La fin du siècle ou le retour des Bourbons
Henri III, mourant sous les coups de Jacques Clément le 2 août 1589, avait désigné comme héritier légitime le Roi de Navarre, l’invitant à devenir catholique. La confusion fut grande après l’abjuration à Saint-Denis, le 25 juillet 1593. Paris lui ouvrit enfin ses portes le 22 mars 1594. Il restait à conquérir le royaume, à en expulser les factieux et les étrangers. Après la paix de Vervins en 1598 qui rétablit enfin le calme, la France, si chèrement acquise, était ruinée. Le roi s’employa avec un extrême habilité à la restauration de l’unité politique et nationale ;
Sully sauva les finances ; l’essor de l’agriculture, la recrudescence du commerce que favorisèrent toutes sortes de mesures intérieures et qu’Henri IV, audacieusement, voulut étendre au Nouveau monde et aux Indes orientales, achevèrent de rendre la prospérité au pays. Les ruines se relevèrent, on répara les routes et les canaux. Le Roi se préoccupa aussi d’urbanisme. L’économiste Laffemas prônait le développement des industries de luxe. Henri IV se laissa convaincre : moins séduit par les arts que ne le furent les Valois, mais soucieux de l’intérêt du Royaume.
En 1572, Antoine Caron dans son rôle de peintre de cour, prépare les fêtes du mariage d’Henri IV et de Marguerite de Valois (la reine Margot) qu’interrompra la Saint-Barthélemy.
Pourtant, dès 1600-1620, la France d’Henri IV et de Marie de Médicis retrouve une réelle prospérité et les foyers artistiques se multiplient. En 1599, Jean Boucher, de retour de Rome, effectue de nombreux travaux pour la ville de Bourges ; le mouvement caravagesque s’implante à Marseille, dès 1609, avec le Flamand Finson ; dans la Lorraine des ducs Charles III et Charles IV, à l’art de cour d’un Bellange succèdent la veine réaliste de Callot et la méditation spirituelle de La Tour. C’est en fait une même tradition que cultivent les grands artistes du foyer bellifontain et les peintres « classiques » du XVIIe siècle. Les peintres italiens Primatice et Niccolò dell’Abate, exercent une influence déterminante pour les maîtres de la seconde école de Fontainebleau (Ambroise Dubois, Toussaint Dubreuil), mais également pour Poussin, Vouet ou La Hyre. Henri IV est bien conscient de la nécessité d’une politique culturelle brillante pour affermir le prestige de la royauté : il reprend les grands chantiers de Fontainebleau et du Louvre et rénove le paysage monumental de Paris.
Ce tableau qui se rapproche beaucoup de la manière de Caron montre le cortège funèbre de l’Amour suivi par un groupe de poètes se dirigeant vers le temple de Diane, tandis que Vénus, dans le ciel, accompagne son fils dans un char tiré par des colombes. Le sujet de ce tableau a parfois été interprété comme le deuil de l’Amour (les putti qu’accompagnent le cortège sont habillés en noir en blanc), suivi des poètes de la Pléiade, lorsque Ronsard délaissa le ton des Amours et des Odes pour celui des Discours, ou après la mort de Diane de Poitiers en 1566.
La seconde école de Fontainebleau
La situation assez modeste de la peinture française autour de 1600 ne se définit pas uniquement par le recours aux modèles italiens. Un nombre toujours croissant de Nordiques est venu occuper les places vides. Ils se francisent à leur tour et deviennent des adeptes du « bellifontanisme » comme Ambroise Dubois, un Anversois (vers 1544-1614/1615), arrivé peut-être dès 1570, chargé de la troisième galerie de Fontainebleau, dite de Diane, détruite en 1810, où les scènes de la Fable alternaient avec des panneaux environnés de grotesques. Toussaint Dubreuil (vers 1561-1602), tout en procédant des mêmes sources, semble avoir eut un style plus personnel. Il ne reste rien de sa contribution aux scènes de l’Histoire d’Hercule au pavillon des Poêles de Fontainebleau, en collaboration avec Ruggiero Ruggieri, qui dirigeait le chantier. En revanche, du Château neuf de Saint-Germain-en-Laye, où il peignit un cycle de la Franciade et un autre d’après Ovide – immense ensemble de soixante-huit tableaux, connus par un inventaire ancien -, il subsiste quelques toiles intéressantes, littérales et descriptives, avec des trouvailles poétiques de mise en page, comme dans le Hyante et Climène à leur toilette (Louvre). Par sa couleur claire et modulée, il est tout naturellement en rapport avec le maniérisme d’Europe centrale. Dans les années 1610-1620, chaque maître entretient dans son atelier un courant différent. Martin Fréminet développe, dans la chapelle de la Trinité de Fontainebleau (l’un des plus ambitieux décors européens du maniérisme tardif) le grand langage monumental de Michel-Ange.
