Guido di Pietro, dit Fra Angelico
Vraisemblablement né dans les dernières années du XIVe siècle, dans un village du Mugello, au nord-est de Florence, mort à Rome en 1455, Guido di Pietro, dit Fra Angelico, est documenté comme peintre à Florence dès 1417. À cette datte, on relève déjà son nom en tant que peintre dans le registre de la Compagnie Saint-Nicolas au Carmine. Entre 1418 et 1423, il entre chez les dominicains. Toute sa vie, il demeure rattaché au couvent San Domenico de Fiesole. Son nom de religion est « frère Jean de Fiesole », mais la postérité a retenu l’épithète d' »angélique » qu’un poète humaniste lui a décerné peu après sa mort. La tradition italienne le qualifie même de Beato (il n’a été béatifié qu’en 1984). » D’aucuns affirment que Fra Giovanni ne prit jamais un pinceau avant d’avoir dit, préalablement une prière. Jamais ne peigna-t-il un crucifix sans que les larmes coulent au long de ses joues, et la bonté de son âme sincère peut-être jugée par les attitudes de ses personnages « . Dans la bouche des commentateurs du XIXe siècle, les mots de Vasari prennent un ton romantique. Depuis, plusieurs auteurs ont raconté sa confiance dans l’inspiration, ses larmes et ses actes de foi. Ces histoires remplissent encore la fonction pour laquelle elles furent créées, c’est-à-dire pour mettre les œuvres de l’artiste à la portée de personnes simples en quête de nourriture spirituelle.
Cette fresque est peut-être la plus célèbre parmi celles que réalisa Fra Angelico à partir de 1440, pour le couvent dominicain où il vivait.
À l’école de Lorenzo Monaco
Dans la maison réformée de l’ordre dominicain à Fiesole, la formation de Fra Giovanni – car tel est alors son nom – bénéficie des liens privilégiés qu’il tisse avec saint Antonin, son prieur, le futur évêque de Florence. Il y rencontre un moine camaldule, Piero di Giovanni, déjà connu sous le nom de Lorenzo Monaco (Sienne, 1370 – Florence, 1424), dont il devient le disciple. Son maître a trouvé dans le scriptorium de Santa Maria degli Angioli à Florence une terre d’élection pour épanouir son talent. Par la définition et l’ampleur des formes, il s’inscrit dans la tradition d’Andrea Orcagna, mais c’est aux peintres siennois qu’il doit le lyrisme des couleurs et la sensibilité aux rythmes linéaires. En partant des enluminures des ateliers toscans, Lorenzo Monaco développe un art où convergent les tendances stylistiques du début du Quattrocento et parvient à créer dans ses propres compositions un climat candide où la grâce se mêle à la féerie mystique dans le raffinement du style gothique international. Avec son pinceau et dans une lumière contrastée, souvent irréelle, l’étirement et la courbure des silhouettes s’accentuent. Cette évolution est sensible tant dans l’art de la miniature que dans la peinture de retables. On la remarque dans le panneau grandiose du Couronnement de la Vierge, qu’il peint en 1413 pour le cloître de Santa Maria degli Angioli, et plus encore dans l’Adoration des Mages, exécutée probablement pour l’église San Egidio de Florence. Sa sensibilité poétique et mystique que révèlent ses miniatures trouve dans cette dernière œuvre sa plus belle expression. Lorenzo Monaco se sert de tous les moyens artistiques pour décrire un événement sacré en opposant la sérénité de la Vierge et le recueillement des rois à la stupeur et à l’excitation des personnages massés derrière eux dans un paysage fantastique. De son maître, Fra Giovanni da Fiesole retient donc l’atmosphère gothique, ainsi que la douceur délicieuse du pinceau et l’art chromatique où dominent les couleurs claires et fines.
Autour de 1420, la peinture florentine se décline en variantes du gothique international. Dans l’Adoration des Mages de Lorenzo Monaco, les lieux sont sommaires (enrochements nus aux arêtes dentelées), les personnages s’entassent, les visages sont trécentesques, les corps ont peu de consistance, les drapés s’arrangent en jeux de courbes.
