Les foyers artistiques du Nord du royaume
L’Ars Nova va se répandre à travers l’Europe tout entière. Mais la première région touchée est la vaste aire géographique, en partie francophone, qui participe de la même culture, urbaine et dominée par les métiers, que la Flandre flamingante. Les principaux foyers du renouveau pictural ne sont pas simplement voisins du royaume de France, ils en font véritablement partie.
Une même culture unit la plupart des villes de cette vaste zone de confins, où l’activité artistique s’est repliée vers 1410-1420, à la faveur des troubles politiques parisiens et de l’isolement de la capitale française après le traité de Troyes (1420). Au moment où apparaît l’Ars Nova, les artistes et les œuvres circulent intensément d’un point à l’autre du dense réseau urbain des Pays-Bas méridionaux et du nord de la France. Ainsi, les nouveautés élaborées dans le milieu pionnier des peintres tournaisiens sont-elles rapidement diffusées vers le sud ouest de cette aire. Immédiatement après avoir accompli son apprentissage officiel à Tournai (1427-1432), Jacques Daret, compagnon de Rogier van der Weyden dans l’atelier de Robert Campin, s’installe dans la ville proche d’Arras, tout en conservant des liens étroits avec Tournai, où il tient toujours un atelier. Inversement, la profonde mutation dans laquelle se sont engagés les peintres tournaisiens constitue un pôle d’attraction pour des artistes d’autres centres, comme Amiens, alors l’une des villes les plus peuplées du royaume de France. Très tôt, des liens sont noués entre des peintres amiénois et Tournai : Maistre Andrieu d’Amiens (André d’Ypres, connu à Amiens depuis 1425-1426) dévient franc maître du métier des peintres à Tournai en 1428, à l’époque même où Van der Weyden et Daret travaillent auprès de Campin.
Ce tableau, probablement le panneau central d’un triptyque ou le volet gauche d’un diptyque, montre la Vierge Marie adorant l’Enfant Jésus. Les quatre anges de part et d’autre et le fond doré renforcent l’impression surnaturelle qui émane de cette vision céleste. L’étonnement, la joie, la surprise et la sollicitude reflétées par le visage et les gestes des anges révèlent un maître dans l’expression des émotions. Le contraste virtuose entre la calme adoration de la Mère de Dieu et la vive attention de l’Enfant, laisse transparaître l’influence de l’artiste gantois Hugo van der Goes, qui fut le maître de Jean Hey.
L’itinéraire et l’œuvre de Simon Marmion, illustrent bien les difficultés rencontrées par les historiens qui tentent de donner aux artistes de cette région frontalière une « nationalité ». Auteur du Retable de saint Bertin et contemporain de Dieric Bouts, Marmion est formé à Amiens où il travaille pour la municipalité de 1449 à 1451, il migre vers Valenciennes, en terre d’Empire, où il est cité par la première fois en 1458 et où il termine sa carrière et sa vie en 1489.
Marmion travailla à Valenciennes, mais aussi à Lille et à Tournai, et fut très apprécié à la cour de Bourgogne, où il fut au service de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire.
Coloriste raffiné, doué d’un goût subtil pour les paysages lumineux et les architectures imaginaires, il résume et conclut la tradition gothique française, y introduisant avec un parfait équilibre des influences évidentes des maîtres de Gand et de Bruges.
La diffusion de l’Ars Nova au-delà de son berceau des marches du Nord a été favorisé par la fin de la guerre des Cent Ans. Une plus grande sécurité sur les routes permet à nouveau à des nombreux peintres des Pays-Bas de se rendre en France. Le retour progressif à la paix est amorcé par la paix séparée conclue en 1435 à Arras entre le duc de Bourgogne Philippe le Bon, prince des lys et souverain des Pays-Bas, qui se détourne de l’alliance anglaise en échange de la Picardie. De nombreux diplomates sont présents au congrès qui aboutît à cette paix. Parmi eux, le cardinal légat Niccolò Albergati se révèle un amateur précoce de la nouvelle peinture, puisqu’il s’empresse d’aller admirer, en l’abbaye de Saint-Vaast, un retable que Jacques Daret venait tout juste de peindre (1433-1435). Le prélat fait d’ailleurs réaliser son portrait par Jan van Eyck, lui aussi présent à Arras. Avec Albergati, l’un des principaux artisans de la paix d’Arras est le Bourguignon Nicolas Rolin.
