L’école de Rimini
La culture toscane et l’art de Giotto pénètrent d’abord dans l’Italie septentrionale par l’intermédiaire des peintres de Rimini. Parmi ceux-ci on compte quelques grands artistes, et d’autres de moindre importance, mais tous naissent d’un même terrain culturel, travaillent dans une même atmosphère artistique et créent ainsi une nouvelle école, une expression picturale nettement originale. Le plus important est le peintre qui exécuta les fresques de la chapelle du Campanile à l’église de Saint-Augustin à Rimini. Ces œuvres permettent de le considérer comme l’un des meilleurs élèves de Giotto. N’oublions pas que le maître lui-même vint travailler à Rimini, mais il semble que ce soient ses peintures antérieures, le premier cycle d’Assise en particulier, qui aient inspiré son disciple à Rimini. Dans la même église, un autre grand peintre, qui paraît s’inspirer des leçons de Pietro Cavallini, a décoré le fond de l’abside avec les deux scènes du Christ en trône entouré des deux saints Jean et de la Vierge en gloire et l’arc triomphal avec celle du Jugement dernier, dont les fragments sont conservés aujourd’hui dans la Salle de l’Arengo. L’église Saint-Augustin peut être considérée comme le temple de la peinture de Rimini ; elle comporte en effet un autre cycle de fresques représentant des Scènes de la vie de saint Jean l’Évangéliste. Le récit, d’une remarquable richesse, marque un intérêt nouveau pour les notations naturalistes et pour certains accents humains. L’immense production qui représente cette école picturale avec toutes ses variations comprend aussi les peintres : l’enlumineur Neri da Rimini, Pietro da Rimini, auteur du Crucifix d’Urbania, de très belles fresques à l’église Santa Chiara à Ravenne, et de la Déposition au Louvre. Giovanni da Rimini, dont on peut lire la signature sur le Crucifix de Mercatello (1345), est un grand peintre qui se relie à la tradition dérivée de Giotto dans son aspect le plus majestueux et le plus classique. Francesco da Rimini se rattache plus étroitement à l’œuvre de Giotto et travaille à Bologne.
Cette œuvre n’a pas l’imposante mesure de Giotto ni le sens du rythme et de l’espace des peintres siennois, mais elle dénote une fantaisie dans la composition et dans les détails qui l’éloigne de l’art toscan : leur auteur est peut-être un peintre émilien qui se rapproche des Bolonais et pressent leurs trouvailles formelles si vivantes et pleines d’esprit. Il ne délaisse nullement le grand exemple classique des maîtres giottesques qui, quelques années auparavant, décorèrent avant lui la même église. Ce peintre aussi montre de remarquables qualités de coloriste. Ses fresques nous enchantent en effet par leur joyeuse harmonie de verts pâles, de roses, de violets et de bleus. Même lorsque le récit se fait plus vif dans l’accentuation des caractères ou des costumes et qu’il traite un sujet dramatique, comme dans cette scène, il ne perd jamais son ton d’affabulation légèrement ému.
Ce retable marque l’impact de Giotto sur une école naissante qui deviendra l’une des plus vivaces du Trecento. La force, la netteté monumentale de cette Vierge et des huit saints qui l’entourent en panneaux superposés font écho au passage du Florentin qui laisse en particulier dans la cité un Crucifix célèbre (église Saint-François). Mais le plus original tient sans doute au sens chromatique qu’affirme le peintre : le fond d’or se module dans le décor du « drap d’honneur » tandis que les vêtements, permettent une délicatesse de nuances sur lesquelles éclatent les rouges et les bleus. Ce colorisme exceptionnel se comprend à partir de la tradition vénéto-byzantine ; c’est l’un des traits particuliers d’une école locale qui contribue à former, en Italie du Nord, une culture figurative spécifiquement coloriste.
