Michelangelo Buonarroti, Michel-Ange (1475-1564)
Michelangelo Buonarroti, Michel-Ange naquit le 6 mars 1475 à Caprese, en Toscane. C’était le fils d’un modeste fonctionnaire. Il passa son enfance à Florence même, et, hors de la ville, dans une maison de campagne qui appartenait à ses parents. Sa famille, de vieille souche, faisait partie d’une des classes les plus élevées de la ville ; ce qui fut pour Michel-Ange, pendant de nombreuses années, un motif de grand fierté. Fidèle à l’idéal platonicien, il ne se maria jamais, il mena une existence des plus simples, et, contrairement aux autres artistes de son temps, il ne fut jamais avide de richesses. Son père et ses quatre frères furent longtemps à sa charge. La mélancolie était un trait important de son caractère, Michel-Ange était un homme aussi très solitaire.
Ce ne fut que lorsqu’il atteignit la soixantaine, et pendant quelques années seulement, que ses relations amicales avec Tommaso Cavalieri et Vittoria Colonna prirent, à côté de l’activité artistique, une importance déterminante à ses yeux.
» Celui qui d’entre les morts et les vivants détient la palme, celui qui les domine tous, c’est le divin Michel-Ange Buonarroti. Non seulement il excelle dans un des trois arts (sculpture, peinture, architecture) mais dans les trois à la fois. Il surpasse non seulement ceux qui égalèrent presque la nature mais encore les Anciens qui la dépassèrent si magnifiquement » (Vasari).
C’est en ces termes qu’un de ses amis et contemporains, Giorgio Vasari, nous parle de Michel-Ange. Dans ces paroles de louange, il est aisé de reconnaître quelles étaient les tendances et les fins essentielles de cette époque appelé Renaissance, dans une de ses manifestations les plus tardives, qui déversera vers le maniérisme. Artistes, philosophes, princes, s’efforçaient, chacun dans sa branche, d’exprimer à la perfection la réalité terrestre, en opposition à la réalité surnaturelle, la seule que le Moyen Age prît en considération. Ils ne pouvaient trouver leurs modèles que dans les pensées, les actions et les œuvres antiques. L’élite de l’époque cherchait à imiter les Anciens, à répéter les exploits de leurs héros ; à posséder à son tour des qualités qui lui fussent propres, et cela dans tous les domaines.
Parmi les Voyants aux différents caractères et attitudes, l’on reconnaît Jérémie à ses traits d’homme mélancolique : jambes croisées, buste penché en avant, tête inclinée et appuyé sur la main, coude qui pèse sur le genou. On s’est plu à voir dans cet homme qui manifeste toutes ses « amertumes », comme le dit si bien Vasari, un discret autoportrait de Michel-Ange.
Le pape mécène Jules II della Rovere qui fait travailler Michel-Ange par intermittence depuis 1505, le charge au printemps 1508 de peindre la voûte de la chapelle que son oncle Sixte IV a fait construire (vers 1475) puis partiellement décorer (1481-1482) par les artistes les plus renommées de l’époque, florentins pou la plupart, Ghirlandario, Botticelli, Luca Signorelli et le Pérugin entre autres, qui peignirent les parois. Commencée fin 1508 ou début 1509, l’exécution de la grande voûte qui va de l’entrée à l’autel va durer jusqu’à la mi-août 1511 mais la chapelle ne sera rouverte qu’en 1512. Rompant avec la tradition du compartimentage en niches entourées d’éléments ornementaux, Michel-Ange élabore une décoration continue. Tirant parti de l’articulation des retombées de la voûte en pendentifs, tentures et lunettes, il combine et hiérarchise plusieurs registres au moyen d’une architecture en trompe-l’œil : deux corniches longitudinales se rejoignant aux deux bouts sont recoupées par dix arcs doubleaux. Au sommet, de l’autel à l’entrée, un cycle de la Genèse se déroule dans neuf compartiments rectangulaires alternativement grands ou petits (cinq scènes de la création, Le Péché originel et l’expulsion du Paradis au-dessus des clercs, trois scènes de l’histoire de Noé).
Eve est créée à partir d’une côte d’Adam. La main de Dieu se soulève dans un geste d’invitation à sortir du flanc du premier homme abandonné dans son sommeil. Le décor ici est dépourvu de détails superflus. Ce Paradis où devraient abonder plantes luxuriantes et animaux divers est vide et dénudé.
Michel-Ange donne à Dieu une terribilità inédite : visage patriarcal à l’expression courroucée ou sereine, drapés agités ou cape bouffante remplie par une » escorte « , raccourcis, etc. Il invente une gestuelle créatrice des mains visuellement très efficace : Dieu pointe un (ou deux) index lorsqu’il crée à partir de rien, il a les paumes ouvertes lorsqu’il crée par séparation d’éléments.