Il existe de rapports très précis entre les panneaux de Daret et des ouvres du Maître de Flémalle. On sait que Jacques Daret passa une quinzaine d’années auprès de Robert Campin avant de devenir franc maître, et qu’il résida à Tournai, avec des rares interruptions, tout le reste de sa vie. On peut s’attendre que son œuvre reflète le style de son seul et unique professeur.
L’étude de l’œuvre de Jacques Daret se fonde sur quatre panneaux – une Visitation, une Nativité, une Adoration des Mages et une Présentation de Jésus au Temple -, dont la date et et l’attribution sont indiscutables. Aujourd’hui dispersés dans trois collections, ces panneaux, à l’origine, décoraient l’extérieur d’un Schnitzaltar (Retable sculpté), dont l’intérieur montrait, dans le panneaux central, les douze apôtres et le « Couronnement de la Vierge », et uniquement des fleurs de lys sur fond d’azur à l’intérieur des volets ; ce retable, commandé en 1434 par Jean de Clercq, prieur de l’abbaye de Saint-Vaast d’Arras, fut terminé en juillet 1435 au plus tard.
La diffusion de l’Ars Nova est liée au retour progressif de la paix, mais il faut attendre le milieu du siècle pour voir affluer de nombreux peintres des Pays-Bas, prenant le relais de ceux qui étaient venus à la fin du XIVe siècle ou au tout début du XVe siècle. Barthélemy d’Eyck, Enguerrand Quarton, Coppin Delf, Jacop de Littemont, Conrad et Henry de Vulcop, André d’Ypres, Colin d’Amiens, Nicolas Froment et Jean Hey succèdent à André Beauneveu, Jean de Bruges, Jean de Beaumetz, Jacquemart de Hesdin, Jean Malouel et les frères Limbourg. Ces représentants du style linéaire et précieux venaient surtout puiser à la source de l’art parisien. Mais ses collègues du milieu et de la seconde moitié du XVe siècle furent les vecteurs de la nouvelle peinture, comme en témoigne l’installation à Paris d’André d’Ypres.
Ce diptyque est la seule œuvre attribuée au Maître de Sain-Jean-de-Luze, bourgade à laquelle le maître anonyme doit son nom. Bien qu’il soit influencé par la peinture flamande, il n’atteint ni à la virtuosité technique ni à la luminosité de ses modèles. Les fausses statuettes s’inspirent peut-être de la sculpture de la cour bourguignonne à Dijon.
La peinture à Paris au XVe siècle : André d’Ypres
Dès 1436, Charles VII reprend aux Anglais la principale ville de son royaume. Il faut cependant attendre les trêves de Tours (1444) pour que Paris redevienne une place commerciale largement ouverte aux échanges, surtout avec le Nord. Vers 1450, des œuvres d’art importées des Pays-Bas s’y vendent. Un amateur averti comme René d’Anjou s’y procure en 1451 de grands tableaux de la Passion et y fait affaire avec les peintres Henri de Vulcop et Jacob de Littemont, tous deux d’origine néerlandaise. L’existence d’un tel négoce témoigne du changement de goût qui se manifeste alors dans la capitale française. Paris, siège des principaux organes de l’État, le moment est donc propice pour que des artistes septentrionaux s’y établissent. C’est précisément ce que fait le Maître de la Crucifixion du Parlement, identifié avec le nom d’André d’Ypres. L’analyse du tableau de la Grande Chambre que les conseillers du Parlement ont fait refaire au milieu du XVe siècle, met en lumière la culture tournaisienne de son peintre.
Un certain nombre de motifs ont été empruntés par le peintre au répertoire de Rogier van der Weyden, à commencer par le Christ, figure principale du tableau, aux bras exagérément étirés (Triptyque de la Crucifixion, Vienne, Kunsthistorisches Museum) ; la densité plastique des personnages sacrés du premier plan, enveloppés dans de lourds drapés, vient du Maître de Flémalle et fait écho aux sculpturales « Vierge allaitant » et « Sainte Véronique » du Retable dit de Flémalle. Autour du Calvaire, saint Louis et saint Jean-Baptiste à gauche, saint Denis en saint Charlemagne à droite. Au fond à gauche, une vue de Paris autour de la tour de Nesle, la Seine, le Louvre et l’hôtel du Petit Bourbon; à droite le Palais.