Cet artiste signa et data en 1309 sa seule œuvre certaine, un Christ en Croix (Saint-François, à Mercatello), qui représente le premier reflet dans la région de Rimini du Crucifix de Giotto placé dans le temple de Malatesta. Plusieurs petits panneaux semblent dater d’une phase antérieure (diptyque représentant la Légende du Christ et de saint Jean dont il fait partie ce panneau). En revanche, on situe ses œuvres principales entre la première et la seconde décennie du XIVe siècle (fresques de la Vie de Marie, Rimini, Saint-Augustin). Il compta parmi les premiers disciples de Giotto, dont il interpréta la leçon avec un sens délicat du chromatisme et du clair-obscur, s’affirmant ainsi comme un initiateur des développements futurs de l’école de Rimini.
Pietro da Rimini
La reconstitution de la personnalité de Pietro da Rimini (documenté entre 1300 et 1350), qui figure parmi les grands de l’école de Rimini, a été l’objet d’interprétations controversées. Les études les plus récentes suggèrent de dater de 1320 le Crucifix de l’église d’Urbania, sa seule œuvre certaine, et situent sa personnalité dans le contexte de l’art du XIVe siècle. Avec une grande originalité poétique, il transforme des éléments assurément issus de Giotto, tantôt en puissance pathétique et expressivité, tantôt un naturalisme tendre. Il anticipe ainsi les Bolonais, comme le démontrent les fresques de Sainte-Claire à Ravenne et, parmi ses tableaux sur bois, le diptyque de la Kunsthalle de Hambourg.
La monumentalité et la veine dramatique que l’on perçoit dans ce petit tableau, dû au maître le plus remarquable de l’école de Rimini, peuvent s’expliquer par l’influence de Giotto, qui séjourna dans cette cité peu après 1300, et par celle du siennois Pietro Lorenzetti.
Cette scène qui faisait probablement partie d’un groupe de panneaux consacrés à la vie du Christ, rassemble divers épisodes de son enfance dans une même configuration spatiale, donnant à la peinture un grand intérêt narratif. Représente la Nativité traitée de façon traditionnelle, la Vierge couchée et saint Joseph à un niveau plus bas ; l’artiste a également inclus les bergers à l’arrière-plan, deux femmes donnant son bain au nouveau-né et l’adoration de Mages.
Giovanni Baronzio (documenté entre 1345 et 1362). À cet artiste, dont il ne subsiste qu’une seule œuvre datée et signée (polyptyque avec la Vierge, saints et légendes de la vie du Christ, 1345, Urbino, Galerie Nationale des Marches) on attribuait autrefois presque toute la production connue de l’école de Rimini. Mais des études critiques plus récentes ont non seulement réduit le catalogue de Baronzio en faveur d’autres artistes – surtout son homonyme Giovanni da Rimini avec lequel il avait été précédemment identifié -, mais l’ont encore replacé dans la phase finale de l’école de Rimini. Parmi les quelques œuvres qu’on lui attribue toujours, le polyptyque de l’église de Saint-François à Mercatello.
Autrefois ce panneau, ainsi que deux autres panneaux avec des scènes de la vie de sainte Colombe, avaient été attribués à un peintre anonyme appelé le Maître de sainte Colombe.
Le courant de l’école de Rimini contraste vivement dans son ensemble avec une nouvelle tendance, qui n’est encore qu’à ses débuts alors que l’art de Rimini a déjà atteint sa pleine maturité, et qui prendra son essor dans un autre grand centre émilien : Bologne.
