L’Âge des symboles
Symbolisme, courant artistique qui se manifesta en Europe à partir de 1885 environ en réaction contre le naturalisme et l’impressionnisme. Le terme symbolisme vient du grec et signifie « lier ensemble » pour suggérer des renvois et des chênes de sens entre des images apparemment très éloignées. Cherchant à explorer des univers cachés, ces artistes élaborèrent une esthétique aussi éloignée de la sensibilité visuelle que de l’approche académique ou scientifique. Par ailleurs, l’individualisme aigu, voire névrotique, constitue une autre caractéristique du symbolisme.
Le symbolisme se diffuse dans l’Europe entière sans générer de style commun mais au contraire, des résultats très différents, qui peuvent être rattachés, dans leurs pays respectifs, à l’influence d’écrivains comme Oscar Wilde, Maeterlinck, Huysmans et d’Annunzio et des philosophes tels que Schopenhauer, Freud et Bergson. Dans son acception historique stricte, le terme désigne donc le mouvement international de la fin du siècle, mais on peut trouver des attitudes semblables vers 1800 dans l’art de Blake et de Füssli en Angleterre ou de Friedrich et de Runge en Allemagne, ou encore chez les Préraphaélites anglais. Les Symbolistes explorent volontiers le monde des légendes médiévales (Fantin-Latour, Burne-Jones), du rêve (D.G. Rossetti, Fernand Khnopff) de l’hallucination (Moreau, Klimt) ou au contraire une Antiquité nostalgique (Puvis de Chavannes), un âge d’or perdu (Paul Gauguin). Cherchant la transposition formelle de l’irréel et de l’étrange, dépassant définitivement l’illusionnisme, le symbolisme joue un rôle capital dans l’avènement de l’art moderne et de l’art abstrait en particulier : Kupka et Mondrian débutèrent en effet dans cette manière.
Le tableau de Moreau, image précieuse, raffinée et délibérément allusive est l’un des premiers exemples de peinture symboliste.
Malgré que Puvis de Chavannes (1824-1898) n’acceptait qu’avec réticences le qualificatif de « symboliste », son art fut défendu et admiré par les principaux acteurs de ce mouvement. Ceux-ci virent en lui un précurseur. Gauguin, Maurice Denis et les Nabis, Redon ou Hodler, trouvent dans son œuvre un soutien à leurs propres recherches. Imprégné de culture classique et nourri de l’exemple des fresquistes du Quattrocento, Puvis demeure fidèle à la peinture d’histoire.
Moreau participa pour la dernière fois au Salon en 1880, avec deux tableaux, Hélène (Paris, musée Gustave Moreau) et Galatée où il poursuivait l’édification d’une nouvelle iconographie du légendaire. Simplifiant l’épisode mythologique où le cyclope Polyphème tue par jalousie Acis, aimé de Galatée, Moreau concentrait sa composition sur l’opposition symbolique du géant et de la néréide. Ramenée visuellement au thème de l’adoration maudite, la fable des Métamorphoses d’Ovide rejoint autres imaginaires comme celle de La Belle et la Bête.
La représentation des objets perd son importance, leur traitement et leur composition sont le résultat d’une vision subjective : le symbolisme fut donc par excellence le lieu d’élaboration de nouveaux rapports aux proportions et à la perspective. Les compositions se développent dans un espace bloqué, reposent sur des rythmes et des cadences amples et son rendues dans un graphisme épuré, ou la lumière renforce le silence et le mystère des formes.
Les yeux du modèle ressemblent à ceux d’un médium : ne regardent pas la réalité, sont dirigés a une autre dimension invisible, spirituelle et magique. Le tableau fut présenté à Paris en 1893 au Salon de la Rose-Croix. Le triangle équilatéral sur la reliure en cuir noir est le symbole du chiffre trois, de la perfection et de la Trinité. La peinture exprime la doctrine de l’ordre, qui préconise la recherche de la vérité à travers le savoir.
Si Redon évoque de façon très personnalisée des auteurs admirés des symbolistes (Baudelaire, Flaubert ou Poe), ses œuvres nourries de mystère entraînent à leur tour de multiples transpositions littéraires en France comme en Belgique, l’un des grands foyers du symbolisme européen. Les fusains et les lithographies de Redon, gages d’une suggestion recherchée, plongent le spectateur dans un univers résolument onirique : « Mes dessins inspirent et ne se définissent pas, écrit-il, ils nous placent, ainsi que la musique, dans le monde ambigu de l’indéterminé ».
Camille, l’épouse du peintre, a servi de modèle pour cette œuvre qui rappelle certains bustes de la renaissance italienne du Quattrocento. Mais sans doute il s’agit d’un souvenir de « l’Esclave mourant » de Michel-Ange exposé au Louvre qui avait fait une forte impression sur Redon à cause de ses yeux clos.
Gaetano Previati (Ferrare 1852- Lavagna 1920) s’orienta vers une peinture symboliste et vers l’adoption de la technique divisionniste, traduite par l’usage de la couleur et par une touche étirée qui impressionna le jeune peintre futuriste Boccioni. Ses illustrations pour les récits de Poe et sa connaissance précoce du symbolisme européen de Redon et de Rops, constituèrent les prémices d’une peinture riche d’allusions symboliques.