Dans La Création d’Adam, les lieux sont sommaires : un sol verdâtre redoublé d’un enrochement bleuté, une cape rougeâtre, un fond indéterminé. La limite irrégulièrement descendante de la terre contraste avec la courbe régulière et l’avancée aérienne de la cape divine. Tournés l’un vers l’autre, le créateur et le premier homme se regardent et se tendent un bras, mais l’inertie et la solitude d’Adam contrastent avec l’élan et l’escorte de Dieu. Débordant de leurs lieux respectifs, les membres qui vont à la rencontre l’un de l’autre se détachent sur un ton neutre, ils sont minutieusement dessinés et fortement modelés. Le poignet mû et tombant d’Adam s’opposent au poignet ferme et à l’index tendu de Dieu.
Michel-Ange peint dans la partie centrale de la voûte neuf épisodes tirés du livre de la Genèse, dont trois concernant Noé. Le Déluge est la première scène peinte par Michel-Ange sur la voûte de la Sixtine et celle que lui causera le plus de soucis. Par des raisons techniques tout d’abord : son sublime Déluge fut rempli au fur et à mesure de l’exécution, de moisissures qui se formaient sur le plâtre. Le sujet peint par Michel-Ange implique des très nombreux personnages dans un paysage, lui qui n’avait jamais peint de paysages ou si peu, et c’était la première fois que l’artiste peignait à fresque, lui qui était sculpteur avant tout.
L’histoire se lit de gauche à droite, pour se poursuivre au centre puis au fond avec l’entrée dans l’arche. À gauche quelques familles ont grimpé sur le sommet d’une colline. Une femme et deux enfants, l’un qu’elle tient dans ses bras et l’autre s’agrippant à sa jambe. Une foule s’avance de la rive. Une femme porte une table et plusieurs objets sur la tête, tandis que un jeune homme tient une poêle. Un groupe de personnes s’abrite des rafales de vent sous une tente. Plusieurs personnes tentent de monter dans une barque, qu’elles déséquilibrent ; certains de ses occupants les repoussent à la mer à coups de poing et de massue. En dernier plan, l’arche que Noé a construite pour lui et sa famille et assez grande pour pouvoir abriter toutes les espèces sur terre, afin de pouvoir la repeupler (ainsi lui avait ordonné Dieu), après le Déluge.
Dans l’épisode l’Ivresse de Noé, le thème de cette scène est moins l’Ivresse de Noé – péché condamné par les Pères de l’Église – que son invention de la fabrication du vin, ici symbole du sang dans l’Eucharistie, et aussi la dérision, qui anticipe celle du Christ moqué par les soldats, comme Noé fut moqué par ses enfants dans sa pose d’homme ivre. À peine relevée du Déluge, l’humanité s’attache obstinément au mal. Ainsi commence la longue pérégrination du peuple élu en quête d’une nouvelle alliance avec Dieu. C’est pourquoi cette scène clôt le cycle central pour servir de transition à l’attente du Messie, traitée dans les autres parties du plafond, c’est-à-dire dans les écoinçons et les lunettes avec les portraits des Ancêtres du Christ.
Après le Déluge, le vieux patriarche plante une vigne. Il en tire du vin, recueilli dans la grande cuve du milieu, et s’enivre, s’abandonnant, dévêtu, au sommeil.
Les Prophètes et les Sibylles
Sur les pendentifs, les doubleaux se prolongent en trônes qu’occupent douze Voyants ou Devins (sibylles païennes et prophètes juifs). Si les prophètes et les sibylles sont surdimensionnés par rapport aux autres personnages, c’est pour alourdir la retombée des arcs autant que pour introduire un ordre dans la lecture des fresques. En effet, ces figures de Voyants qui avancent en saillie initient la narration, comme si les images étaient nées de leur méditation et de leur sagesse. Les étapes de la Création et de l’histoire du peuple d’Israël deviennent autant de préfigurations des événements à venir, poursuivant le dialogue entre l’Ancien et le Nouveau Testament sur lequel se fonde tout le cycle décoratif de la chapelle Sixtine.
La Sibylle s’apprête à soulever le livre divinatoire, avant de se tourner, s’assure de son appui en regardant son pied droit. Elle est accompagnée, comme les autres Voyants, de deux petits assistants ou génies, dont l’un désigne l’ouvrage, dirigeant ainsi l’attention sur le geste de la Sibylle.
Le coloris reste fidèle à la tradition florentine, que l’artiste a assimilée dans l’atelier de Ghirlandaio, et les volumes du corps enveloppé de drapés, renvoient directement à Giotto, à Masaccio et à Donatello. La lumière, qui vient de la gauche, éclaire la rondeur de la nuque découverte et les pages du livre des prophéties, laissant dans l’ombre le visage absorbé. Ici Michel-Ange représente une paire d’enfants plongés eux aussi dans la lecture.
