Masolino da Panicale et la tradition courtoise
Masolino da Panicale (Tommaso di Cristoforo Fini) Panicale di Valdarno 1383 – Florence 1440. On connaît peu de chose sur sa formation, même si l’influence exercée sur lui par Ghiberti est indiscutable. Il travailla à Florence, où il collabora avec Masaccio ; en 1425 il fut invité à la cour de Hongrie. Présent à Rome entre 1425 et 1428, en 1435 il était à Castiglione Olona, où il peignit à fresque le baptistère et la collégiale. Malgré le voisinage opprimant du génie révolutionnaire de Masaccio, l’on voit que Masolino n’en continuait pas moins à peindre selon la tradition d’un monde courtois dans des tons harmonieux et doux (vert, rose et havane) d’une fraîcheur printanière.
Masolino est l’une des victimes les plus notables du sérieux de la critique d’art. Parce qu’il fut l’assistant de Masaccio pour la chapelle Brancacci, ses fresques sont le plus souvent traitées du point de vue de leur attribution, les « bons morceaux » étant attribués à Masaccio ou à son influence. Son œuvre à Castiglione d’Olona et à San Clemente de Rome confirme au contraire que cet artiste délicieux fut particulièrement sensible à l’originalité du gothique international. Fasciné par la perspective artificielle, il en joua au point de percer de « trous » dans la muraille ou de créer des espaces pour le plaisir. Ses colonnades semblent plonger dans les profondeurs à une vitesse foudroyante. Ses intérieurs emboîtés révèlent la grille abstraite qui lui servit à créer les espaces géométriques sur lesquels ses figures gracieuses se promènent, oublieuses de tout.
Dans cette œuvre, des constructions à arcades du XVe siècle s’unissent à des paysages d’un charme lumineux nouveau, en prélude à Domenico Veneziano. Au même temps Masolino présente un type de femme au long col dont l’allure fit impression à l’époque. Les œuvres de Castiglione d’Olona sont ravissantes aussi de lignes et de couleurs. Il s’y montre un maître possédant un style propre, très différent de celui de Masaccio.
Ce sont les architectures classiques où se déroule la scène qui prévalent dans cette composition : la longue loge en perspective à droite et le pavillon d’Hérode à gauche, décoré d’une frise qui s’efforce d’être à l’antique. Les personnages se pressent au premier plan dans la scène du « Banquet d’Hérode » (à gauche), tandis qu’à l’arrière-plan, dans les montagnes, se déroule la « Mise au tombeau de saint Jean ». Les recherches sur la perspective de Masolino s’ajoutent à l’élégance des personnages et dans les gammes de couleurs claires et délicates, qui rappellent les atmosphères féeriques du style courtois.
Masolino et Masaccio : Les fresques de la chapelle Brancacci
La chapelle, située à droite du transept de l’église de Santa Maria del Carmine, était dédiée à la Madonna del Popolo (Madone du Peuple). Felice di Michele Brancacci fut patron de la chapelle de 1422 à 1436, comme en témoigne son testament. Felice fut un représentant de la classe dominante de Florence et on lui confia d’importantes fonctions publiques. Également titulaire d’une société spécialisée dans le commerce de la soie, il épousa en 1433 Lena, fille de Pala Strozzi. Personnage riche et puisant, il fit décorer la chapelle en 1423 à son retour du Caire, où il avait été nomme ambassadeur. Les travaux furent sans doute entamés en 1424, au moment de la collaboration de Masolino et de Masaccio, et se poursuivirent jusqu’en 1427 ou 1428, date à laquelle Masaccio partir pour Rome, laissant le cycle inachevé. Roberto Longhi se plaît à imaginer les « querelles bruyantes » qui opposèrent les deux peintres florentins perchés sur leur échafaudage, le robuste Masaccio terrorisant Masolino, nettement plus frêle et plus âgé.
Médaillon découvert en 1984 dans l’ébrasement de la fenêtre géminée d’origine de la chapelle Brancacci. Un autre portrait en médaillon, réalisé par Masaccio a été retrouvé dans le même endroit. N’ayant subi aucune transformation lors de précédentes restaurations, ils ont fourni un précieux témoignage quant à la pureté originelle des couleurs et de la lumière.
Dans cette scène, Masolino représente l’instant qui suit immédiatement le miracle : Tabhite est assise les yeux ouverts, alors qu’autour d’elle les personnages réagissent à l’événement avec une variété de sentiments qui vont de la peur au respect, à l’étonnement. Mais bien que le peintre s’efforce de bâtir une scène correcte du point de vue de la perspective (toutes les projections orthogonales convergent en effet en un unique point de fuite), la scène reste sans unité structurale, étant organisée en une série d’épisodes détachés. La présence (à gauche) des deux jeunes hommes élégants qui, sans aucun rapport avec l’événement miraculeux, se promènent dans la rue, ne fait qu’accentuer l’impression d’une juxtaposition des scènes. Il faut cependant souligner l’effort pour rendre actuelle l’histoire sainte : les deux jeunes gens arborent en effet des vêtements contemporains, à la dernière mode, et même le paysage urbain du fond n’est pas fantastique, mais il reflète l’aspect que devait avoir Florence au Quattrocento. Les détails comme le linge étendu aux fenêtres, la petite cage de l’oiseau, le chat qui marche sur la corniche, ne sont pas seulement de très beaux morceaux de la réalité, mais affermissent ce lien avec le monde contemporain.