L’école de Bologne
Dans le cadre de l’art italien, les manifestations bolonaises apparaissent comme un fait très nouveau et éminemment original. On ne peut pas dire, comme pour Rimini, que c’est une ramification de l’art toscan ; les racines culturelles et spirituelles du langage employé sont en effet tout autres ; l’invention créatrice prend une direction nettement différente, et entre imagination et culture, sentiment et réflexion, s’établit un nouveau rapport, d’ailleurs peut-être plus instable. Dans le milieu toscan, qui se rattache par tant de côtés à la tradition classique, la fantaisie subit toujours le contrôle d’une profonde méditation intellectuelle. Celle-ci reprend et coordonne les éléments, créant une forme d’expression originale qui est d’autant plus riche et intense qu’elle est chargée d’un passé historique. Les peintres de Bologne au contraire s’écartent de la tradition classique et même de toute tradition établie. Ils travaillent dans un centre qui, à cause du célèbre Studio, était en contact avec tous les pays d’Europe. Ils étaient ainsi exposés aux influences les plus diverses sans avoir une base culturelle aussi homogène et d’un niveau aussi élevé que celle des peintres toscans. De là leur moins grande rigueur de style, ouvert à toutes sortes de données extérieures. Les peintres bolonais ne connaissent pas ou n’acceptent pas la sévérité intellectuelle des Toscans, et ils s’abandonnent avec bonheur à l’inspiration du moment. Les grands artistes comme Vitale ou Jacopino dans ses meilleures œuvres, savent retrouver un ordre dans leur fantaisie, une structure intérieure qui répond parfaitement aux inventions de l’imagination. Cette nouvelle construction confère à certains termes de la tradition toscane une tout autre portée que celle qui était primitivement la leur ou même une valeur opposée. Ce changement ou cette opposition, qui ont souvent surpris, donnent aux œuvres bolonaises leur teneur poétique particulière, le timbre original de leur expression. Évasion ou rupture créent de nouvelles possibilités picturales et ouvrent de nouveaux horizons. Le langage de Vitale da Bologna et des Bolonais en général se répand en Italie septentrionale, apportant une vision bien définie. Dès ses premières œuvres, Vitale s’ouvre aux nouvelles manifestations d’au-delà des Alpes, parce qu’elles conviennent mieux à son imagination mobile. Les enluminures gothiques françaises parviennent en quantité à Bologne au cours de cette époque de ferventes études que centralise sa célèbre Université.
L’auteur de cette enluminure, peut-être un certain Maestro Pietro, se distingue par sa sensibilité aux innovations de Giotto. L’importance des études, en perpétuelle expansion, eut pour conséquence que les « scriptoria » urbains, devaient répondre à des demandes très diverses, parmi lesquelles les registres des corporations. Les enlumineurs de l’école bolonaise eurent une très grande importance et leurs codex se répandirent dans toute l’Europe.
Vitale da Bologna
Vitale degli Equi, dit Vitale da Bologna (documenté de 1330 à 1355), on ne possède que peu d’informations certaines sur ce personnage qui figure parmi les plus grands artistes italiens du XIVe siècle. Chef d’école de la peinture bolonaise, Vitale da Bologna résolut en une synthèse personnelle les innombrables influences qui découlaient de la très grande variété culturelle de sa cité. Il se forma au milieu du gothique bolonais, comme en témoigne surtout la fresque représentant la Cène, réalisée pour le couvent Saint-François en 1340 (aujourd’hui détachée et fragmentaire, Bologne, Pinacoteca Nazionale). Le Saint Georges et le dragon remonte probablement aux débuts de l’activité de l’artiste. Vitale oscilla entre l’influence gothique et celle de Giotto (fresques illustrant la Légende de saint Nicolas, 1348-49, Dôme de Udine), à la recherche d’un réalisme dépassant l’aspect décoratif originel, par ailleurs toujours présent, bien que de manière plus aristocratique, tant dans les fresques de l’église bolonaise de Santa Maria dei Servi et de l’église abbatiale de Pomposa (1351), que dans le polyptyque représentant le Couronnement de la Vierge (1353, Bologne, église Saint-Sauveur), ce dernier relevant déjà du gothique international. Les plus belles peintures de Vitale, celles où il révèle son plus grand lyrisme et sa plus libre fantaisie, correspondent à une accentuation du style gothique et annoncent ouvertement les motifs tardifs du courant international qui s’épanouira à la fin du siècle et au début du XVe. Les fresques pour l’église Sant’ Apollonia de Mezzaratta (1345) illustrent un de ces moments. On peut rapprocher de ces fresques, par leur style et leur poésie, quelques petits retables qui se trouvent aujourd’hui à la Pinacothèque de Bologne, ( Vie de saint Antoine, vers 1340). Autour de Vitale, dont l’art se rapproche de la culture gothique, en l’intégrant dans un naturalisme original et léger, travaillait tout un atelier qui était employé dans des entreprises de longue haleine. Vitale eut de nombreux disciples dans le Frioul, au point que l’on suppose qu’une partie de son atelier alla s’établir à Udine. Dans sa dernière période, Vitale peignit les Vies de la Vierge et de Marie-Madeleine à Santa Marie dei Servi, des fresques aux couleurs précieuses, embellies de matériaux qui semblent des bijoux, et aux carnations d’une rare beauté.
