La vie tourmentée de Rossetti.
Pendant toute sa vie Dante Gabriel Rossetti (1828 – 1882) se consacre avec une même passion à la peinture et à la poésie, qu’il a appris à aimer avec son père, un écrivain qui avait été librettiste de Rossini à Naples et professeur d’italien au King’s College de Londres. En 1847, il rencontra Brown, dont il fut l’élève pendant une brève période, et Hunt et Millais, avec lesquels il fonda, l’année suivante, la Confrérie préraphaélite. À ses débuts, la critique se montra hostile envers eux, et seul Ruskin prendra sa défense. L’art et la vie de Rossetti sont marqués par son histoire d’amour tourmentée avec Elizabeth Siddal, avec laquelle il vit à partir de 1850 ; c’est une relation instable en raison de la santé précaire de la jeune femme et de sa jalousie, alimentée par les nombreuses aventures sentimentales de Rossetti – de Fanny Cornforth, son modèle pour de nombreux tableaux, à Annie Miller, que son ami Hunt lui avait imprudemment confiée avant son voyage en Terre Sainte. En 1860, l’artiste épouse Elizabeth, qui donne le jour, le 12 mai 1861, à une fillette mort-née. La douleur la plonge dans une profonde prostration, qui la conduit au suicide, le 11 février 1862, après avoir absorbé une dose excessive de laudanum. Pendant toute sa vie, Rossetti est écrasé par les remords et commence à souffrir d’insomnie et de troubles dépressifs récurrents : en juin 1872, il tente à son tour de se suicider au laudanum. Pendant les dernières années de sa vie, malgré le succès économique croissant de ses œuvres, il se replie de plus en plus sur lui-même, entouré et soutenu par ses amis fidèles.
Rossetti : Œuvres de jeunesse
Dans ses deux œuvres de jeunesse, aujourd’hui à la Tate Britain de Londres, L’Enfance de la Vierge (1849) et Ecce ancilla Domini (1850), on remarque l’influence des Nazaréens, mais aussi la tentative typiquement préraphaélite de transposer sur la vie moderne la vision artistique du XVe siècle et de retrouver ce qui fut considéré comme la candeur mystique de peintres comme Fra Angelico. D’ailleurs la ferveur religieuse demeura chez Rossetti une attitude esthétisante, à la recherche d’un primitivisme très poussée (Dantis amour, 1859). En revanche, il n’adopta jamais le réalisme analytique et méticuleux des autres représentants du groupe ; il privilégia des techniques plus libres et plus rapides (pastel, aquarelle, dessin), et s’affirma dans des compositions beaucoup plus simples (Beata Beatrix, 1863 ; Rosa Triplex).
Dans les peintures des années cinquante, Rossetti se consacre principalement aux thèmes médiévaux, au symbolisme et, en particulier, à la Vita Nuova de Dante, son poète préféré. Le panneau L’Amour de Dante: Dantis Amor, avec deux autres, devait décorer un coffre pour la maison de William Morris, la Red House. L’ange entre le Christ et Béatrice porte un cadran solaire, un arc et une flèche, symboles de l’amour. Dans La Mélodie des Sept Tours de 1857 la dame au centre, vêtue de rouge, est Elisabeth Siddal. Probablement le personnage en arrière-plan qui place un bouquet de fleur d’oranger sur le lit, symbole du mariage imminent, se réfère à Elisabeth.
En 1857, Rossetti accepte une commande de fresques pour l’Oxford Union avec d’autres artistes tels que Morris et Burne-Jones, ses élèves affectionnés. Ils choisirent de représenter certains épisodes tirés du livre de Thomas Malory La mort d’Arthur, mais aucun d’eux ne connaissait suffisamment la technique de la fresque, et les œuvres sont restées inachevées.
Ouvertement inspirée de la peinture du Titien, la toile Monna Vanna aurait dû s’appeler « Vénus vénitienne ». Les femmes fatales de Rossetti (1828-1882) portent toutes l’empreinte de la relation du peintre avec les femmes. Profondément troublé par le suicide de son épouse Elisabeth, sous l’opulence des formes picturales, on ressent une profonde mélancolie.