Au début du XXe siècle, le symbolisme donne naissance à une nouvelle tendance présentant des caractéristiques communes mais des noms différents dans divers pays : Jugendstil en Allemagne, Art Nouveau en France et en Belgique, Modernisme en Catalogne, Liberty en Italie et Modern Style en Angleterre. Il s’agit d’un style élégant et décoratif qui s’exprime essentiellement dans les arts appliqués plutôt que dans la peinture. Ses motifs s’inspirent du monde naturel et privilégient les lignes animées et sinueuses. Marqués par les contours sensuels et sinueux de l’Art nouveau, des peintres comme Klimt et Munch réalisent des œuvres de pure imagination, parcourues de significations symboliques et parfois sans grand rapport avec le monde réel.
Né en Norvège, Edward Munch (1863-1944) passa la plus grande partie de sa vie dans son pays natal, où il développa un style distendu et très expressif. Chez lui, le rouge doit être perçu comme la couleur de l’attraction sensuelle.
Littérature : Revues et théories
Le poète Jean Moréas publia dans Le Figaro un premier manifeste du symbolisme : « l’art ne saurait chercher en l’objectif qu’un simple point de départ extrêmement succinct » ; les noms de Moreau et de Breslin (de même que celui d’Odilon Redon), son cités dans À Rebours (1884), roman dans lequel Joris-Karl Huysmans dépeint les goûts esthétisants de son héros Des Esseintes. Le critique Charles Morice, défenseur de Paul Gauguin, exposa les fondements de la doctrine symboliste dans La Littérature de tout à l’heure. Cette nouvelle esthétique, qui bouleversait la littérature et les arts plastiques fut répandue par de nombreuses revues : La Revue wagnérienne (1885), Le Symbolisme (1886), La Plume (1889), La Revue blanche (1891) et surtout La Pléiade qui, fondée en 1886 sous l’influence de Paul Verlaine, deviendra trois ans plus tard Le Mercure de France et sera alors l’organe officiel du symbolisme. A ce moment paraissent les Essais sur les données immédiates de la conscience du philosophe Henri Bergson, qui furent une référence très importante pour ses artistes. En 1891, le critique Albert Aurier exposa dans Le Mercure de France la doctrine de la nouvelle peinture symboliste selon laquelle une œuvre devrait être, hiérarchiquement, tout d’abord « déiste, puis symboliste, synthétique et décorative ».
Joris-Karl Huysmans (Paris 1848 – 1907) descendant d’une lignée d’artistes peintres flamands, fut par son œuvre de romancier et de critique d’art l’un des principaux représentants de l’esthétique symboliste. Provoque un schisme avec le naturalisme en publiant À rebours (1884), long soliloque traversé de rêves, de lectures et de descriptions d’œuvres d’art, dont un passage fameux sur L’Apparition de Moreau. Ce dandy blasé, en proie à une terrifiante névrose, fait de l’artifice, de l’illusion et du sadisme un art à part entière. Disciple de Schopenhauer, il trouve dans la jouissance esthétique son salut et l’unique exutoire à ses tourments.
Les nombreuses références exotiques et le mélange de mysticisme et d’érotisme constituent l’une des caractéristiques de l’art du peintre parisien (1826-1898), qui était très proche des écrivains de la fin du XIXe siècle.
Salons de la Rose-Croix
Le premier Salon de la Rose-Croix eut lieu à la Galerie Durand-Ruel en mars 1892 sous l’égide d’un personnage excentrique, Joséphin Péladan (1859-1918), qui se donnait le titre de sâr (mage). Initié par son père aux doctrines ésotériques et aux religions orientales, Péladan avait auparavant publié des romans organisés en vastes cycles (La Décadence latine), des pièces de théâtre et de la critique d’art. Le ton est vite donné : « Le Salon de la Rose+Croix sera un temple dédié à l’Art-Dieu avec les chefs d’œuvre pour dogme et pour saints les génies ». Le choix des artistes est déterminé par un ensemble de règles fondées sur le primat du sujet : sujets « honnis » (la peinture d’histoire, patriotique et militaire, la vie contemporaine …) et « accueillis » (l’Idéal catholique et la mysticité). Au-dessous, la Légende, le Mythe, l’Allégorie, le Rêve. Si Puvis de Chavannes, Redon, Denis et Burne-Jones avaient été présentés, aucun n’accepta l’invitation. On pouvait y voir des sculptures es des peintures d’Émile Bernard, Charles Filiger, Eugène Grasset, Alexandre Séon. Parmi les peintres étrangers figurent les Suisses Ferdinand Hodler et Carlos Schwabe, le Néerlandais Jan Toorop, les Belges Fernand Khnopff et Jean Delville. Opposé au naturalisme – l’affiche de 1896 représente Émile Zola décapité – ces expositions révélèrent au public parisien une dynamique courant idéaliste. Après une inauguration triomphale, l’entreprise, fragilisée par la brouille rapide entre Péladan et son principal mécène Antoine de la Rochefoucauld, s’acheva en 1897 après six salons successifs.
Inspiré par les lumières aveuglantes de la haute montagne, le Suisse Hodler (1853-1920) fixe des expressions, des traits, des contours de figures, immobiles pour la plupart, dans de vastes compositions teintées d’onirisme et de mysticisme. Les apparitions effrayantes peuvent être liées aux inquiétudes fébriles de la fin du siècle, qui traversent la peinture européenne, de l’Autriche à la Norvège, comme une décharge électrique.