Dans cette œuvre, la fantaisie de l’artiste est exaltée par l’or, le bleu émaillé du fond et la laque rouge du manteau du saint. L’action se déroule dans un paysage dépouillé, à peine esquissé, qui émerge du fond bleu. Dans cet espace irréel, se trouve notamment la princesse, qui observe la scène de loin. La ligne tourbillonnante atteint dans ce tableau une tension désormais clairement expressionniste ; ce même résultat est également atteint grâce au renoncement à la couleur dense et féerique de la peinture gothique, remplacée par des zones très contrastées, créant des effets de vérité. Sur le corps du cheval, allusion à la famille De’ Cavalli, figure le monogramme du nom de l’artiste, inscrit également sur le bandeau décoratif du cycle de Santa Maria dei Servi. Saint Georges, dans un mouvement impétueux, s’apprête à transpercer le dragon, tandis que le cheval se cabre, à cause du mouvement du cavalier et du contact avec le dragon.
Cette composition très serrée est remplie de détails anecdotiques, comme dans les uniformes des soldats où l’artiste se complaît dans les éléments décoratifs de l’habillement. Vitale recherche également à rassembler tous les éléments composant l’épisode de la Crucifixion : la Vierge et les trois Maries ; Madeleine à genoux aux pieds de la croix ; au premier plan, les soldats se partagent les vêtements du Christ et tirent au sort sa tunique ; en haut à droite, un soldat tient une éponge imbibée de vinaigre et la présente à Jésus au bout d’un roseau ; le bon larron à droite, dont l’âme est emportée par un ange et le mauvais larron, à gauche, dont l’âme est emportée par le diable. Dans la partie supérieure, cependant, la composition est moins compacte afin de souligner la figure du Christ, créant une profondeur spatiale par le positionnement des deux voleurs en raccourci et sur un niveau plus bas.
Vitale ne délaisse jamais certains éléments de l’art toscan, qui reste le centre véritable vers lequel convergent les modulations de la peinture italienne de cette époque. Mais l’apport du gothique étranger l’amène à s’écarter de la tradition toscane. Les fresques de Mezzaratta (aujourd’hui à la Pinacothèque de Bologne) se situent probablement autour de l’année 1345, donc au milieu même de l’activité de Vitale, qui s’étend entre 1330 et 1360. La Nativité est parmi les plus belles inventions poétiques du siècle. L’aspect irrationnel des données spatiales, purement imaginaires, cette indication fictive de l’espace, mais qui suit étroitement le récit, l’intensification de l’expression des gestes, sont autant d’éléments qui montrent la cohérence de cette vision poétique.
Tout autour de la crèche, des animaux et de la Vierge, les anges tournent dans une danse effrénée et joyeuse. Ils se situent dans l’espace avec une liberté de composition dont le rythme mouvementé semble trouver son apaisement dans la fraîcheur et la clarté des couleurs.
