quelques motifs thématiques qui reviennent, apparemment insignifiants, mais en réalité capables de suggérer des atmosphères toujours différentes, en harmonie avec le caractère de la scène.