La manière « très douce et si unie »
Vasari a défini la peinture post-giottesque comme « une manière très douce et si unie« , qui n’eut pourtant pas beaucoup d’adeptes à Florence, où prévalut le style d’Orcagna (Andrea di Cione). Toujours selon Vasari, cette manière de peindre (« del dipingere dolcissimo e tanto unito »), sera portée ensuite aux plus hauts sommets par Giottino, fils du peintre Steffano. Dans la première édition de ses Vite, Vasari s’exprime ainsi à propos de Giottino : « Qui a l’habitude de prendre pour modèle des choses obscures et inusitées et de montrer en celles-ci la difficulté du « faire » révèle la clarté de son esprit dans les ombres de la couleur ; et qui travaille les couleurs délicates et douces, et pense les rendre plus agréables aux yeux de la délectation, fait de même et attire aisément à soi les âmes de la majorité des hommes. Mais qui peint et remet à leur place de façon unie les lumières, les couleurs et l’ombre des figures, mérite de très grandes louanges et démontre l’adresse de son esprit et les réflexions de l’intellect : comme le montra toujours en peinture, d’une manière douce, Tommasso di Stefano, appelé Giottino et élève de Stefano, son père ».
Giotto di maestro Stefano, dit Giottino
Giottino est documenté à Florence de 1360 à 1369. Fils du peintre Stefano, il appartient à la première génération des disciples de Giotto; il fut confondu par Vasari avec Maso di Banco, dont les fresques de la chapelle Bardi de Santa Croce à Florence lui furent longtemps attribuées. Les œuvres autour de lesquelles il est possible de reconstituer sa personnalité est la Pietà autrefois à San Remigio et que Vasari loue comme l’œuvre la plus raffinée et la plus parfaite de Giottino, et la fresque autrefois dans le tabernacle de la Via del Leone à Florence qui est « postérieure aux autres ». Ces deux peintures de Giottino sont, non seulement les plus grandes mais aussi les plus significatives du troisième quart du Trecento florentin, et qu’elles placent leur auteur au sommet d’un dialogue commencé par Giotto et poursuivi par Stefano, Puccio Capanna et Maso di Banco. Le dernier parmi tant de talents, Giottino, s’élève à la même hauteur mais dans un sens opposé à l’orientation absolument divergente et régressive prise par Orcagna.
Ce « Tabernacle », autrefois Via del Leone à Florence et la « Pietà de saint Remi » attestent une interprétation particulière de la forme giottesque, orientée (probablement en relation avec un séjour en Lombardie et en parallèle avec l’activité florentine de Giovanni da Milano) vers un chromatisme délicat et raffiné, et vers une accentuation du pathétisme des personnages. »Et il travailla à la fresque…, sur le canton du couvent, ce tabernacle qui s’y voit, avec Notre Dame entourée de divers Saints, et qui dans l’exécution des têtes et de quelques détails importants dérivent de « la manière moderne », parce que l’artiste cherche à nuancer les carnations et à varier les couleurs et le traitement des drapés de toutes les figures, avec grâce et jugement ».
Le souvenir de Giotto est vivant dans le personnage du Christ, d’une extrême douceur dans l’aspect et le modelé, dans le drapé, dans la gamme rare du coloris;le sfumato des ombres et des teintes dégradées (les coloris ont été obtenus en mélangeant des matériaux tendres et précieux), l’intensité calme des sentiments, la composition qui isole le geste grave de chacune des figures, s’apparentent aux fresques d’Assise et à celles de Maso à Santa Croce.