Les premières œuvres de l’Angelico montrent aussi une claire influence de Masolino et le sculpteur Ghiberti, surtout en ce qui concerne la structure du tableau, et dont la supériorité était reconnue pendant la demi-décade qui a précédé la venue de Masaccio. L’influence de Ghiberti a eu une importance continue pour Angelico, de même que celle d’un autre artiste, c’est-à-dire, Gentile da Fabriano. De son arrivée en 1422 jusqu’à son départ trois ou quatre ans plus tard, Gentile fut le peintre dominant à Florence, et la splendeur décorative ainsi que le naturalisme retenu de son style ne pouvaient que laisser leur marque chez les artistes plus jeunes. Pour Angelico, l’on peut voir clairement que c’est au Polyptyque Quaratesi de Gentile da Fabriano qu’il doit énormément. Surtout dans la description des phénomènes naturels dans cette prédelle et celle de l’Adoration des Mages, qui a inspiré une dizaine d’années plus tard à Fra Angelico l’éclair frappant de la tempête dans le Martyre de Saint Marc du triptyque des Linaioli. Pour le Jugement Dernier, dans la scène des condamnés est possible que Fra Angelico s’est inspiré des seules scènes d’action violente de Ghiberti que nous connaissons, les marchands chassés du temple sur la première porte en bronze, et l’arrestation de saint Jean-Baptiste sur les Fonts Baptismaux de Sienne. Bien que le dessin soit admirable, il est discutable que ce panneau ait été peint entièrement par Angelico. Le Jugement Dernier ne représentait pas une commande importante, et la décision de l’Angelico de confier une partie de cette œuvre à des membres de son atelier nous indique qu’il était occupé par un travail plus important. Mais l’acuité dont il témoigne et le sens de l’arabesque le rapprochent des peintres siennois, et en particulier de Simone Martini.
Le Paradis et l’Enfer sont représentés dans deux prolongements rectangulaires sur les côtés et, au milieu, nous avons la Résurrection des Morts, unie par une vue de tomes ouvertes qui transporte le regard sur toute la profondeur de l’image, jusqu’à l’horizon bleu pâle, au fond. Le « Jugement Dernier » de Fra Angelico reste proche de l’esprit et de la manière de Lorenzo Monaco. Il reproduit l’univers de la grâce gothique, une dernière fois, dans la rutilance des couleurs et l’utilisation de l’or qui transforment cette scène en fête divine. Mais pour le traitement de l’espace, où Fra Angelico adopte les règles de la perspective, il appartient au Quattrocento. Le Jugement dernier a été commandé à l’Angelico par l’Oratorio degli Scolari de Santa Maria degli Angioli au cours de l’été 1431. Le panneau formait la partie supérieure du siège dont se servait le prêtre pendant la grande messe et, pour cette raison, il a une forme peu orthodoxe. Le lobe supérieur, où se trouve la figure du Christ juge, se prolonge ver la base pour former une mandorle ovale entourée d’anges ainsi que de la Vierge et de saint Jean, de saints et d’apôtres sur les côtés, placés sur deux diagonales étroites.
Le donateur de cette œuvre, Fra Sebastiano di Jacopo Benintendi, était un neveu de Beata Villana de’ Botti. D’après sa biographie, la bienheureuse Villana aurait aspiré ardemment à partager les souffrances du Christ, son époux céleste, et , “ dans ses visions, elle avait toujours l’image du Christ, battu et crucifié, et dont elle voulait éprouver les tourments. » On la voit agenouillée à droite, avec les mots CRISTO IESV LAMOR MIO CRUCIFISSO qui sortent de sa bouche. Quelques-uns des personnages sont de qualité inférieure, mais seul l’Angelico aurait pu peindre le paysage élégiaque sur la gauche. Le long mur de la ville de Jérusalem rappelle la vue lointaine de Florence dans le » Miracle de saint Zénobe » de Ghiberti.
Ce petit tableau sur bois faisait sans doute partie d’une prédelle, mais la critique n’a pas encore pu reconstruire l’ensemble. La scène représente Zacharie devenu muet et obligé d’écrire le nom qu’il veut donner à son fils nouveau-né. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse de Fra Angelico. Ayant une formation d’enlumineur attaché au courant du gothique tardif, l’artiste témoigne beaucoup d’attention à la description minutieuse et raffinée des détails du pré fleuri, des branches des arbres et des ornements dorés des vêtements. Mais, en même temps, il se montre très attentif aux œuvres d’art contemporaines les plus novatrices. La pose de Zacharie, par exemple, évoque incontestablement le saint Pierre accroupi que Masaccio avait peint dans le « Tribut ».
