Anvers, capital de l’art
Intégrés à l’héritage bourguignon que Philippe II, roi d’Espagne reçoit de son père, l’empereur Charles-Quint, les anciens Pays-Bas sont scindés en deux à la fin du XVIe siècle. Anvers, la ville flamande qui avait hérité de la richesse de Bruges est au XVIIe siècle, le principal centre artistique. Sous le gouvernement des archiducs Albert et Isabelle, dont la résidence est établie à Bruxelles, on s’efforce de restituer les anciens fastes décoratifs (après le mouvement iconoclaste de 1566 mené par les réformés), dans le respect de l’art sacré défini par la Contre-Réforme, avec le soutien de l’archiduc. Il s’ensuit un retour à la peinture monumentale sacré dont les représentants sont Rubens ou Jacob Jordaens. Parallèlement, se perpétue la peinture à sujets profanes et, grâce aux commandes de la cour, la peinture d’histoire ou retraçant des épisodes mythologiques. Les allégories y figurent en nombre, parfois porteuses d’un contenu politique. Beaucoup de ces décorations sont destinées aux lieux emblématiques de la puissance publique. Grâce à un atelier bien organisé, Rubens put entreprendre une série de grands décors destinés à restituer les anciens fastes de la cour. Les échanges entre les écoles du Nord et du Sud développent des influences réciproques. Des visites ponctuelles comme celle de Rubens à Utrecht en 1626 ou de Van Dyck à La Haye pendant l’hiver 1630-1632, contribuent à la pénétration du goût flamand en Hollande.
Rubens, diplomate et peintre de cour
Pierre Paul Rubens (Siegen 1577 – Anvers 1640) il est probablement formé à Cologne, sa famille, originaire d’Anvers, s’étant réfugiée en Westphalie. De retour à Anvers en 1587, il entre dans l’atelier de l’un des peintres les plus renommées de la ville, Adam Van Noort. En 1600, il part pour huit ans en Italie. Il va à Venise, puis à Rome et à la cour du marquis Vincenzo Gonzaga à Mantoue. Au cours de son séjour en Italie, il s’arrêta plusieurs fois à Gênes et à Rome pour étudier les œuvres des maîtres de la Renaissance, tout en étant également attiré par les expériences plus récentes d‘Annibal Carrache et du Caravage. En 1603, il est envoyé en mission diplomatique à Madrid, ce qui lui permit d’étudier soigneusement les collections royales. Il revient à Mantoue après de brefs séjours à Rome et à Gênes, puis le décès de sa mère le ramène à Anvers. En 1608, tout en dirigeant un important atelier, il entre au service des régents de Flandres. Il illustre son bonheur conjugal avec son épouse Isabelle Brandt et exécute d’importantes commandes pour la cathédrale et les jésuites. Tout en poursuivant son activité diplomatique, il réalise de grands cycles décoratifs pour les cours d’Europe à partir des années 1620 ; Son épouse meurt en 1626. Il se remarie en 1630, et continue sa double activité de peintre et diplomate jusqu’à sa mort à Anvers en 1640.
Réalisée à l’initiative de Nicolas Rockox, le bourgmestre d’Anvers, la toile est une des commandes publiques les plus importantes après le retour de Rubens d’Italie, lorsque se sont conclues les négociations de paix entre l’Espagne et les Pays-Bas avec la « Trêve de douze ans ». En 1623, la toile entra dans la collection de Philippe IV et Rubens put la revoir lors de son second voyage à la cour espagnole. Il intervint de nouveau sur la toile, agrandie dans sa partie supérieure et dans sa partie droite. Le peintre s’est représenté dans le cortège des Rois mages (à l’extrême droite), tournant le buste avec élégance.
La scène nocturne est éclairée avec diverses sources de lumière : la lumière naturelle de la lune, la lumière artificielle des torches et l’irradiation surnaturelle de l’Enfant Jésus. Depuis la forte lumière rayonnant à partir de l’Enfant jusqu’à l’angle en haut à droite, on peut tracer la diagonale majeure sur laquelle est construite toute l’œuvre. Le groupe d’hommes et d’animaux qui ferme le cortège, compose des lignes sinueuses qui créent l’harmonie de la dynamique géométrique du baroque.