Les deux panneaux étant situés dans l’arc d’entrée de la chapelle, ils se prêtent à une comparaison entre le style des deux peintres. Sveltes et élégants, nos premiers parents peints par Masolino étaient entourés, à l’origine, d’un pré, qui n’est plus visible aujourd’hui. À côté d’eux, le serpent s’enroule autour de l’arbre du bien et du mal, représenté par un figuier. Leurs visages idéalisés et leurs corps gracieux s’éloignent manifestement des figures massives et réalistes de Masaccio. Même si les modèles dont s’inspira le peintre sont des statues classiques, le résultat n’est pas une composition conventionnelle : la honte d’Adam s’abrite dans le geste de cacher son visage de ses mains, tandis que la douleur d’Ève est un cri, poussé à l’extérieur. Les rayons dorés qui sortent de la porte du paradis symbolisent la volonté divine, qui condamne les deux pécheurs à la vie terrestre. Malgré la gravité de leur péché, nos premiers parents peints par Masaccio ne perdent pas leur dignité humaine, alors que les ombres parallèles dessinées par leurs corps sur le pavement confirment la matérialité de leurs corps.
Tommaso di ser Giovanni di Mone Cassai, dit Masaccio (San Giovanni Valdarno 1401 – Rome 1428), arrivé très jeune de son Valdarno natal à Florence, il entra peut-être dans le cercle de Masolino, beaucoup plus âgé que lui. Il semble que les rapports entre les deux ne furent pas ceux du jeune apprenti en face du maître, mais ceux d’un jeune artiste novateur qui trouve sa place comme collaborateur indépendant. Jusqu’à Masaccio, la ligne domina la couleur. Seule l’intuition fit placer la figure dans l’atmosphère. Masaccio s’est-il rendu compte de sa trouvaille ? Esprit en qui s’est déposée la science constructive des Florentins, Masaccio découvrit la troisième dimension : le relief. Giotto ne percevait qu’un paysage à deux dimensions. Ses successeurs cherchent à tâtons la sensation de l’espace, jusqu’à ce qu’un jeune homme porte son attention sur l’aura enveloppant le corps d’Adam. Masaccio fut, avec Brunelleschi et Donatello, beaucoup plus âgés que lui, le troisième grand innovateur de l’art de la Renaissance florentine du XVe siècle. Les données de sa révolution naturaliste sont d’abord le nouveau sens de l’espace, rigoureusement défini selon les récentes lois de la perspective scientifique (« Trinité » à Santa Maria Novella), ensuite l’incidence de la lumière qui, partant d’une source bien définie, détermine avec la profondeur des ombres le relief des corps (« Scènes de la vie de Saint Pierre, Adam et Ève chassés du Paradis » de la chapelle Brancacci) ainsi que l’intensité émotive, sévère et contenue des visages. Dans l’Ombre de saint Pierre guérissant les malades, la rue en perspective est bordée par des maisons médiévales typiques de Florence, comme on pouvait en voir notamment dans le quartier de San Felice in Piazza qui possédait alors une tour de guet, mais également par un superbe édifice bossagé dont le bas évoque le socle supérieur du Palazzo Vecchio. Cette exacte répartition géométrique on devait la retrouver sur de nombreuses façades à venir, mais aussi chez Masaccio.
Masaccio illustre en trois temps cet épisode de l' »Évangile selon saint Mathieu » sur une scène unique: au centre, la requête de l’impôt et la réponse immédiate de Jésus qui indique à saint Pierre comment se procurer le statère nécessaire; à gauche, la pêche et l’extraction de la monnaie de la part du saint de la bouche du poisson, sur les rives du lac de Génésareth; à droite, devant la maison, saint Pierre remettant le tribut à l’exacteur de l’impôt. Le réalisme de la scène a depuis le début frappé l’attention de tous. Un réalisme de type nouveau qui caractérise aussi le panorama des collines et des montagnes, toutes mises en relief par des maisons rustiques, des arbres ou des haies suivant une perspective en raccourci dont s’inspireront plus tard Paolo Uccello, Domenico Veneziano et Piero della Francesca. Les personnages son adaptés librement du monde classique, drapés à la grecque dans des tuniques serrées à la taille et des manteaux jetés sur l’épaule gauche et retombant sur l’avant-bras.