Giovanni da Milano
Giovanni da Milano (Caversaccio, Côme, documenté vers 1320-1370) fut actif en Lombardie et en Toscane dans le deuxième et le troisième quart du XIVe siècle. Les documents attestant son activité en Toscane sont nombreux : en 1346 d’abord, puis en 1363, où il est mentionné dans les registres de la corporation des médecins et des pharmaciens de Florence. On suppose qu’il résidait dans cette ville depuis plusieurs années puisque, le 22 avril 1366, la citoyenneté florentine lui fut accordée. Bien que son parcours artistique se soit déroulé en grande partie en Toscane, on pense que l’activité de Giovanni débuta en Lombardie, au sein du courant giottesque, attesté à Milan autour des années 1340. C’est en Lombardie que Giovanni entre en contact avec l’art gothique, par l’intermédiaire de l’enluminure française et bolonaise, et par ses rapports avec la cour papale d’Avignon. À Florence, entre 1363 et 1369, il peignit le Polyptyque Ognissanti (pour le maître autel de l’église homonyme, en sept volets), où apparaissent des éléments typiquement gothiques, dans l’intérêt pour la mode, le réalisme des portraits, la complexité du rituel représenté. Il exécuta entre 1365 et 1369 les fresques de la basilique Santa Croce. Son éloquence mystérieuse et son acuité optique, typiquement septentrionales, que le peintre de Viterbe nourrissait depuis ses origines gothiques d’Orvieto, apparaissent dans sa sublime Pietà peinte en 1365 à Florence par le maître lombard. Certains documents témoignent de sa présence à Rome entre 1369 et 1370, où il aurait travaillé aux fresques de deux chapelles du Vatican, avec Giottino, Giovanni et Agnolo Gaddi et, sans doute, Matteo Giovannetti.
La chapelle Rinuccini de Santa Croce fut fondée et décorée à fresque par disposition testamentaire de Lapo di Lizi Guidalotti, mort en 1350. Les fresques furent commandées à Giovanni par les capitaines d’Orsanmichele, à qui le défunt avait fait un legs considérable. Giovanni da Milano peignit la Vie de la Vierge sur le mur gauche, et la Vie de Marie-Madeleine sur le mur de droite. Dans les deux lunettes, sont représentés Joachim chassé du temple et le Repas dans la maison de Lévi. Au milieu des splendeurs formelles de la peinture locale, on nomme Giovanni le Lombard par ses gammes de couleurs brillantes, par les rouges, les bleus, par l’intense tonalité des verts et des jaunes, par la diffuse couleur rosée des carnations des personnages, avec de visages incroyablement humains. Ce cycle fut réalisé presque entièrement à buon fresco et les surfaces peintes en une seule journée étaient vastes. Giovanni exécuta personnellement une grande partie du cycle, avec une rapidité et une maîtrise surprenantes, en transposant des méthodes caractéristiques de la peinture sur panneau et de l’enluminure.
La solennelle procession des personnages dans une charmante succession de couleurs, de pureté des lignes que caressent surtout les figures délicates des vierges habillées suivant la dernière mode de l’époque, avec une harmonie de blancs et de noirs.
Sur les fresques de la chapelle Rinuccini, les figures humaines contribuent à définir l’espace. La palette lumineuse, le goût pour les détails, les matériaux précieux, annoncent le gothique international. Giovanni effectua une synthèse originale entre le style de Giotto et les courants gothiques français, avec des traits typiquement lombards : l’attention aux éléments naturels, l’étude des sentiments et le goût de la narration.
Cette scène a été interprétée comme un exorcisme silencieux, exécuté par le Christ pour Marie-Madeleine en train de lui laver les pieds. Les diables qui jaillissent du toit de la salle du repas, pareils à un essaim, font paraître monstrueux le péché qui avait noirci l’âme de la pécheresse repentie avant qu’elle n’obtienne son pardon. Le fait que l’on puisse voir l’engeance infernale, même dans le cadre d’une histoire pas diabolique du tout, montre de façon exemplaire à quel point le couvent franciscain et le peintre choisi avaient été, entre-temps, « contaminés » par la pensée doctrinale manichéenne des dominicains.