Dans sa carrière artistique, Rubens réalise une synthèse de toutes les œuvres qui l’ont précédé. Il assimile, développe et amplifie l’héritage de plusieurs artistes : le Caravage, Michel-Ange, le Tintoret, le Greco, et Véronèse, avec son propre talent et beaucoup d’imagination. Dans certaines commandes de caractère officiel, comme dans le magnifique cycle des Allégories de Maria de Médicis, l’artiste dut avoir recours à sa prodigieuse culture et à ses connaissances encyclopédiques de la mythologie, pour faire de la vie un peu terne de la reine, un vrai opéra orchestré avec toute sorte de pièces. L’élan vital qui émane de sa prolifique carrière, son extrême fécondité, l’énergie de son travail et la rapidité avec laquelle il exécute ses tableaux lui ont valu à Rubens le surnom de « Homère de la peinture » par Delacroix. En effet, Rubens aborde tous les thèmes avec enthousiasme. Encouragés par une même inspiration, tableaux profanes et religieux, thèmes mythologiques et portraits se succèdent rapidement. Son caractère baroque est mis en évidence dans la forme, le mouvement, le rythme, l’exubérance de la couleur, dans des scènes quelquefois pathétiques ou dramatiques, emphatiques, passionnées.
Le lyrisme, l’éloquence et la sensualité que l’on trouve dans toute l’œuvre du peintre apparaissent dans ses premières compositions des années 1600, comme dans la Suzanne et les vieillards, où Rubens offre la même image charnelle, sensuelle et iconique de la femme, pour toujours l’héroïne de ses tableaux. Ce goût pour les formes opulentes et les nus généreux, cette vitalité et ce panthéisme se feront, vers la fin de sa carrière, plus intimes dans les portraits de son dernier amour, Hélène Fourment. Les hommes et les femmes de Rubens semblent sortis d’une race de géants, qui rappellent les nus de Michel-Ange, le génie que Rubens a tant observé et copié pendant sa visite à la Chapelle Sixtine.
Rubens était un érudit, un humaniste chrétien, un homme de lettres passionné de l’Antiquité, an architecte dilettante et un écrivain qui parle avec fluidité le latin, le français, l’espagnol et moins souvent l’anglais. L’aumônier de la cour de Bruxelles le considère l’homme le plus culte du monde, mais Rubens était aussi un habile homme d’affaires prudent et un génie de l’organisation qui fonda des ateliers de peinture, célèbres dans toute l’Europe, avec le but de former des assistants et des collaborateurs qui l’aideraient à projeter ses idées dans nombre de toiles, sculptures, tapisseries et gravures.
Les quatre personnages sont, de gauche à droite, Pierre Paul Rubens, le philosophe d’origine allemande Jan Woverius, le philosophe flamand Juste Lipsio et Philippe Rubens, élève de ce dernier et frère du peintre. Le paysage à l’arrière-plan suggère que la scène est située à Rome, mail il évoque un moment imaginaire car les quatre personnages ne se sont jamais rencontrés dans cette ville. Le buste de Sénèque rappelle que Juste Lipsio a étudié la pensée de ce philosophe latin et cherche à faire revivre le stoïcisme en le rapprochant des principes chrétiens.
Rubens a représenté de nombreuses scènes de l’Antiquité comme dans ce tableau où l’artiste combine le baroque avec le classicisme. Ici, il représente l’épisode qui évoque la lutte acharnée qui affronta les Athéniens commandés par Thésée et les Amazones commandées par sa reine Hippolyte, sur le pont du fleuve Thermodon. Dans un mouvement violent, hommes, femmes et chevaux se jettent ici les uns sur les autres comme dans un éclat de force en trois dimensions.
Rubens et la femme la plus belle d’Anvers
Il fallait un Rubens amoureux pour peintre « cette Hélène d’Anvers qui surpassait largement Hélène de Grèce », mots qui viennent du poète Jan Caspar Gevaerts, ami d’enfance de l’artiste. La réussite de Rubens dans sa vie privée, qui contraste avec ses échecs diplomatiques pour rétablir la paix, l’incitèrent dans ses dernières années à multiplier les images du bonheur familial. Pour oublier son énorme chagrin causé par la mort en 1626 de sa première femme Isabelle Brandt, Rubens avait participé à des nombreuses missions importantes et avait réalisé de nombreuses commandes. Invité à la cour par Charles Ier d’Angleterre qui l’avait nommé chevalier, Rubens avait réalisé le grand décor du plafond de la salle du Banquet à Westminster, mais le succès diplomatique avait été très inférieur au succès obtenu comme peintre. L’Angleterre avait signé un accord secret avec la France à son insu et Rubens agacé est rentré à Anvers en 1630. Il venait de dépasser la cinquantaine et c’est alors qu’il connut une jeune fille de seize ans, Hélène Fourment, fille cadette d’un riche négociant en tapisseries Daniel Fourment, « la femme la plus belle du monde d’Anvers » (au dire du cardinal-infant Ferdinand d’Autriche). Des nombreux tableaux sont souvent prétextes à mettre en valeur les formes plantureuses et nacrées d’Hélène, comme Le Jardin d’Amour, Les Trois Grâces et Le Jugement de Paris. Hélène lui inspirerait quelques-uns des portraits les plus personnels et intimes de sa carrière d’artiste, dans lesquels l’artiste donne une représentation fraîche et émouvante de sa jeune femme et de ses enfants : depuis l’Artiste et Hélène dans leur jardin d’Anvers ; en passant par Hélène Fourment avec deux de ses enfants et par la Petite Pelisse, c’est le même hymne à la joie de vivre, à la tendresse émouvante du bonheur familial.