De même que les prophètes annoncent le royaume du Christ, les sibylles se prononcent sur les destinés de l’Empire romain. Les uns et les autres proclament métaphoriquement, l’avènement du temps de Jules II, quand la nouvelle Rome chrétienne renaîtra de la cité antique. Les craquelures de la fresque donnent encore un air plus réaliste, à la peau déjà tannée par l’âge, de la terrible sibylle.
Les histoires des Voyants
Dans les quatre écoinçons ou pendentifs d’angle de la voûte sont représentées quatre scènes invoquant le salut du peuple d’Israël, qui paraissent surgir des textes que lisent les Voyants, puisque, selon les visions prophétiques, le salut ne doit s’accomplir qu’avec la venue du Messie. Ces angles en raison de sa complexité structurale représentaient un défi de composition à l’artiste. La scène David et Goliath en raison des angles incurvés de la voûte présentait une difficulté sur le plan de la composition : la rencontre de deux cantons des voûtes risquait de créer une zone d’ombre. Michel-Ange a résolu le problème en insérant une partie très éclairée à cet endroit. L’axe de la composition passe par l’épaule de David et celle de Goliath, qui ressortent en pleine lumière, laissant les côtés dans la pénombre.
La figure de David, incarnation de la justice divine, est utilisée sur le plan politique, pour la revendication d’une légitimité. Ainsi, à Florence, son statue de David (ainsi que celle de la Judith de Donatello) était devenue l’emblème de la République. Le personnage de David, modèle d’humilité, de sagesse et de force (de même que la figure du prophète Zacharie, au milieu), adressent un avertissement moral au visiteur de la chapelle.
Sculpteur avant tout, Michel-Ange emploie le corps humain comme outil plastique prioritaire : il dote les corps d’une forte plasticité, exploite à fond leurs possibilités expressives. Dans Le Supplice d’Amman de l’un des pendentifs, la figure d’Amman compte sans doute parmi les inventions les plus audacieuses de Michel-Ange, qui en réalisa de nombreuses études. À la symétrie du corps en X, s’ajoute un croisement qui creuse l’espace en profondeur, formé par la jambe droite et le bras gauche projetés en avant, tandis que les deux autres membres sont rejetés en arrière en un tension extrême dans ses tentatives pour se libérer de la douleur. À droite, on voit le roi couché, dans la pose d’un dieu fleuve.
Divers personnages de l’Ancien Testament suggèrent probablement une » généalogie spirituelle « , depuis la création du monde jusqu’au Christ. L’histoire du châtiment d’Amman, qui voulait faire exterminer tous les Hébreux de Perse, est relatée dans le Livre d’Esther, figure féminine qui, à l’instar de Judith, préfigure la Vierge Marie et l’Église. La scène se passe dans le palais du roi Assuérus, l’époux d’Esther. Le roi écoute la lecture qu’on lui fait du livre de Annales, et ordonne à son vizir Amman, qu’on honore la loyauté du juif Mardochée, oncle de la reine. Mais Amman désobéi et ordonne un décret pour l’extermination des juifs. Il sera crucifié à la potence qu’il avait préparée pour Mardochée.
Les personnages des lunettes son des symboles plutôt que comme le portrait fidèle des personnes dont les noms sont inscrits sur les panneaux. Ils sont assis sur de blocs de pierre, appuyés contre l’embrasure semi-circulaire des fenêtres. Toutes les positions d’un corps dans l’espace sont répertoriées.
Dans cette lunette de Naassôn, l’une des dernière à avoir été exécutées, deux figures de profil tournées vers l’entrée ne quittent pas de jeux l’objet qui retient leur attention. À gauche, une femme, les cheveux longs retenus en queue, vêtue de rose et de vert, se contemple dans un petit miroir ; à droite, le jeune Naassôn aux boucles blondes, enveloppé dans un manteau rouge, fixe un livre posé sur un pupitre. La pose de la jeune femme est peut-être inspirée d’une sculpture antique ; celle presque allongée, du jeune homme est en réalité la même que l’autre mais basculée de quatre-vingt-dix degrés.
Les deux personnages de cette lunette s’opposent nettement : l’homme, Aminadab, hiératique, pose frontalement, immobile, le regard perdu dans le vide et les cheveux en bataille, tandis que le femme, probablement son épouse, est tout en souplesse et en mouvement ; elle coiffe sa longue chevelure, une jambe ramenée sur l’autre, le buste et la tête inclinés, son visage tourné vers le spectateur. Il se dégage d’eux, une impression d’incommensurable ennui.