Il y a un autre aspect de l’art de Vitale qui est plus calme et plus mesuré, tourné vers une recherche de composition étudiée et raffinée. Il se fait jour dans la dernière époque de son activité, notamment dans les décorations de la chapelle de l’église Santa Maria dei Servi dont on a pu mettre en lumière d’importants fragments. Ceux-ci attestent la capacité manifeste de l’artiste d’unir en un style personnel l’influence de la miniature gothique française, évidente surtout dans la voûte, et le naturalisme giottesque, présent dans la manière de traiter les volumes. Somptueusement chargée d’ornements, révélant de préciosités dignes de la miniature, des notations amusantes cachées dans les frises et une subtilité aiguë du coloris dans les motifs décoratifs.
Dans cette fresque de la Vie de la Vierge et de Marie Madeleine, la qualité de la couleur et la profusion de matériaux précieux utilisés pour l’enduit – décoration par pastillage, verre brillant, bandes de métal doré – confèrent au lieu la somptuosité d’une chapelle palatine.
Vitale est documentée à Udine en 1348, où il décora la chapelle principale de la cathédrale. Il subsiste quelques fragments de ces fresques, dont Suzanne au bain, où les gestes presque excessifs ailleurs et les figures quasi grotesques disparaissent pour laisser la place à la description harmonieuse du corps nu de Suzanne.
Ces panneaux faisaient partie d’un retable de l’église Saint Antoine Abbé de Bologne. Le ton vif de la narration, non dépourvue d’une certaine élégance gothique, situe ces petites histoires après la réalisation des fresques de Mezaratta. Sophie fille de l’empereur Constantin possédée par le démon ; la guérison de Sophie, l’enterrement de saint Antoine.
Tommaso da Modena
Tommaso da Barisino, dit Tommaso da Modena (Modène 1325/26 – 1379?) est issu du milieu bolonais de Vitale et des enlumineurs. Son père, Barisino Barisini, était un peintre connu. On suppose que Tommaso se forma dans son atelier et qu’il se rendit aussi à Bologne, car ses œuvres de jeunesse paraissent influencées par le style de Vitale. En 1348, i s’installa à Trévise où se déroule sa carrière artistique jusqu’en 1358, année de son retour à Modène. À Trévise, il trouva un milieu florissant et des commanditaires raffinés, parmi lesquels les puissants ordres monastiques des dominicains, des franciscains et des augustins. Là, en 1352, il acheva les fresques de la salle capitulaire du couvent San Niccolò, comportant quarante Portraits de dominicains illustres, dans lesquels il a représenté une humanité vivante, avec un réalisme piquant et une fraîcheur qui rappellent l’art des miniaturistes bolonais. Sa célébrité lui valut de nombreuses commandes et une grosse fortune. Charles IV de Bohème en personne, peut-être à l’occasion de son voyage en Italie pour le couronnement (1354-1355), lui commanda deux tableaux pour les rapporter à Prague. À la même époque, Tommaso exécuta les très belles fresques de la Vie de sainte Ursule dans la chapelle homonyme de l’abside de l’église Santa Margarita, aujourd’hui détruite ; le thème de la vierge martyre anglaise est traité par le peintre de manière élégante, avec un sens psychologique aigu et une observation très fine, rendus par des couleurs chaudes et un réalisme narratif. Si les œuvres attribuées à Tommaso pendant sa période trévisane sont nombreuses, rares sont les témoignages sur son activité après son retour à Modène jusqu’à l’année de sa mort, peut-être 1379.
Tommaso est redevable à l’art de Vitale et à la culture bolonaise, qu’il sut transformer en des compositions plus ordonnées, créant des fresques qui sont de véritables « histoires » extrêmement vivantes.
Tommaso représente l’histoire et la grandeur des dominicains à travers une galerie des membres les plus célèbres de l’ordre. Les quarante personnages éminents son représentés chacun dans leur cellule, saisis pendant leur étude quotidienne, lecture ou méditation des textes sacrés. Chaque dominicain est caractérisé par un geste ou une attitude ; tous sont entourés des attributs des intellectuels de l’époque : lunettes (inventées depuis peu), pupitre, ciseaux, clepsydre. Même s’il ne s’agit pas de vrais portraits, Tommaso porte une grande attention aux caractéristiques psychologiques, à l’aspect visuel et aux détails individuels, mêlant art de cour et style naturaliste.