L’inventeur de la « pala » moderne
La production de Fra Angelico est exclusivement dévotionnelle. Il réalise surtout des tableaux d’autel et des fresques. Il travaille pour son couvent et pour des établissements dominicains (à Cortone, Pérouse, et Florence), pour les Servites de la Santissima Annunziata (Armadio degli Argenti, vers 1452), pour la cathédrale d’Orvieto (début de la décoration de la chapelle de San Brizio), pour Eugène IV (une chapelle à Saint-Pierre, 1447, détruite) et Nicolas V (une chapelle au palais du Vatican, 1447-1450, conservée). Il travaille aussi pour des laïcs. En peignant vers 1430 le Jugement dernier pour le couvent de Santa Maria degli Angioli, il se pose en disciple de Lorenzo Monaco par la rutilance des couleurs et l’utilisation de l’or. Il achève en 1432 la Descente de croix entreprise par Lorenzo Monaco pour Palla Strozzi, pour la sacristie placée sous son patronage à Santa Trinità. Lorsque Fra Angelico commença l’œuvre dans les années 1430, Lorenzo Monaco (décédé en 1425) avait déjà réalisé le Couronnement et la prédelle du tableau. Pour l’Arte dei Linaioli (guilde de la laine et des tisserands), il exécute en 1433-1434 la partie peinte d’un grand retable dont la partie sculptée est de Ghiberti. En 1434-1435, il réalise la Pala d’Annalena, sans doute pour Cosme l’Ancien pour un autel des Médicis à San Lorenzo.
Le tableau est inséré dans un cadre de style gothique tardif, triparti par des arcs aigus. Malgré cela, la scène présente un décor homogène de paysage printanier. Une lumière cristalline, provenant de gauche, se reflète sur les châteaux, les murs de la ville, les pentes des hauteurs, les branches des arbres et, enfin, la blancheur du corps du Christ. Dans l’ensemble, la composition paisible et solennelle de même que la gamme chromatique brillante évoquent une contemplation sereine de l’épisode évangélique où le drame de la mort du Christ est racheté par l’espoir de la Résurrection. Les pilastres intacts représentent une particularité intéressante de ce tableau ; les pilastres sont peints devant et sur les côtés et représentent douze saints et huit médaillons. Les saints sont sur de socles dorés qui sont disposés d’après l’emplacement qu’ils devaient occuper. À l’image du Christ, les figures de Fra Angelico conservent un calme sculptural hérité de l’art de Masaccio. La scène centrale du retable représente Joseph d’Arimathie, Nicodème et saint Jean, tous trois auréolés, en train de détacher le corps du Christ de la croix située au centre. Ils sont accompagnés par un homme au béret noir qui pourrait être Michelozzo di Bartolomeo, architecte préféré de Cosme l’Ancien, qui a dirigé la restauration du couvent de San Marco. Des pieuses femmes sont regroupées à gauche, tandis qu’à droite, quelques hommes vêtus à la mode du XVe siècle assistent à la scène ; parmi eux figure à genoux le bienheureux Alessio Strozzi, ancêtre du donateur.
Le spectateur peut également voir le ciel bleu clair, sillonné de nuages blancs en raccourci, la campagne avec ses champs entourés de haies et ses édifices typiquement toscans. On a d’ailleurs cherché à identifier cet endroit. La petite ville entourée de murailles, par exemple est peut-être tirée d’une vue de Cortone, tandis que l’édifice avec la tour crénelée à gauche rappelle le château de Trebbio, qui appartenait à l’époque aux Médicis. Malgré une certaine nostalgie gothique qui émane surtout du groupe des femmes, la » Descente de croix » appartient à la Renaissance. La piété et la spiritualité du passé coexistent avec l’austérité humaniste et la recherche d’un naturalisme scientifique.