Le mariage de Rubens avec Hélène le 6 décembre 1630 fut probablement le principal motif pour la réalisation de cette œuvre. Le grand nombre de dessins préparatoires que Rubens réalisa nous indiquent le soin particulier que l’artiste avait pris pour son exécution.On peut reconnaître son épouse dans le personnage féminin principal et la maison de l’artiste dans le cadre architectonique. Le tableau est une recréation d’une idyllique scène courtisane galante, sans aucun but narratif, où des personnages d’apparence réelle se mélangent avec d’autres personnages mythologiques. Les petits amours dans l’air portent des symboles de l’amour conjugal. Les fontaines des trois Grâces et de Vénus font allusion à l’amour féconde. L’ensemble est donc une exaltation de l’amour et du bonheur conjugal.
Mercure est reconnaissable grâce à son couvre-chef ailé, aux ailes de ses sandales et à son caducée. Le messager des dieux a reçu mission de remettre la pomme d’or à Paris. Paris à la tache difficile de choisir celle des trois femmes, Junon, Vénus ou Minerve, à laquelle donner la pomme d’or. Le jeune berger finira pour choisir Vénus qui apparaît au centre, couronnée d’une guirlande de fleurs par un « putto ». Minerve, déesse de la sagesse, reconnaissable par l’armure qui se trouve à ses pieds, fait une sorte de révérence accompagné d’un pas de danse pour tenter d’être l’élue. Junon, à l’extrême droite, accompagne rythmiquement Minerve dans une sorte de danse et s’incline vers Paris.
Le tableau appartient à la dernière époque la plus sensuelle et poétique de Rubens, où il démontre sa maîtrise du mouvement, réalisant une composition ouverte et très dynamique. Le tableau à été peint avec la collaboration d’autres artistes, comme Frans Synders pour les animaux et Jan Wildens pour le paysage. L’œuvre faisait partie d’une série de dix-huit peintures destinées au plafond du château de l’Alcazar de Madrid. L’ensemble est une apologie à l’adresse du chasseur et aux qualités nécessaires pour un bon gouvernement, comme hommage au jeune héritier du trône, le prince Balthazar Charles.
L’atelier de Rubens
Au moment de sa maxime splendeur, le nombre de commandes dans l’atelier d’Anvers était tellement élevé qu’un seul homme ne pouvait pas les réaliser, c’est pourquoi, comme arrivait souvent à l’époque, Rubens dû mettre en place une véritable organisation, une sorte de fabrique de tableaux. Pendant sa visite à l’atelier en 1621, un an avant la commande de la galerie Médicis, le médecin du roi du Danemark, Otto Sperling, se rappelait avoir vu « une grande salle sans fenêtres, uniquement éclairée par une ouverture dans le plafond. Il y avait là nombre de jeunes peintres, travaillant à différentes toiles, pour lesquelles Rubens avait exécuté des dessins à la craie, indiquant ça et là les couleurs, et qu’il terminait lui-même par la suite. L’ouvre passait alors pour un Rubens. » De fait, sur le mille quatre cents numéros du catalogue de Rubens, environ un tiers sont des « modèles » peints à l’huile sur bois, que reproduisaient grandeur nature les artistes de son atelier, dont certains étaient aussi célèbres que Van Dyck ou Jacob Jordaens, avant que le maître n’y posât les touches finales ou n’exécutât personnellement les figures principales. Jan Bruegel l’Ancien, fils cadet de Pieter Bruegel l’Ancien, fut l’ami et collaborateur de Rubens, réalisant en particulier des fleurs et des paysages. Il sut aussi s’adjoindre un graveur fidèle, Lucas Vosterman, pour diffuser ses œuvres. Cette remarquable organisation et la rapidité d’exécution fit beaucoup pour la renommée Européenne de Rubens.
La scène se déroule dans un cabinet de collectionnisme où sont représentées plusieurs œuvres de Rubens, hommage évident de Bruegel au peintre. Le tableau fait partie de la série des Cinq Sens offerte par le duc Pfalz-Neuburg au cardinal infant don Fernando. Le personnage féminin, identifié comme Vénus, à laquelle Cupidon montre des œuvres d’art représente l’allégorie de la Vue.