L’épisode représenté est tiré du Chant XI du Roland furieux de l’Arioste (1532). Médor, chevalier sarrasin, grave sur l’écorce d’un arbre le nom d’Angélique. Ce signe d’amour, confirmé auprès de Roland par un berger figuré au fond, engendrera la folie furieuse et jalouse de ce dernier. La pose allongée d’Angélique vient des ovales du Primatice à la Galerie d’Ulysse, mais l’influence de la peinture nordique y est évidente ; l’opposition des grandes figures au premier plan avec la petite silhouette animée du fond est d’un esprit très maniériste qu’accentue le chromatisme violent, visiblement flamand.
Cette peinture fait partie d’un cycle d’une soixantaine de toiles commandées par Henri IV entre 1594 et 1602 pour le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye et illustrant « La Franciade » de Ronsard (1572) : Hyante et Climène, deux filles du roi de Crète qui hébergent Francus, amoureuses de ce héros, s’affairent à leur toilette pour le séduire. C’est une reprise élégante des motifs chers à la première École de Fontainebleau avec une stylisation vigoureuse des plans qu’accentue la lumière et les couleurs sonores.
La décoration de la chapelle de la Trinité fournit à Fréminet l’occasion d’imposer sa manière à Fontainebleau. Le programme en était alors nouveau, l’ordonnance étudiée et habilement variée dont le peintre avait soumis le projet au Roi. Les sujets mettent en concordance l’Ancien et le Nouveau Testament, alternant avec des figures allégoriques ou sacrées. La volonté de Fréminet de rompre avec le style bellifontain, tout de grâce et de douceur, qu’avait imposé Le Primatice, fut sans doute excessive. L’ambitieuse décoration, comparée aux rythmes harmonieux prodigués par la première École de Fontainebleau, manque de charme, mais pas de style.
Renouvellement des équipes, renouvellement aussi des thèmes : à côté des cycles mythologiques chers à la première École apparaissent les sujets romanesques. Les divinités idéales de l’Olympe primaticien cèdent la place aux touchantes héroïnes du Tasse et de l’Arioste. Une atmosphère chevaleresque et courtoise où l’influence théâtrale est sensible dans les costumes comme dans les poses, fait revivre de véritables scènes animées dans de vastes paysages. Niccolò dell’Abate qui illustra Boiardo et l’Arioste en Italie a certainement servi d’exemple par son sens du récit et du merveilleux ; ses paysages fantastiques ou familiers, ses mises en page, ses types, son coloris vibrant, ont été visiblement admirés et copiés. Il a joué ainsi un rôle important de liaison entre le style de la première École et le nouvel esprit à la fois plus réaliste et plus imaginatif. Cette attitude implique toute une révision de l’esthétique : la figure y perd la primauté d’autrefois. Cette seconde École n’était pas homogène : c’est qu’elle est essentiellement une transition. Fontainebleau va perdre définitivement son rayonnement, il cesse de donner le ton. Réfugié en province ou à Paris, le maniérisme reprend, jette ses derniers éclats, séduisants et étranges, avec Deruet, Bellange, Lallemand ou Callot, avant de s’éteindre définitivement sous la poussée baroque ou classique.
Le style de Dubois est d’un Flamand italianisé (était né à Anvers en 1543). Le sujet de ce tableau est tiré de « La Jérusalem délivrée » du Tasse : Tancrède, chevalier proche de Godefroy de Bouillon, accompagne son seigneur à la croisade. Au cours d’une escarmouche, il tombe éperdument amoureux d’une belle amazone maure, Clorinde. Les affrontements se multiplient, mais les deux jeunes gens cherchent à s’éviter. Un jour, cependant, Tancrède réussit à briser un encerclement et poursuit le chef des Maures. Un duel s’engage entre les deux combattants. Tancrède frappe son rival à mort. Le voilà qui met pied à terre, s’approche du vaincu et le démasque. C’est alors qu’il reconnaît Clorinde. Celle-ci lui demande le baptême et, par là, la rédemption. La composition met en valeur la calligraphie élégante des rythmes. Si l’allongement maniéré des figures rappelle Le Primatice, le sentiment courtois de la scène se souvient de Niccolò dell’ Abate. Les coloris, le paysage, restent très flamands. Dans l’atmosphère de fin du jour, l’éclat étrange des couleurs donne un charme pathétique aux deux amants.