Nous savons qu’André d’Ypres est décédé à Mons en juillet 1450, lors de son retour d’un pèlerinage effectué à Rome à l’occasion du jubilé. Cette donnée permet plus a priori de le considérer comme l’auteur de la Crucifixion du Parlement dont la réalisation semble devoir être située vers 1452-1454, une datation fournie par les recherches effectuées dans les archives du Parlement de Paris. Selon Nicole Reynaud, les œuvres du Maître de Dreux Budé sont proches, par le style, de celles d’un peintre et enlumineur actif à Paris dans la seconde moitié du XVe siècle, le Maître de Coëtivy. L’historienne a proposé d’élucider cette parenté stylistique par de réels liens de parenté ayant uni les deux artistes, l’un étant fils de l’autre. Elle identifie le Maître de Dreux Budé avec André d’Ypres, peintre amiénois devenu franc maître à Tournai, établi à Paris en 1444. Un acte notarié de 1479 nous apprend qu’il est le père de Nicolas (ou Colin) d’Ypres, dit d’Amiens. Ce dernier serait donc le Maître de Coêtivy, une identification corroborée par la découverte d’une œuvre documentée de Colin d’Amiens, une Mise au tombeau sculptée en 1495-1496 d’après le patron fait par cet artiste, destiné à la chapelle du château de l’amiral Louis Malet de Graville, à Malesherbes (Loiret). Cette œuvre présente bien des affinités avec la Résurrection de Lazare, panneau du Maître de Coëtivy au Louvre.
Les migrations d’artistes septentrionaux vers le royaume de France témoignent de la saturation du marché dans les villes densément peuplées des Pays-Bas, où il ne devait guère être confortable d’être installé à son compte. Beaucoup de ces peintres sont partis en quête d’une meilleure situation matérielle. La période de reconstruction dans laquelle entre le royaume après la guerre de Cent Ans offre bien des débouchés aux artistes. Mais beaucoup ont aussi l’espoir de devenir le peintre en titre d’un puissant, une position qui garantit de revenus fixes (des gages, souvent annuels) et n’empêche pas d’accepter des travaux pour des commanditaires extérieurs. Les cours sont alors itinérantes, mais, comme la pratique de la peinture de chevalet n’est guère compatible avec de trop fréquents déplacements, le cadre de vie et de travail de ces artistes « de cour » reste la plupart du temps un atelier dans la ville, l’une des villes de résidence du prince. Ainsi, de même que Jan van Eyck demeure à Bruges, Jean Fouquet habite à Tours et Jean Hey, le peintre des Bourbons (le Maître de Moulins), à Moulins. Mais Barthélemy d’Eyck, le Maître de l’Annonciation d’Aix, qui semble avoir été très proche du roi René, pour qui il illustra le manuscrit Le Cœur d’amour épris, suit ce dernier dans ses déplacements.
Jean Hey, peintre de cour
Jean Hey, connu aussi comme le Maître de Moulins, actif dans la seconde moitié du XVe siècle, travailla à Moulins entre 1480 et 1500, à la cour de Pierre II de Bourbon. Disciple de Van der Goes, le Maître de Moulins quitta Gand vers 1480 et réalisa en Bourgogne, pour le cardinal Jean Rolin une Adoration des Bergers qui emprunte indéniablement, sur le plan des motifs, à l’œuvre de Hugo van der Goes, que Jean Hey interprète, comme Jean Fouquet, avec un psychologisme moins appuyé et un sens de l’espace et de l’expression plus ample, dus peut-être à une influence italienne. L’influence de l’artiste gantois sur son cadet, se fera sentir jusqu’à la fin de la carrière de ce dernier. Ainsi, l’Annonciation en grisaille du triptyque de Moulins, œuvre tardive de l’artiste, doit beaucoup au Triptyque Portinari. Pendant son service à la cour du roi de France et pour la maison de Bourbon, le Maître de Moulins découvre la peinture française et probablement certaines œuvres de Fouquet. Dans les Portraits des Bourbons avec leurs sains patrons respectifs (Paris, Louvre) et le Portrait de Charles II de Bourbon (Munich), vers 1488-1490, la vision tout à fait monumentale, ainsi que l’usage de vastes fonds aux couleurs nettement contrastées, y atténue le réalisme flamand. L’on trouve la même orientation dans l’Annonciation de Chicago, dans la Rencontre à la porte Dorée de Londres, probablement, à l’origine, au dos des deux panneaux conservés à Paris.