Fra Angelico appartient à la même génération que Masaccio et Filippo Lippi. Il se sert régulièrement de la construction perspective et emploie un vocabulaire architectural moderne. Dans les années 1430, il joue un rôle décisif dans l’élaboration de la pala quadrata. Au contact de Ghiberti, il commence à suggérer l’anatomie sous les drapés et à donner du volume aux corps tout en sauvegardant la luminosité des couleurs : il modèle les chairs par les nuances plus que par le noir et le blanc. Datable de 1432-1434 l’Annonciation du Musée diocésain de Cortone provient du couvent San Domenico de cette ville. Elle ornait l’un des deux autels de la Vierge qui flanquaient l’ouverture centrale du tramezzo (jubé) séparant la partie de l’église accessible aux laïcs à celle des moines. Elle constitue l’un des premiers exemples de pala narrative moderne : le format rectangulaire ne garde aucune trace de compartimentage. Le cadre architecturé définit le champ de l’image comme une » fenêtre » (mais la bande bleue étoilée du couronnement se retrouve dans le plafond de la loggia). S’adressant aux simples fidèles, le moine-peintre décrit avec précision la végétation du jardin clos de la Vierge et déploie des couleurs vives et précieuses (robe et ailes de Gabriel, siège de Marie) : l’image anticipe sur la vision paradisiaque souvent célébrée dans les sermons. Il introduit également, en bon prédicateur, une discrète allusion locale : dans la Visitation de la prédelle, le fond évoque le lac de Trasimène. L’architecture n’est pas encore très haute de plafond. Les arcades vues de face rappellent le diptyque mais, derrière elles, l’espace est continu : l’archange dépasse de la colonnette d’angle. La fuite accélérée des arcades latérales souligne le lien qui unit l’expulsion du Paradis (en haut à gauche) à l’Incarnation (en grand, par-devant). La logique architecturale de la bâtisse implique une troisième arcade à droite : la Trinité est en cours de révélation. »
Premier véritable chef-d’œuvre d’Angelico, l’Annonciation est une des plus grandes réalisations de la peinture florentine. La scène se situe sous une loggia fermée de deux côtés par des colonnes à la manière de Brunelleschi et, derrière, par un mur à arcades. À droite, la Vierge, les bras croisés sur la poitrine, se penche en avant en se levant légèrement de son siège à brocarts dorés, en récitant les mots de saint Luc inscrits en lettres d’or sur la surface du panneau : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole. » Devant la Vierge, l’Ange, en position de demi-génuflexion et l’index levé en signe de remontrance, prononce les mots suivants : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ». Sur la gauche du tableau, il y a un jardin clos avec un palmier symbolique et, au-delà, à un endroit où le regard du spectateur est attiré par la corniche rose de la loggia, nous avons une scène de l’expulsion du Paradis. La chair des deux personnages est peinte d’une façon beaucoup plus riche que dans les tableaux précédents – il faut souligner en particulier les mains, presque » Masoliniennes » de la Vierge et les ailes de l’Ange, disposées de telle façon que les pointes antérieures se trouvent au centre du panneau et ont un mouvement et une majesté qui sont véritablement miraculeux.
Le retable de l’Annonciation de Simone Martini, que ce dernier peignit en 1333, fut le point de référence pour toutes les autres représentations de cette scène à Sienne pendant plus d’un demi-siècle et il fut de même du retable de Cortone, avec sa lumière douce et symbolique et son ardeur contagieuse, qui a été la source d’innombrables adaptations et variantes. La prédelle de l‘Annonciation de Cortone est autographe en grande partie et contient cinq scènes de la vie de la vie de la Vierge ainsi que deux scènes de la légende de saint Dominique. La Visitation et la Présentation au Temple sont deux des scènes les plus féeriques.
Ici, la Vierge et sainte Élisabeth sont seules près d’un mur ombragé ; à gauche, nous apercevons le lac de Trasimène et, au deuxième plan, une femme monte sur la colline. Cette femme fut peinte avec une telle gravité que certains l’avaient attribuée, à tort, à Piero della Francesca.
Dans les années 1440, Fra Angelico était désormais le plus grand peintre florentin et dans une série de tableaux de grand importance et de grand prestige regroupes autour du Retable des Liniers (linaioli) du musée de Saint Marc à Florence, le Couronnement de la Vierge du Louvre et du grandiose Retable de saint Marc du musée de Saint Marc, il avait conscience d’essayer de jeter les bases d’une forme moderne d' » art sacré « , suivant les schémas de la Renaissance mais sur un ton authentiquement religieux ; tentative qui se renouvela, même si les résultats furent parfois moins élevés à cause de l’intervention d’élèves, dans des œuvres comme la Madone et les Saints de Berlin, l’Annonciation et le Triptyque de saint Dominique de Cortona, et le grandiose Polyptyque de Pérouse.