Cette peinture fait partie d’un cycle d’une soixantaine de toiles commandées par Henri IV entre 1594 et 1602 pour le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye et illustrant La Franciade de Ronsard (1572) : Scène tirée du Livre II de la Franciade. Dicé, roi des Corybants, offre un banquet en l’honneur de Francus, le héros troyen de la Franciade, qui a échappé à un naufrage.
La formation de Fréminet se déroula sur les chantiers de Fontainebleau, mais vers 1587-88, on le retrouve à Rome, en relation avec le Cavalier d’Arpin, puis à Venise et enfin à Turin. En 1603 il fut rappelé dans sa patrie par Henri IV, qui le nomma »premier peintre du roi » et lui confia la décoration de la chapelle de la Trinité à Fontainebleau, un des ensembles les plus importants du maniérisme européen tardif. Le fond de la chapelle présente une fresque de l’Annonciation. Ce dessin, intitulé autrefois Jupiter et Sémélé ou encore l’Apparition, serait un projet de l’artiste pour représenter les sibylles, réparties de part et d’autre de l’Annonciation.
Peinture mythologique et peinture de genre
Le répertoire de l’École de Fontainebleau ne se borne pas aux mythologies chères aux décorateurs du Château : Vénus et Diane, sont parfois prétexte à de véritables scènes de genre. Le thème de la Dame à sa toilette qui se confond à l’origine avec le thème de Vénus (ou parfois même avec celui de Psyché) est à cet égard significatif : le plus bel exemple est, peut-être, cette Dame à sa toilette de Dijon, dont le type de visage rappelle les belles célèbres du temps, Diane de Poitiers et Gabrielle d’Estrées. Mais le regard immobile des grands yeux propose une autre ressemblance : ce tableau est aussi un portrait, celui d’une grande dame ou courtisane inconnue. Il annonce ces portraits mythologiques et allégoriques qui auront dans les siècles suivants tant de succès en France. Le thème du bain tire son origine de la mythologie (Bain de Vénus, Bain de Diane…) et comporte donc indirectement les mêmes allusions flatteuses pour les modèles représentés. Peut-être sa vogue fut-elle entretenue par le souvenir de l’Appartement des Bains de Fontainebleau, symbole même du raffinement hédoniste de la Cour. Une des versions les plus intéressantes unit en une double pose les Portraits présumés de Gabrielle d’Estrées et de sa sœur la duchesse de Villars, souvenir de l’usage de se baigner à deux dans des bains de lait ou d’essences précieuses ; on en connaît de nombreuses répliques où parfois les modèles ont été habillés, par pudeur. À toutes ces demi-figures nues se rattache la Sabina Poppea dont une des plus belles versions est conservée au Musée de Genève. Elle eut un succès attesté par les nombreuses mentions de Dames romaines ou Courtisanes romaines dans les inventaires du XVIe et XVIIe siècles.
Dans cette version très différente de celle présentée au Louvre, les deux femmes apparaissent habillées. La duchesse ne touche plus le sein maternel de sa sœur. Gabrielle d’Entrées, favorite d’Henri IV, apparaît légèrement penchée, elle regarde le spectateur comme soulignant sa beauté, son pouvoir sur le monde et sur le roi.
Ce tableau est traditionnellement connu comme double portrait de Gabrielle d’Estrées et de sa sœur la duchesse de Villars. Le geste ostentatoire de lui pincer un sein que l’on voit sur le tableau pourrait faire allusion à la maternité de Gabrielle et à la naissance, en 1594, de César de Vendôme, bâtard d’Henri IV. Cette peinture témoigne d’un intellectualisme préoccupé de symbolisme, et pourtant elle est en même temps tout empreinte de sensualité. Le détail domestique de la chambre à l’arrière-plan, avec la servante cousant au coin de la cheminée qui comporte des références à l’art flamand, contraste vivement avec la scène idéalisée du premier plan, qui montre l’influence de l’art italien de la Renaissance, dans le modelé des corps des deux jeunes femmes. Cette scène de caractère intime et sa représentation s’inspire (comme l’œuvre précédente), de la « Diane au Bain » de François Clouet.