Le commanditaire du tableau, le cardinal Jean Rolin, dont les armoiries figurent à côté, apparaît agenouillé un peu en retrait de la scène. Le paysage du fond, ainsi que les deux bergers, sont empruntés à l’œuvre de Van der Goes.
La recherche de l’artiste se conclut par le monumental Triptyque de Moulins de la cathédrale de Moulins (d’où le nom par lequel il est communément désigné). L’œuvre est centrée sur le contraste entre la Vierge en gloire au centre, se détachant sur des tons froids et selon une mise en pages archaïsante, et les Saints et commanditaires latéraux, choisis dans des registres chromatiques plus larges et plus pleins ; l’effet général est celui d’une harmonie riche et complexe, point de convergence entre l’école flamande et le goût de la Renaissance italienne. Outre des portraits, des tableaux de dévotion et des tableaux d’autel, le Maître de Moulins peindra également des enluminures et participera notamment à la réalisation des Statuts de l’ordre de Saint-Michel (Bibliothèque nationale de France), ouvrage remis en 1493-1494 à Charles VIII.
La Vierge en gloire au centre du triptyque de la cathédrale de Moulins (qui a donné au peintre sa dénomination provisoire), toute resplendissante d’un chromatisme éclatant d’ancienne dérivation française, a une douceur sentimentale, un abandon calme, un rythme formel qui le situe à égale entre le Flamand Gérard David et le peintre lombard Bergognone. Les canons géométriques précis du panneau central, révèle que l’artiste connaît les œuvres de Jean Fouquet et que son style correspond au goût de la cour de France.
Le monumental Triptyque de la Vierge conservé à Moulins fut peint pour le duc Pierre II de Bourbon vers 1498, qu’apparaît sur le volet gauche accompagné de son saint patron ; sur le volet droit figure son épouse Anne de France Les références culturelles du Maître de Moulins sont multiples tant au nord qu’au sud.
Il s’agit du portrait du fils de Charles VIII et d’Anne de Bretagne. Mort en bas âge, l’enfant est représenté lorsqu’il avait un peu plus de deux ans.
Le Maître de Moulins connu différentes identifications. Une inscription latine ancienne au revers de panneau Ecce Homo (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts) nous apprend qu’il fut peint en 1494 par Jean Hey à la demande de Jean Cueillette, trésorier du duc Pierre II de Bourbon à Moulins, avant de devenir par la suite le secrétaire de Charles VIII. On peut supposer que Jean Hey travaillait en 1494 à la résidence des Bourbons et qu’il ne fait qu’un avec le Maître de Moulins qui y fut également actif.
Influences italiennes et flamandes en Provence
La production picturale de l’école provençale a vu le jour dans une région, la Provence occidentale, qui comprend Avignon, Carpentras, Aix-en-Provence, Arles, Marseille et leurs alentours. Au XVe siècle, cette région englobe Avignon, le Comtat Venaissin – possessions des Etats de l’Eglise – et le comté de Provence, alors entre les mains de René d’Anjou (1480). Après le retour définitif des papes à Rome (1417), des marchands et des banquiers, souvent d’ascendance italienne, décident de se maintenir sur place et continuent, aux côtés des légats, des évêques, mais aussi de l’aristocratie, et de la bourgeoisie, à passer commande à des peintres venus du Nord de la France, de la Bourgogne, du Limousin mais aussi des Pays-Bas, d’Espagne, et du Piémont, séduits par l’éclat de ce foyer artistique et d’une contrée idéalement placée au confluent de plusieurs voies importantes. Les documents notariés conservés nous livrent les noms de peintres et de leurs commanditaires. De personnalités comme celle de Nicolas Froment, peintre de cour de René d’Anjou et figure important de l’école d’Avignon où il travailla à partir de 1468, après un séjour probable à Florence, il fut payé en 1477 par René d’Anjou pour un imposant triptyque destiné à l’église des Grands-Carmes d’Aix; ou celle d’Enguerrand Quarton (Laon vers 1410 -activité documentée jusqu’en 1466) , qui marquera ensuite la production provençale, se dit originaire du diocèse de Laon, en Champagne, et a probablement reçu, une première formation flamande. Dès les années 1440, Enguerrand Quarton et le Maître d’Aix, imposent, avec des nuances dues à leur formation et sensibilité respectives, une esthétique originale déterminée par cette lumière intense du midi qui dégage les volumes, simplifie les masses, projette de vigoureuses ombres portées.