Jacob Jordaens
Après une intense activité dans l’atelier de Rubens auprès duquel il assouplit sa technique, Jacob Jordaens (Anvers 1593 – 1678) s’affirme comme un peintre complet. La peinture de Jordaens se différencie de la manière aristocratique et pleine de magnificence de Rubens et de Van Dyck par un style plus immédiatement expressif, sanguin et sensuel, qui ramène les thèmes religieux et mythologiques à une dimension terrestre et bourgeoise, dépourvue d’implications intellectuelles. Sans jamais avoir entrepris de voyage en Italie, il élabore de nouvelles voies sous l’influence des caravagesques et de Jacopo Bassano. Parmi ses œuvres les plus connues figurent Le Satyre et le paysan, Le roi boit et Pan et Syrinx. On trouve une recherche plus approfondie de la valeur picturale de la lumière dans les œuvres réalisées entre 1625 et 1630 comme dans La Fécondité de la terre, considérée comme son chef-d’œuvre. De 1630 à 1660 Jordaens multiplia les variations sur ses thème préférés, spécialement Le roi boit, le Concert de famille, Le Satyre et le paysan, d’une coloration tout à fait populaire, avec une accentuation du réalisme qui le conduit à intensifier le goût baroque dans la couleur, dans la forme, dans les mimiques et les expressions franchement triviales de ses personnages. En même temps, il chercha à se rapprocher de la manière du Rubens de la dernière période, où la couleur se défait et liquéfie presque les formes (Vénus, 1640 et Hercule et Déjanire, 1649).
Cérès, la déesse de la Terre, apparaît comme une statue sur un piédestal avec ses attributs : couronnée de blé et tenant une corne remplie de fruits, symbole de l’abondance et de la fécondité qui la caractérise. Elle reçoit l’hommage d’un groupe de paysans, qui lui offrent les produits de la terre qu’ils cultivent. Cette déesse apprit aux humains à utiliser la charrue à laquelle fait allusion le peintre en incluant des bœufs dans le tableau. Cérès incarne aussi le changement des saisons, c’est le cycle de vie, représenté ici par les personnes d’âges différents qui entourent la déesse : enfants, jeunes, adultes et personnes âgées. Même le début d’une nouvelle vie se reflète dans la grossesse de la déesse. La peinture datant des premières années d’activité de l’artiste est influencée par l’art vénitien qui à cette époque exerce une grande influence sur Jordaens.
Le paysan, qui a soufflé auparavant sur ses mains pour les réchauffer, souffle à présent sur une cuillère de soupe pour la refroidir, ce qui provoque l’étonnement du satyre. Levant l’index en un geste de réprimande, le satyre taxe de duplicité « ce qui sort de la bouche du paysan », c’est-à-dire son haleine, qui peut être chaude ou froide. Les membres de la famille du paysan n’ont aucunement peur du satyre : cette scène inspirée d’une fable d’Ésope, renvoie à l' »âge d’or » où les hommes côtoyaient en toute sérénité les divinités ou démons des bois et des campagnes.
Anton van Dyck
Artiste précoce, Anton van Dyck (Anvers 1599 – Londres 1641) se consacre principalement au portrait. Fils d’un riche marchand de soie, il ouvrit son propre atelier en 1615 après un apprentissage chez Van Balen ; en 1618 il était maître de la guilde et collaborateur de Rubens. Il reste dans sa ville natale. Après un bref séjour en Angleterre (1620, en Italie (1621-1626) principalement à Gênes, mais visita Rome, Florence, Bologne, Venise et Palerme. Les portraits d’aristocrates génois représentent le sommet de la production de Van Dyck pendant son séjour italien (Portrait de la Marquise Elena Grimaldi). De retour à Anvers, il commença une intense activité, en devenant en outre peintre de cour de l’archiduchesse Isabelle (1628-1629) ; en 1631, il s’établit en Angleterre, où il fut nommé chevalier et peintre officiel du roi Charles Ier et y resta jusqu’à sa mort, exceptés quelques brefs séjours dans les Flandres (1634) et à Paris (1641).
La période italienne marque pour Van Dyck un premier dépassement de la manière de Rubens à travers l’étude assidue des grands maîtres de la Renaissance, comme en témoigne, un carnet d’ébauches conservé au British Museum, en particulier l’influence du Titien, qui conduisit l’artiste à utiliser une palette plus douce. Sa maturité stylistique se manifeste dans une série de portraits exécutés dans la tradition flamande, souvent à figure entière, avec des paysages abaissés qui soulignent la grandeur des personnages.
Les deux époux se sont fait représentés en Adonis et Vénus, c’est l’un des rares exemples de portrait allégorique dans l’œuvre de Van Dyck. D’une originalité très audacieuse pour son époque, ce tableau était probablement destiné aux appartements privés du couple. Le bond affectueux du chien du futur duc de Buckingham est splendide. Le chien est un symbole de fidélité, ainsi que le lierre qui s’accroche au tronc d’arbre symbolise la fidélité et l’amour éternel des conjoints.