L’historien d’art, François Gébelin a rapproché de façon séduisante la « Sabina Poppea » de la statue dite la « Zingarella » (la petite gitane) de Naples : le voile transparent que l’on appelait « gaze à la romaine », dont elle s’enveloppe étroitement dérive peut-être de la draperie mouillée des statues hellénistiques ; les peintres de Fontainebleau en font un usage que les Italiens n’avaient pas à ce point imaginé. Sur le fond sombre s’enlève le nu clair dont les courbes doucement alternées présentent la figure à la fois de face et de profil. Le geste pudique est, en réalité, d’une coquetterie achevée et le beau visage, aux traits réguliers, nous fixe avec une déconcertante froideur.
Peint vraisemblablement à la fin du XVIe siècle, d’après le style, la coiffure, et le miroir, il s’inspire sans doute d’un prototype antérieur. Les gestes des mains développent une mimique expressive qui devient une sorte de cliché de l’École ; la main tenant la bague, illustre, en particulier, le thème de l’amour mieux que la présence d’un putto joufflu ; mais l’érotisme qui baigne toute la composition est plein de délicatesse : un habile dosage de sensualité et d’idéalisation propose à notre curiosité l’énigme de ce beau visage dont la laiteuse nudité, sous le voile transparent, s’accorde à l’éclat des perles dont elle est parée. Prés des bijoux, les roses dédiées à Vénus, sont autant un hommage à sa beauté que le signe de la présence de la déesse. Si l’ensemble fait penser a la « Dame à sa toilette » de Washington de Clouet, il en diffère par un rythme plus souple, une recherche moins littérale des volumes qui suggère encore l’idée d’un modèle italien.
L’art de Fontainebleau exerce également son influence sur des sujets sans référence mythologique ou antique : ce sont encore souvent des portraits, ces réunions musicales ou galantes, ces bals, ces scènes de comédies. Ils se multiplient dans la seconde moitié du XVIe siècle, sous l’influence flamande. Comme la présence d’artistes nordiques, cette inspiration servait le goût du Roi ; Si l’origine des nouveaux thèmes venait de Flandre, il est frappant de voir l’esprit bellifontain les imprégner au point de transformer, par exemple, une joyeuse assemblée en réunion courtoise : ainsi Le fils prodigue du Musée Carnavalet, dont les acteurs sont disposés comme les figures des Bacchanales ou des Parnasses du Primatice. Dans un autre tableau du Musée Carnavalet, une scène de la comédie italienne, s’exerce la même emprise décorative et recherchée. L’influence de François Clouet est ici évidente : son ascendance flamande le prédisposait peut-être à traiter ces thèmes. Mais à ses côtés, il faut faire place à Niccolò dell’Abate, qui n’avait pas abandonné en France le goût des scènes de genre. Son influence est évidente : la Femme entre deux âges, lui emprunte son nu à la pose hanchée. Les Dames à leur toilette, annoncent les portraits allégoriques du XVIIe siècle et les acteurs désenchantés de Watteau : même pétrifiés en formules séduisantes, mais souvent vides, ces thèmes assurèrent, avec les « mythologies », le renom de l’École de Fontainebleau. Elle fut un art complet qui s’exprima dans tous les genres, et en France, la première manifestation de l’universalité d’un style.
Dans cette peinture de genre d’une claire influence nordique, une vue de Paris sert de fond à la scène qui semble être une réunion musicale.
Dans cette scène de genre, le peintre anonyme se souvient visiblement de l’égyptienne du « Moïse sauvé des eaux », que Niccolò dell’Abate peignit en France.
Peintre à la cour de Nancy, Jacques de Bellange (vers 1575? – 1616) fut l’un des artistes et décorateurs les plus appréciés des ducs de Lorraine au début du XVIIe siècle. S’il ne reste rien ou presque de ses peintures, ses dessins et gravures d’un érotisme raffiné et d’une grande élégance formelle témoignent des audaces et du talent de ce représentant majeur du maniérisme tardif. Costumes extravagants, attroupements de personnages improbables, regards en coin ou mains fébriles semblent mettre la sensibilité de leur auteur à portée du regard.