Le cadre, avec son ouverture centrale, voûtée, commandait la forme du tableau, qui se compose d’un panneau central avec la Vierge et l’Enfant entre deux ailes. À l’intérieur des volets (par conséquent dont on ne peut voir que lorsque le triptyque est ouvert) nous trouvons les deux saint Jean ; sur la face extérieure des volets (visible seulement lorsque le triptyque est fermé), nous voyons saint Pierre et saint Marc, deux scènes de leurs légendes sont illustrées dans la prédelle en dessous.
Au centre, nous voyons saint Pierre prêchant dans une chaire hexagonale tandis que saint Marc est représenté assis de profil à gauche, met ses mots par écrit avec l’assistance d’un acolyte, à genoux, qui tient un encrier et deux scribes qui portent le manuscrit achevé. En ce qui concerne le personnage de saint Pierre, il semble qu’il y ait une allusion voulue au saint Pierre de Masaccio, et, de la même façon, les personnages réalistes de profil qui encadrent la composition rappellent les personnages latéraux dans Le fils de Théophile ressuscité dans la chapelle Brancacci fresque achevée par Filippino Lippi. La poussée spatiale est très profonde et les édifices sur les côtés et en arrière plan sont définis plus attentivement, ce qui est sans doute dû à l’étude de Masaccio.
Fra Angelico : Retable de saint Marc
La commande passée par Cosme de Médicis à Fra Angelico du Retable de San Marco en 1438 comme cadeau au couvent des Dominicains qu’il avait fait restaurer par Michelozzo, était considérée comme ayant une importance exceptionnelle. Non seulement s’agissait-il d’un manifeste Médicéen, la plus importante commande pour un tableau que Cosme avait placé jusqu’à cette date, mais ce tableau représente également le point de mire de la principale église Dominicaine à Florence. Les saints des Médicis, Cosme et Damien, étaient associés à Saint Marc comme titulaires du maître-autel (dans le retable, saint Cosme agenouillé regardant le spectateur, il s’agirait d’un portrait de Cosme de Médicis). En outre, le fait que le cadre architectural auquel ce tableau était destiné était encore en construction lorsque le retable fut projeté représente un autre aspect inhabituel de cette œuvre. Le résultat fut un tableau, ou plutôt un ensemble de tableaux, qui peuvent être considérés comme étant une œuvre vraiment révolutionnaire. Dans le panneau central, ce qui frappe immédiatement c’est que le contenu spatial est plus grand que dans tout triptyque précédent. Le tableau est projeté à partir d’un point de vue élevé, plus ou moins au centre du panneau, et les lignes perpendiculaires du magnifique tapis Anatolien ainsi que la perspective escarpée de la corniche du trône convergent vers un point de fuite qui se trouve dans le groupe principal. Le caractère artistique du retable peut être mis à jour d’une façon encore plus claire en examinant les panneaux de la prédelle.
D’un point de vue structurel, il s’agit de la plus remarquable des scènes narratives de la prédelle du retable, où le tombeau est représenté en perspective, comme la représentation des tombes ouvertes dans le Jugement Dernier, mais qui est intégré dans un complexe architectural extrêmement complexe, qui annonce le Miracle de saint Zenobe de Domenico Veneziano.
Cette œuvre représente, avec la dernière scène représentant le Rêve du Diacre Justinien, le summum de la sophistication dans le domaine de l’espace atteint par Angelico dans ses travaux pré-romains.