Fra Angelico : de San Marco à Rome
Fra Angelico (Guido di Pietro), Vicchio, Florence vers 1395 – Rome 1455, à l’âge de vingt ans prit le nom de Giovanni entrant au couvent de Saint Dominique à Fiesole. Il y séjourna de 1418 à 1436, année où Cosme de Médicis fit descendre les Dominicains à Florence, pour les rapprocher de lui, dans le couvent reconstruit par Michelozzo. Pendant les années de la reconstruction du couvent de San Marco, Angelico et Michelozzo ont certainement été en contact étroit. Les fruits de cette collaboration sont les fresques du couvent, dont le cadre doit son effet à l’utilisation des intervalles d’espace tout comme dans le cloître et dans la bibliothèque de Michelozzo. Le pape Eugène IV bénit le cloître en 1442, mais nous ne savons pas en quelle année les fresques de San Marco furent commencées. À partir de 1437 ou 1438 Angelico s’occupe surtout du « Retable de San Marco » pour le maître-autel de l’église, une œuvre importante où l’on ne trouve aucune trace de l’assistance de son atelier. Si le retable ne fût achevé qu’en 1440 où 1441 il est possible que les fresques aient été commencées à cette époque. Ensuite Angelico peignit à fresque le dôme d’Orvieto.
Une des plus belles fresques autographes est l' »Annonciation » de la troisième cellule. Dans la fresque, nous trouvons aussi dans une sorte de cellule, close par un mur aveugle, qui a la double fonction de fournir un arrière-plan pour les personnages et d’empêcher que l’esprit ne s’évade au-delà des limites de la scène. Les chapiteaux des deux colonnes qui sont couverts par les ailes de l’ange sont un exemple typique d’une tendance à éliminer tout détail étranger à la scène. Dans sa théorie sur l’architecture, Alberti distingue entre beauté et ornement, l’une provenant d’un système de proportion harmonieuse et l’autre se composant de colonnes et autres décorations de la construction. Le soin que met Angelico, dans les fresques des cellules, à éviter toute composante architecturale qu’Alberti aurait considérée comme étant ornementale ainsi que son adhésion solide à un système d’harmonie visuelle, nous permet de penser qu’il préparait déjà, à San Marco, une distinction de ce genre.
Cette grande fresque en arc remplit tout le mur nord de la salle. Vasari nous renseigne sur le programme et nous raconte que Angelico avait reçu des instructions de Cosme de Médicis afin qu’il peigne la Passion du Christ sur un mur de la salle du chapitre. D’un côté nous avons les Saints qui ont fondé ou qui ont été à la tête des ordres religieux, affligés en larmes au pied de la Croix, de l’autre côté se trouvent saint Marc l’évangéliste, la Mère de Dieu, évanouie à la vue du Sauveur crucifié, les Saintes femmes qui la soutiennent et saint Cosme et saint Damien (saints Patrons des Médicis) ; il paraîtrait que ce dernier est un portrait de l’ami d’Angelico, Nanni di Banco, le sculpteur. Le thème de cette œuvre est expliqué dans les phylactères que tiennent les prophètes qui se trouvent dans la bordure décorative qui entoure la scène. Les poses de Saintes femmes nous rappellent les poses pathétiques des Saintes Femmes de Giotto, dans la « Déposition » de Padoue.
La figure majestueuse de Christ, les bras étendus dans une pose qui préfigure la Crucifixion, se découpe contre un disque de lumière. En dessus les trois apôtres sont accroupis dans des poses qui indiquent leur stupéfaction et leur effroi.
À partir de 1446, Fra Angelico est à Rome pour peindre les fresques de la petite chapelle de Nicolas V au Vatican représentant les « Histoires des saints Étienne et Laurent ». La cour de Nicolas V représentait, avec ses amples horizons intellectuels, un monde nouveau, dont nous pouvons retracer l’impact dans les fresques de la chapelle Papale. Ces fresques représentent le dernier chef-d’œuvre de l’Angelico. Le récit atteint un caractère à la fois épique et serein, avec des actions au déroulement calme, dans un cadre architectural d’inspiration sobrement antiquisante. Au cours des années qu’il passa à Rome en travaillant dans les appartements du Pape, Angelico a sûrement été en rapports étroits avec celui-ci. Vespasiano da Bisticci écrit que « tous les savants du monde vinrent à Rome à l’époque du Pape Nicolas, certains d’entre eux de leur propre initiative et d’autres sur invitation du souverain pontife qui désirait les voir à sa cour ». En 1449 Fra Angelico est revenu à Florence comme prieur dans le couvent qui l’avait reçu novice. Lorsqu’il meurt en 1455, Angelico est le peintre florentin le plus influent. Ses œuvres sont empreintes d’une tendresse, qui donnent une expression réelle à la vertu mystique de la charité et qui ne sont ni troublées par des intérêts profanes ni teintés du moindre doute.