Il s’agit d’une composition sévère, où les figures – droites grandeur nature et présentées de trois quarts – sont réunies pour former un seul bloc. Les larmes de Marie et de Marie-Madeleine sont restituées grâce à une peinture en relief. Le peintre s’attarde minutieusement sur des détails propres à la Pietà, pour accentuer le contenu émotionnel de l’image : par exemple, le sang coagulé qui sort du flanc du Christ. La critique parle du coloris pâle, terreux mais de nuances si douces qu’il rappelle les finesses de la Pietà de Giottino.
Andrea di Cione, dit Orcagna
Andrea di Cione, dit Orcagna – surnommé Arcagnolo par ses contemporains – (Florence vers 1320-1368) est l’un des représentants majeurs de l’art florentin du milieu du XIVe siècle. Peintre, sculpteur et architecte, il travailla principalement à Florence où, entre 1343 et 1346, il fut inscrit à la corporation des médecins et des pharmaciens. Il animera, avec ses frères Jacopo, Matteo et Nardo, le principal atelier artistique florentin après le décès des meilleurs élèves de Giotto emportés par la peste de 1348. Dans son œuvre, il a réussi à créer un équilibre entre les deux tendances artistiques, l’une plus abstraite et conceptuelle, l’autre naturaliste et plastique, liées respectivement au courant spirituel des dominicains et à celui des franciscains. En 1343, il travailla pour la compagnie de Gesù Pellegrino à Santa Maria Novella ; en 1352, il peignit une Madone sur panneau, aujourd’hui perdue. En tant que sculpteur, son œuvre majeure est le majestueux Tabernacle de Orsanmichele (1349/59), baldaquin gothique enrichi de marqueterie et de sculpture, destiné à contenir la Vierge des Grâces, œuvre ultime de Bernardo Daddi. En 1354, Tommasso di Rossello Strozi lui commanda un polyptyque pour la chapelle de famille à Santa Maria Novella représentant le Christ en gloire parmi les Saints. Durant cette période, Andrea fut également engagé sur le chantier de Santa Maria del Fiore. Entre 1359 et 1360, il fut maître d’œuvre de la cathédrale d’Orvieto et, de 1364 à 1367, il continua à prêter son concours, en qualité de consultant, aux travaux de construction de cet édifice. En 1367, il fut chargé de réaliser un retable à deux volets latéraux traitant de la vie de saint Mathieu, commandé pour l’Arte del Cambio, pour l’un des piliers d’Orsanmichele, œuvre qu’acheva son frère Jacopo, peintre lui aussi, en raison de la maladie dont Andrea devait mourir à la fin de l’année 1368.
Le Christ, au centre, est figuré de face dans une mandorle entourée de chérubins. Il tend le livre à saint Thomas d’Aquin, agenouillé à sa droite. Orcagna a éliminé les habituelles colonnettes torses qui séparaient les panneaux simples et unifié la surface peinte, de sorte que même le cadre devient partie intégrante de la composition. À gauche son représentés saint Michel et sainte Catherine d’Alexandrie; à droite, l’un derrière l’autre, saint Paul et saint Laurent. Saint Pierre, à gauche du Christ, reçoit les clés, symbole de l’autorité de l’Église. Marie et Jean-Baptiste se trouvent respectivement derrière saint Thomas et saint Pierre. Les personnages disposés librement, indiquent un retour au style byzantin, loin des formes et volumes et Giotto. La troisième dimension est à peine ébauchée.
Des nombreux panneaux et fresques que mentionnent les documents ou dont parlent les auteurs du passé, il reste peu de chose, à part le Retable Strozzi. Rien ne subsiste des deux chapelles, dans l’église de l’Annunziata, dont il fit les fresques au dire de Ghiberti, ni d’une chapelle à Santa Croce. Dans la nef de Santa Croce, les fragments de ses tre magnifiche storie : le Triomphe de la Mort, le Jugement dernier et l’Enfer, cette dernière fresque étant en grande partie l’œuvre d’assistants. Dans le chœur de S. Maria Novella ont été récemment mis au jour des vestiges de sa décoration : sur les voûtes, des figures des prophètes inscrites dans des quadrilobes. Ces diverses peintures, exécutées surtout par des assistants, fournissent de précieux renseignements sur le style des débuts d’Orcagna.