Rossetti : la mélancolie du peintre
À la fin des années 60, Rossetti était un artiste consolidé ; Il avait un bon nombre de collectionneurs qui acquéraient régulièrement ses toiles, lui permettant de gagner environ trois mille livres par an, une chiffre considérable à l’époque. Cependant, l’artiste vivait toujours tourmenté par des troubles nerveux, des problèmes de vision et d’insomnie, accentués par l’abus d’alcool et du chloral, un médicament puissant qui lui occasionnait des hallucinations récurrentes. Parmi les modèles préférés de ces années, Jane Burden, l’épouse de William Morris. En 1870, Rossetti publie Poèmes, une compilation de son œuvre poétique, y compris celle qu’il avait enterrée à côté d’Elizabeth, sa femme, et récupérée en exhumant le corps. Le tableau Une vision de Fiammetta accompagne son œuvre Ballades et Sonnets (1881). La composition est à la fois très décorative et symbolique du nom du modèle (Fiammetta fut la muse de Boccace). La toile est dominée par les tons rouge, comme ceux de la précieuse étoffe de la robe flottante. Des branches de pommier en fleurs entourent la jeune femme, un pic rouge déploie ses ailes au-dessus de sa tête, et un bracelet avec une breloque en forme de cœur orne son poignet.
Rossetti fut cependant l’artiste le plus influent du mouvement préraphaélite et le plus célèbre à l’étranger, surtout par sa production poétique, qui semble souvent se refléter directement dans sa peinture pénétrée de mysticisme (La Damoiselle élue, poème, 1847, mis en musique par Debussy). La peinture de Rossetti trouve son expression la plus significative dans les figures féminines (Le Rêve de Dante, 1871) ou dans des créatures perverses (Astarté Syriaca, 1877) où s’illustre l’ambiguïté de toute l’œuvre de Rossetti : aspiration à un monde idéal à un passé légendaire mêlé de sensualité et d’inquiétudes annonçant le Décadentisme.
Rossetti : Le Concert dans le pré
En 1850, Rossetti avait commencé la toile Le Concert dans le pré en peignant d’après nature le paysage du fond, proche de la maison de William Hunt, dans le Kent. Il avait l’intention de l’utiliser comme arrière-plan pour une composition représentant Dante et Beatrice au Paradis, mais il a rapidement abandonné ce projet. Les tableaux représentant des femmes qui jouaient des instruments de musique étaient les plus demandées, et Rossetti n’a fait plusieurs répliques, avec de légères différences. L’attention est portée au soin avec lequel les instruments et les mains des jeunes femmes ont été réalisées. Les deux modèles étaient María Spartali, à gauche, et Alexa Wilding, à droite. Leurs regards n’ont pas d’objectif précis, ils sont perdus dans le vide indiquant que les jeunes femmes sont absorbées par leur musique. En 1872, l’artiste réalise un dessin au pastel sur papier, avec les deux femmes dans la même position et un ange parmi elles (Cambridge, Fitzwilliam Museum). Les deux femmes qui dansent au centre du tableau constituent l’élément dynamique de la composition. Sa disposition symétrique est également soulignée par les couleurs complémentaires des robes, vert et rouge.
De 1871 à 1874, Rossetti a vécu à Kelmscott Manor, la maison qu’il partageait avec son collègue artiste et designer William Morris. Découragé par les critiques acerbes avec lesquelles ses compositions poétiques ont été reçues, en juin 1872, Rossetti tente de se suicider avec du laudanum, la même méthode choisie par sa femme. Malgré cela, l’artiste continue de peindre, réconforté par les demandes incessantes des collectionneurs, qui admirent de plus en plus ses troublants portraits de femmes. Pendant son séjour à la maison de Morris, il peint La Ghirlandata (1873), titre qui a été traduit par le frère de l’artiste, écrivain et critique William Michael Rossetti en 1884 comme La Dame de la Couronne. Pour la figure principale, a posé Alexa Wilding, une actrice en herbe, tandis que May Morris a posé pour les têtes des anges. Cependant, à ce stade de sa vie, Rossetti était obsessionnellement amoureux de Jane Morris, la femme de William et mère de May. On reconnaît ses traits dans la figure principale, combinés avec ceux d’Alexa Wilding, pour créer un incroyable trio de femmes Morris … Dans cette œuvre, Rossetti met en évidence son attrait multi-sensoriel en incluant des allusions à la musique à travers la harpe et l’oiseau chanteur, l’arôme à travers les fleurs.
Rossetti : Rêve les yeux ouverts
Dans le tableau Rêve les yeux ouverts, Jane Burden, l’épouse de William Morris lui sert de modèle. Elle fait la connaissance de Rossetti en 1857 et après 1869 elle devient son modèle, sa muse et amante. Le tableau fut commandé par Constantine Ionises qui, à l’automne 1879, avait vu dans l’atelier de Rossetti un dessin représentant Jane assise sous un arbre. La femme est vêtue de vert, symbole de la nature et du retour du printemps. Le titre original du tableau était en effet Vanna ou Monna Printemps, l’artiste a ensuite préfère une connotation moins littéraire. Rossetti avait initialement pensé placer dans les mains de la jeune femme un perce-neige. Mais compte tenu des délais d’exécution du tableau plus longs qu’il ne l’avait prévu, il décida de le remplacer par du chèvrefeuille.
Bibliographie
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