Ce triptyque, placé au-dessus de l’autel de la chapelle, représente la Vierge avec l’Enfant dans ses bras, flanquée de saint Wenceslas et de saint Palmazio. Ici, le peintre fait des emprunts au style de cour précieux de l’art siennois, peut-être pour répondre au désir du commanditaire, l’empereur Charles IV, qui appréciait beaucoup le style de Simone Martini.
Les années de peste 1347/48 avaient conduit à une double réaction : l’affirmation et la jouissance de la vie d’une part, mais d’autre part un retour à la religion. Si la nouvelle piété considérait déjà l’art ancien comme trop profane, la conception très terrestre de Tommaso da Modena devait l’être encore plus. C’est ainsi que pour des raisons liées à la dévotion, on trouva un mode de représentation délibérément passéiste. Selon la nature de la commande, les artistes parlaient en quelque sorte deux langages artistiques ; Tommaso da Modena lui-même nous a laissé de telles œuvres du « style dévot ». C’est le cas aussi de Barnaba da Modena dans la Vierge à l’Enfant de Turin.
Au premier abord, ce panneau peut sembler anachronique comparé à l’art de Tommaso, lui aussi originaire de Modène. C’est ainsi que le large fond doré richement orné et les surfaces sombres de l’habit de la madone parsemé d’ornements dorés semblent antérieurs à l’art du début du siècle. D’un autre côté pourtant, on ne peut ignorer que les motifs byzantins en chevrons suivent des courbes d’un effet très moderne. Le type de l’Enfant en pied est en revanche tout à fait contemporain. Le visage montre clairement que le modèle est un des enfants peints par Ambrogio Lorenzetti.
Jacopo Avanzi
Jacopo Avanzi (actif à Bologne dans la seconde moitié du XIVe siècle) est considéré comme l’une des figures les plus intéressantes de la peinture du Nord de l’Italie à la fin du XIVe siècle. Avanzi se distingue par une peinture vivante, narrative, avec des caractères bourgeois et populaires; elle offre des coloris précieux et certaines références au classicisme. Parfois confondu avec Altichiero, des œuvres très diverses lui ont été attribuées. Il aurait débuté son activité au chantier de l’oratoire Mezzaratta autour des années 1370, où il aurait peint le Massacre des Hébreux idolâtres, qui présente les caractéristiques de la peinture bolonaise. De là, il serait allé à Padoue où il aurait fait la connaissance avec l’œuvre de Guariento et de Giotto. Témoigneraient de ce parcours les fresques de Montefiore Conca, près de Rimini (1370-1372) et la Crucifixion (Galleria Colonna à Rome), signée Jacobus de Avanciis de Bolonia. Revenu à Padoue entre 1376 et 1377, il aurait réalisé les quatre premières lunettes et la sixième de la chapelle San Giacomo à la basilique Sant’ Antonio, qui se caractérisent par une narration vivante, avec parfois des éléments imaginaires. Ensuite, on perd complètement sa trace.
Ces fresques furent commandées par Galeotto Malatesta, dit le Hongrois, mort en 1372. Elles présentent des aspects très classiques. La scène, cependant, n’est pas peuplée de héros, mais de gens ordinaires, qui se bousculent et se tapent dessus dans les chaos général.
L’art de l’école bolonaise se répand en Vénétie non seulement avec Tommaso da Modena, mais aussi avec Vitale et Jacopino et avec d’autres peintres anonymes dont on peut trouver l’écho jusque dans le Haut Adige. Rappelons, parmi un grand nombre d’œuvres, les fresques de San Domenico à Bolzano, où le Triomphe de la mort, par exemple, évoque par sa représentation pleine de fantaisie et de mouvement l’art de Vitale, surtout dans la cavalcade légère et fougueuse.