Ce sont les mendiants désespérés qui invoquent la Mort pour qui les libère de ses peines. Les visages avec de contours âpres et décidés, avec de caractéristiques presque sculpturales expriment une douleur et un dramatisme intenses.
Ce triptyque réalisé pour l’église d’Orsanmichele, représente dans la partie centrale saint Mathieu et sur les volets, les scènes de sa vie. Il fut commencé par Orcagna qui en conçut probablement la composition, mais, comme nous l’apprend un document, il fut achevé par son frère Jocopo di Cione. Le Retable Strozzi est donc l’unique œuvre subsistant entièrement de la main d’Orcagna.
Nardo di Cione
Les formes et idées nouvelles qui différencient la peinture du milieu du siècle des styles antérieurs se font jour, bien entendu, selon des proportions et des combinaisons variées, et toujours dans le contexte du goût et de la créativité individuelle. Nardo di Cione (documenté vers 1343-1346 – mort vers 1365-1366), tend à être aimable là où son frère Orcagna est austère, ou encore suave et sensuel là où l’autre maître est intense et ascétique. Nardo collabora avec son frère Andrea Orcagna pour les fresques de chœur de Santa Maria Novella et du réfectoire du couvent de Santo Spirito à Florence. Outre plusieurs tableaux (Crucifixion, Florence, Offices), on lui doit également les fresques des cloîtres de Santa Maria Novella et de l’église de la Badia ; celles de la chapelle Strozzi à Santa Maria Novella (vers 1350-1355), sont considérées comme son chef-d’œuvre et offrent les représentations du Jugement, de l’Enfer et du Paradis qui reprennent des thèmes de la Divine Comédie de Dante. Les innovations de Giotto ne sont déjà plus qu’un souvenir dans ces œuvres qui se réclament de l’art siennois, de par le goût pour la beauté statique et la richesse de l’ornementation des figures qu’elles révèlent.
Andrea di Bonaiuti, dit Andrea da Firenze
Cet artiste est essentiellement connu pour la décoration de la salle capitulaire de Santa Maria Novella à Florence, appelée chapelle des Espagnols. Andrea di Bonauiti (documenté entre 1343 et 1377) et ses collaborateurs y a peint, entre 1367-1369, l’un des plus importants cycles de la peinture giottesque, notamment par ses implications théologiques et narratives qui tendent à glorifier l’ordre des Dominicains. Buonamico di Lapo Guidalotti fit construire et décorer cette nouvelle salle capitulaire à la mémoire de sa femme Branda, emportée par la peste de 1348. Les fresques traitent de la Rédemption chrétienne grâce à l’œuvre de l’ordre des Dominicains. Cette salle a souvent été utilisée comme tribunal ecclésiastique : en 1374, Catherine de Sienne y comparut pour défendre ses visions mystiques et justifier de ses critiques contre le transfert du siège papal à Avignon. La chapelle reçut le nom de « chapelle des Espagnols » quand, en 1540, elle devient la chapelle attitrée de la cour espagnole d’Éléonore de Tolède, épouse de Cosme I de Médicis. La narration élégante de sa description, s’enrichit de nombreux détails qui décrivent des scènes inspirées de l’histoire contemporaine du peintre. Le projet iconographique, développé sur les murs et sur la voûte de la salle capitulaire, parle du salut au cours des siècles et de sa transmission grâce à la mission assurée par l’ordre dominicain. Le fondateur de l’ordre, le saint espagnol, Dominique de Guzman, est représenté sur la paroi est avec des chiens tachés de blanc et noir, les Dominicains – les domini canes – (les chiens du Seigneur) – chargés de protéger les brebis du Seigneur contre les hérétiques ; saint Pierre de Vérone occupe la paroi sud alors qu’il confond les hérétiques tandis que saint Thomas d’Aquin, sur la paroi ouest, est figuré à côté des arts et des sciences, selon sa pensée. Ces trois saints, tous Dominicains, avaient été depuis peu canonisés par le Pape de l’époque.
