L’Homme qui marche de Giacometti est à l’art moderne ce que le David de Michel-Ange est à la Renaissance.
Dans son atelier du 14e arrondissement de Paris, où sont disposés pêle-mêle tubes de peinture, pinceaux et plâtres, l’artiste se livre à un intense face-à-face avec l’une de ses fameuses sculptures. Sur une large feuille de papier, il trace les contours d’un visage, avant de malaxer la matière brute, creusant, tantôt du bout des doigts, tantôt à l’aide d’un couteau, la figure d’un homme, semblable à une lame de rasoir – sans doute celle de son frère, fidèle assistant et modèle. « Je voudrais faire un œil comme je le vois, jusqu’à maintenant je n’ai jamais réussi… », déplore-t-il dans cette archive d’une qualité remarquable, filmée pour le Art Concil of Great Britain à l’occasion d’une rétrospective de 1965, à la Tate Gallery. Les images, montées parfois à la façon d’un film expérimental, montrent au plus près ces œuvres « semblables à des danseurs dans un moment suspendu ». Si près que, comme le dit Giacometti, « c’est comme si la matière même devenait une illusion ».