Les fresques de San Marco
Attribué aux moines de San Domenico de Fiesole en 1436, le couvent florentin de San Marco est partiellement reconstruit sous la direction de Michelozzo et, à partir de 1439, décoré par Fra Angelico et ses collaborateurs. Les travaux sont financés par Cosme l’Ancien. La pala du maître-autel est achevée en 1440-1441. Les fresques des cellules des profès (aile est) sont sans doute exécutées en 1441. Les cellules des novices (aile sud) et celles des frères lais (aile nord) sont décorées entre 1449 et 1453. De qualité inégale, les fresques obéissent à une finalité pédagogique plus qu’à un programme théologique : les cellules, soumises à une clôture rigoureuse, ne sont pas destinées à êtres visités successivement. Dans les dortoirs des novices et des profès, l’accent est mis sur les modalités d’oraison (inspirées des pratiques de prière de saint Dominique), tandis que les frères lais ont seulement droit à des images narratives. La cellule n° 1, sans doute celle du maître des frères lais, est ornée d’un Noli me tangere, probablement exécuté par Benozzo Gozzoli, le principal assistant de Fra Angelico. Le modelé plus fort et l’articulation anatomique plus perceptible de Madeleine souligne par contraste le caractère » glorieux » du Christ. Les couleurs sont assez sobres (il n’y a pas à séduire un vaste public) mais le traitement de la végétation reste minutieux. Dans l’herbe, près du Christ, des touches de rouge évoquent peut-être, de façon non mimétique, les stigmates de la Passion. Les fresques de Fra Angelico et de ses disciples, comme la plupart des peintures sacrées du XVe siècle, respectent les catégories émotionnelles des prédicateurs de l’époque.
Cette composition présente de façon synthétique et allusive les souffrances du Christ avant la condamnation à la crucifixion, à travers l’image d’un homme qui crache sur lui, de mains qui le soufflettent et d’une autre main qui le frappe avec une canne. Le Christ est assis au centre, en position surélevée, devant un panneau vert. Il a les yeux bandés et porte une tunique blanche et une couronne d’épines. Il tient en main les symboles de son martyre : une verge et une éponge.
Dans la deuxième moitié de l’année 1445, Angelico fut convoqué à Rome par le pape Eugène IV pour entreprendre des fresques au Vatican. Le pape avait vécu à Florence pendant presque neuf ans et été présent à la consécration de San Marco, dont il avait contemplé l’œuvre de l’Angelico, et fait la connaissance du moine-peintre. Les Scènes de la vie de saint Laurent marquent l’apogée de l’œuvre d’Angelico à Rome qui ait survécu.
L’armadio degli argenti (l’armoire des vases sacrés)
D’après un passage de la chronique de Benedetto Dei, l’on peut penser que les panneaux pour L’armadio degli argenti (l’armoire des vases sacrés) furent commandés par Pierre de Médicis comme portes et volets pour une armoire qui aurait contenu des offrandes en métal précieux pour la chapelle de l’église de l’Annunziata. Les panneaux sont mentionnés après 1460 dans le Theotocon de Fra Domenico de Corella, comme étant l’œuvre de Fra Angelico et il est difficile, sur ce mémoire seulement, de suivre tous les critiques qui nient l’intervention, ou la moindre responsabilité d’Angelico pour ces petites scènes. Tous les panneaux qui sont directement attribuables directement à Angelico constituent le premier groupe de neuf tableaux. Les trois scènes suivantes sont l’œuvre d’un artiste plus jeune, Alesso Baldovinetti. Les autres vingt-trois scènes ont été exécutées par un autre peintre en suivant le style d’Angelico. Malgré la façon différente avec laquelle ces scènes ont été traitées, les neuf premières se distinguent par des idées merveilleusement lucides dans lesquelles l’essence même du style plus tardif d’Angelico est distillée. Dans l’Annonciation, les plis des habits des personnages sont traités avec une délicatesse extrême et les auréoles sont représentées de profil et non pas, comme dans les premiers tableaux, par des cercles dans le plan du tableau. Le panneau qui nous évoque plus la prédelle de San Marco est le Massacre des Innocents, dans lequel le mur de l’arrière-plan nous évoque celui de Saint Cosme et saint Damien devant Lysias (voir plus haut dans l’article) bien qu’il ait été enrichi d’un treillis en perspective.
Fra Angelico confère au premier plan un espace bien plus profond qu’auparavant (et cela correspond à la structure des fresques du couloir de San Marco) et les femmes représentées dans cet espace sont d’un grand réalisme et expriment un répertoire de postures qui, dans sa liberté et dans son caractère expressif, à du sembler inégalé. Il n’y a rien d’archaïque dans ces tableaux. Ils prouvent que, dans les dernières années de sa vie, Fra Angelico fut ce qu’il avait toujours été dans sa jeunesse et lorsqu’il avait déjà un certain âge, c’est-à-dire un artiste progressif, regardant toujours vers le futur.