Image profondément conceptuelle, théorique et idéologique, le Triomphe de saint Thomas fait face au Triomphe de l’Église et des Dominicains. La fresque est située dans la salle du chapitre du couvent, lieu de réunion et de disputes doctrinales; le programme n’est pas destiné à un vaste public, pas, en tout cas, à un public populaire; établi par les frères du couvent, il figure en fait l’ensemble des idées qui régissent la Somme de saint Thomas. La peinture doit « traduire » le texte en images et la clarté demandée exige une allégorie explicite. Le mur est conçu comme succession paratactique, véritable architecture figurée permettant de visualiser la construction intellectuelle. Il est incontestable que l’on a affaire, en particulier pour les Vertus et les Arts Libéraux, à un ensemble élaboré selon les règles connues des « imagines agentes » des « arts de la mémoire » dominicains. Le chemin est long qui mènera au triomphe de Platon et d’Aristote dans l’Ecole d’Athènes de Raphaël.
La stagnation de Florence (1368-1400)
Après la fin de la grande peste, on eut dit un moment que l’art florentin connaissait une nouvelle conjoncture favorable. Entre 1349 et 1368 furent créés des œuvres comptant parmi les plus riches du siècle, et dont le contenu profond et la solidité artistique ne cédaient en rien aux chefs d’œuvre du courant basé sur l’illusion. Mais à peine étaient-elles achevées que la ville des bords de l’Arno connut aussi une situation comparable à celle de Sienne. Une guerre d’abord avec Pise, puis avec le pape, des troubles intérieurs et une nouvelle dépression économique étouffèrent les gestes donateurs et arrêtèrent, une fois de plus les travaux du Dôme. Le début de cette période de stagnation fut accompagné d’un changement de génération significatif. Nardo di Cione et Taddeo Gaddi moururent en 1366 ; Orcagna, le frère de Nardo, deux ans plus tard. Les documents citent pour la dernière fois le nom de Giovanni da Milano en 1369. Et après 1368, l’on n’entendit plus parler à Florence d’Andrea Bonaiuti, qui leur avait survécu. Cette génération en train de disparaître avait acquis sa maîtrise sous la direction des virtuoses du style naturel franciscain. Même si à ses successeurs, on leur avait encore enseigné comment construire des espaces « réalistes », ils l’oublièrent, puisque le besoin ne s’en faisait plus sentir. Le fils de Taddeo Gaddi, Agnolo, les peintres issus de l’atelier d’Orcagna tels que Giovanni del Biondo, Spinello Aretino et Niccolò di Pietro Guerini se contentaient tous d’un collage à partir des modèles qui avaient représenté pendant des siècles la méthode de composition habituellement pratiquée. Les multiplier, les varier et les adapter à leurs modèles naturels demeurait le bout de toute ambition artistique. Nous voyons ce que cela signifiait pour la peinture historique dans le cycle des légendes de la Croix peint entre 1388 et 1392 par Agnolo Gaddi, dans la principale absidiole de Santa Croce, un don de la famille Alberti ; cette dernière était la plus puissante des familles des marchands qui donnaient de nouveau le ton dans la commune, depuis le coup d’État de 1382. Vers 1370, la tradition « orcagnesque » semblait s’imposer totalement et qui, pendant quelque temps, finit par reléguer Florence au rôle de centre artistique provincial. La ville perdit alors tout lien avec la fonction de centre culturel et de civilisation qu’elle remplissait depuis cent ans. Ce n’est plus que d’une certaine manière qu’elle renverra encore un pâle reflet de cette fonction dans les variantes géniales de l’expérimentation gothique, c’est-à-dire dans les œuvres de Lorenzo Monaco et de Starnina.