Les Ignudi
Juchés sur les ressauts qui marquent la rencontre des corniches et des doubleaux, de grands nus masculins aux musculatures athlétiques et aux visages androgynes, les Ignudi, maintiennent, dans des postures variées d’effort, les guirlandes de chêne qui exaltent le commanditaire et les linges auxquels sont accrochés les médaillons de bronze. Par leurs contorsions, ils expriment les forces contraires qui animent l’architecture feinte. Dans la logique de l’interprétation du néo-platonisme par Michel-Ange, leur beauté idéale constitue un accès direct au divin par le ravissement qu’elle déclenche. Un dessin préparatoire à la sanguine pour l’un des Ignudi qui cantonnent La Séparation des eaux montre bien le travail du sculpteur : les rehauts de blanc évoquent les reflets de lumière sur le marbre. En redonnant aux couleurs leur vivacité, la restauration des fresques a remis en valeur l’allure statuaire des corps. La voûte connaît un succès immédiat et durable auprès des artistes. Sebastiano del Piombo combine plusieurs de ces Ignudi dans le Polyphème qu’il peint à la Farnésine en 1511-1512 pour le banquier Agostino Chigi. Les maniéristes s’inspirent souvent des flexions et des » inhibitions » des figures, mais les nus ont vite été critiqués pour leur inconvenance. Le pape Adrien VI d’Utrecht, qui règne en 1522-1523, compare la chapelle à un bain public (stufa d’ignudi). Ces nus, installés face aux grandes scènes bibliques, sont nés des visions des Voyants. Ce sont les incarnations des ultimes prophéties.
Les Ignudi, ces vingt jeunes gens ont aussi par fonction de porter les guirlandes de feuilles de chêne et de gros glands, qui non seulement renvoient au blason des papes Della Rovere (Sixte IV et Jules II) mais symbolisent l’âge d’or et représentent l’Empire romain. Les dix médaillons ou boucliers furent réalisés non pas à fresque mais à sec, avec de rehauts dorés.
Le Jugement Dernier : terribilità et furor divinus
En 1534, Michel-Ange s’établit à Rome et y demeure jusqu’à sa mort en 1564. Le nouveau pape Paul III Farnèse ayant repris un projet de Clément VII, le 10 avril 1536 Michel-Ange entreprend de peindre sur le mur de l’autel de la chapelle Sixtine un Jugement dernier : le travail est achevé le 18 novembre 1541 et dévoilé au public le jour de Noël. Ne préservant ni les fresques ni l’autel du Pérugin ni ses propres lunettes, il crée une composition d’un seul tenant sur toute la hauteur de la paroi.
Autour du Christ, qui revient à la fin des temps, jeune, athlétique, imberbe comme un Apollon, toute une humanité, nue, est en branle, hésitante, aspirée en haut ou repoussée en bas, vers Charon, debout sur une barque, qui précipite les damnés vers un enfer qui ne peut être que celui de Dante. La dernière restauration a permis de retrouver les couleurs claires primitives, qui témoignent d’une continuité avec le chromatisme cher au premier maniérisme, mais l’élégance sinueuse des contours florentins est abandonnée par une ampleur plastique plus monumentale.
Michel-Ange peint, dans un halo de lumière qu’il substitue à la mandorle traditionnelle, le groupe central de Jésus et de Marie, moteur de toute la composition.
L’artiste s’inspire essentiellement de La Divine Comédie de Dante. Les damnés tombent, dit Dante, » comme en automne les feuilles s’envolent l’une après l’autre « . C’est bien ainsi que les représente le peintre, se bousculant pour sortir de la barque de Charon et tomber entre les griffes des démons qui harponnent les plus réticents. Michel-Ange atteint dans cette scène un sommet jamais surpassé de terribilità, effet grandiose suscitant une admiration mêlée de terreur, que ses contemporains ont considéré comme une nouveauté dans l’œuvre de Michel-Ange.
Saint Barthélemy tient d’une main le couteau avec lequel il fut écorché vif, et de l’autre sa peau dans laquelle on a voulu voir un autoportrait de d’artiste.
Après cela, Michel-Ange revint à la sculpture, à l’architecture et à la poésie, mais ses dernières leçons picturales furent méditées par l’Europe entière. » On ne contemple pas ces réalisations sans être troublé en pensant à ce que sont par comparaison les peintures passées ou futures des autres. Époque bénie, et heureux souvenir, pour qui a vu la merveille étonnante de notre siècle « , écrit Vasari en se rappelant sa découverte du Jugement dernier au retour de Venise. Vers 1540, se multiplient les signes d’un tournant culturel. Tandis que les livres d’architecture de Serlio (1537 et 1540) assurent le triomphe du langage classique de la haute Renaissance romaine, les Florentins mettent an point une maniera grande, un style laudatif qui convient au décor peint des grandes demeures, qui tente de gagner même Venise ; mais la spécificité vénitienne reste éclatante et Titien apparaît comme le seul capable de parler d’égal à égal avec Michel-Ange.
dernière mise à jour : 25-04-2021