Cette très belle « Pietà » provient de l’église collégiale de Villeneuve-lès-Avignon. Le donateur chanoine n’a pas été identifié. Les composantes flamandes de la formation de Quarton, qui a probablement eu lieu dans le milieu du Maître d’Aix, sont visibles dans le dessin gothique des formes; l’expérience méridionale et italienne apparaît toutefois de façon bien plus aiguë dans le modelé et dans la valeur donnée à la lumière. Le climat d’intensité dramatique confirme la fonction déterminante de la peinture italienne dans la culture provençale de la deuxième moitié du XVe siècle, qui reste pourtant liée aux modèles flamands.
Peinte pour la chartreuse du même lieu que « La Pietà », cette très vaste composition est articulée avec un rationalisme rigoureux, où les éléments français et flamands présents sont renouvelés grâce à la clarté de la lumière solaire qui définit les formes. Le commanditaire de l’œuvre, le chartreux Jean de Montagnac, apparaît agenouillé à l’extrême droite du tableau.
Le Triptyque du buisson-ardent, commandé par le roi René d’Anjou pour la cathédrale de d’Aix-en-Provence, révèle l’influence progressive des modèles italiens, aussi bien dans l’admirable paysage du fond que dans l’adoucissement des types et dans le nouveau souffle de la composition.
Sur les panneaux latéraux figurent les donateurs en prière à côté de ses armoiries : à droite Jeanne de Laval, à gauche le roi René en habit de chanoine est entouré de saints dont Marie Madeleine, patronne de Provence. Peintre de cour de René d’Anjou, Froment fut une figure importante dans l’école d’Avignon où il travailla à partir de 1468, après un séjour probable à Florence. Le triptyque avec la « Résurrection de Lazare » (Florence, Offices), signé et daté, s’inspire des modèles bourguignons et flamands à travers une vision spatiale de souche toscane.
Les deux panneaux font partie d’un triptyque qui se trouvait à l’origine dans la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence, constitue une œuvre clé de l’art provençal et napolitain et se trouve au cœur du débat concernant l’influence précoce de l’art des anciens Pays-Bas sur le Sud de l’Europe. Le panneau central représente l’Annonciation dans une église, dans la tradition des modèles anciens provenant de Sienne (exemple Simone Martini) ; à l’intérieur des volets figurent les prophètes Isaïe et Jérémie. Ceux-ci évoquent les grisailles de saints du retable de l’Agneau Mystique également dressés sur des socles dans des niches. Ce triptyque manifestement influencé par Campin et surtout par Jan van Eyck devait à son tour influencer Colantonio. Il fut exécuté pour le compte de Pierre Corpici, drapier ayant souvent œuvré pour René d’Anjou et personnage consulaire de la ville d’Aix, afin d’orner son autel à la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix en 1442 ; Corpici avait versé 100 florins pour cette œuvre.
Le peintre du Triptyque de l’Annonciation n’est pas précisé, mais il s’agit probablement de Barthélemy d’Eyck, dont la présence, ainsi que celle d’Enguerrand Quarton, est attestée à Aix en 1445 ; il demeure au service de la cour de René d’Anjou de 1447 à 1470. Il illustra le roman en vers du roi Le Cœur d’Amour épris de miniatures (1457) qui, en dépit d’une technique et de dimensions différentes, sont étroitement apparentées à l’esprit du triptyque. D’Eyck était originaire du diocèse de Liège, et peut-être un parent de Jan van Eyck ; il n’est pas impossible qu’il ait travaillé comme miniaturiste dans l’atelier brugeois du peintre. Et lorsque Barthélemy fut admis à la cour provençale de René d’Anjou, il le du sans doute à l’entremise de son beau-père Pierre du Billant, lequel avait accompagné le roi à Naples au titre de peintre officiel (1438-1442).