Agnolo Gaddi dans ses précoces ouvertures vers la constitution d’un langage tardo gothique de marque florentine, abandonne la solidité structurelle de Giotto.
Agnolo Gaddi, fils de Taddeo, le peintre le plus coté de son époque à Florence eut bien du mal à mettre sur pied quelque chose qui ressemble à une cohérence des volumes dans l’image. Ici l’espace n’est plus étudié comme celui de Giotto, même si ses paysages peut-être dessinés après nature, sont transformés d’une manière poétiquement fantaisiste.
Giovanni del Biondo (documenté à Florence à partir de 1356 – 1398/99) fut peut-être l’élève de Taddeo Gaddi et certainement celui de Nardo di Cione, collaborant avec ce dernier pour les fresques de la chapelle Strozzi à Santa Maria Novella à Florence (vers 1356). Il eut par la suite une activité considérable, aidé à son tour par des élèves pour l’exécution des nombreux retables dont il reçut commande. Tout en restant dans les limites de l’académisme orcagnesque, son style, souvent rustique, ne manque pas de fraîcheur ni d’aisance décorative, surtout durant la première période de son activité. En témoignent, par exemple, les fresques de la Vie de saint François, de saint Pierre et saint Paul à l’église San Francesco de Castelfiorentino (v. 1360), le Retable de saint Jean-Baptiste (Florence, Pitti, donation Contini-Bonacossi), le retable de la chapelle Tosinghi à Santa Croce (1372), celui de la chapelle Rinuccini (1379) dans la même église ou le Martyre de saint Sébastien de l’Opera del Duomo. Parfois, l’artiste fait preuve d’une vraie personnalité par la gaieté de ses polychromies, la souplesse de ses rythmes (Saint Jérôme, musée d’Altenburg) et la vivacité ingénue de son goût narratif (Prédelle de saint Benoît, partagée entre la collection Acton de Florence, le musée de Toronto et la collection Colonna de Rome).
Dans cette predelle, Giovanni del Biondo illustre le goût pour la narration, désireux de faciliter la compréhension du thème sacré avec une ingénue vivacité.
Ce retable conserve des conventions du Dugento dans sa structure générale et dans la stricte frontalité du personnage. Montre un saint Jean-Baptiste farouche, debout sur le corps gisant d’Hérode, qu’il cloue au sol de ses pieds aux longs ongles acérées comme des serres prédatrices. Ces compositions font revivre une convention médiévale ancienne, selon laquelle l’Église démontrait sa victoire sur ses ennemis – ou bien celle des Vertus sur les Vices – simplement, en les foulant aux pieds. Le célèbre passage du Psaume XC sur l’aspic et le basilic était souvent appliqué au Christ, qu’on représentait debout sur ces bêtes malfaisantes ou bien assis sur un trône, comme les saints de Biondo, et les pieds posés sur elles.
Spinello Aretino (Arezzo 1350-1410), est l’élève de Jacopo del Casentino. Il sera influencé par Andrea Orcagna, et l’école siennoise. Terminée en 1387, la sacristie de San Miniato al Monte fut entièrement décorée de fresques par Spinello, aidé par son fils Parri, sur commission testamentaire de Benedetto degli Alberti, riche gentilhomme florentin en exil, qui voulut ainsi honorer son saint patron. Peut-être pour rappeler les origines bénédictines de l’église et de son couvent adjacent, le thème choisi fut la Vie de saint Benoît. Ces scènes en représentent seize épisodes, sur deux registres. Elles se développent de gauche à droite à partir du mur qui fait face à l’entrée. Spinello y élabore une version personnelle et autonome du langage de Giotto, qui rappelle le style de Santa Croce et s’éloigne des compositions compliquées d’Orcagna et Andrea di Bonaiuto (Andrea da Firenze), peintres qui dominent le panorama artistique florentin depuis 1360. Avec sobriété, ordre et clarté, le peintre subtilise la composition giottesque pour en faire une narration aimable, pleine d’anecdotes, plaisamment dégagée et descriptive.