Les personnages avec leurs lourds drapés ainsi que les détails de l’intérieur suggérés de façon rudimentaire font songer aux compositions de Robert Campin : la cheminée maçonnée à laquelle sont fixés des chandeliers et le banc placé devant elle sont des motifs qui se retrouvent dans les différents panneaux regroupés autour de l’Annonciation du Retable de Mérode. En outre, l’image de l’Enfant Jésus habillé est très proche des représentations de Campin et de Van der Weyden. On constate toutefois des différences importantes au niveau du coloris et de la facture, en partie dues à la technique de la détrempe. Se basant sur une série de comparaisons stylistiques importantes avec les miniatures de Barthélemy d’Eyck, c’est à cet artiste que Reynaud (1989) attribue le présent tableau. Pour cet historien, cette Sainte Famille aurait été un travail de commande pour les clarisses de Puy-en-Velay, lié à la fondation du couvent en 1432. Il situe la création de cette œuvre vers 1435, au début de la carrière de Barthélemy d’Eyck.
Le diptyque de Melun de Jean Fouquet
Le diptyque de Melun représente un sommet dans la peinture de Fouquet, dont très peu d’œuvres nous sont parvenues. Formé comme enlumineur et venu sans doute très tôt, par l’entremise des miniaturistes parisiens, à connaître l’Ars Nova des Pays-Bas, Fouquet s’était rendu en Italie dans les années 1440, où il peignit à Rome un portrait du pape Eugène IV. Selon toute apparence, il étudia les fresques peintes par Fra Angelico au Vatican et rencontra Filarete. Sitôt de retour, Fouquet – le futur peintre officiel du roi – réalisa les admirables miniatures du Livre d’heures d’Etienne Chevalier (Chantilly) qui anticipent la monumentalité du diptyque peint peu de temps après. Les œuvres de Fouquet antérieures à son séjour en Italie, surtout les peintures, sont controversées. Le portrait du bouffon Gonella, qui date vraisemblablement de la période après son arrivée en Italie et qui fut réalisé pendant un hypothétique séjour à la cour des Este de Ferrare, se caractérise par un vérisme qui doit beaucoup aux portraits de Van Eyck. Le Diptyque de Melun, par contre, est marqué par la peinture et la sculpture italiennes. Le retable fut placé au-dessus du tombeau de l’épouse du commanditaire Etienne Chevalier, Catherine Budé, dans l’église Notre-Dame de Melun. Le volet droit représente la Vierge à l’Enfant ; le volet gauche, aujourd’hui à Berlin (Staatliches Museum) montre le donateur avec saint Etienne dans un gigantesque vestibule Renaissance, priant la reine du ciel d’intercéder pour son épouse. Les figures, définies dans des termes volumétriques très purs, reprennent l’aplomb monumental de la statuaire et s’intègrent dans un espace d’une sereine densité chromatique. Le cadre du diptyque, perdu, était selon des sources anciennes garni de médaillons en émail ; sur le seul médaillon qui soit conservé (Louvre), Fouquet s’est représenté dans une pose altière.
Cette madone constitue le volet droit d’un diptyque réalisé vers 1450 par Fouquet pour Etienne Chevalier, le trésorier de Charles VII. La Mère de Dieu siège sur un trône orné de pierres précieuses et de plaques d’onyx, l’Enfant Jésus sur les genoux. Sous un manteau d’hermine, la Vierge, que sa couronne désigne comme Reine du Ciel, porte une robe pourpre délacée qui découvre un sein. Des séraphins rouges entourent le trône, qui semble flotter dans les airs. Derrière eux s’avancent les chérubins bleus, qui conduisent les âmes au paradis et qui – selon la légende – transportèrent Marie au ciel après sa mort. La pureté héraldique des couleurs : rouges et bleus sont choisis pour isoler l’image sacrée et en faire une icône éclatante et précieuse.