Florence au XIVe siècle
C’est Florence qui montre le mieux comment et pourquoi la Renaissance se lie à l’histoire d’une cité. Malgré les perpétuels conflits sociaux qui l’ébranlèrent à partir de la fin du XIIIe siècle, Florence devint à cette époque la cité occidentale la plus admirée, le modèle à imiter en raison de ses inventions dans le domaine urbanistique. À un moment où l’économie prospérait (grâce à la production textile et à la finance), où la population augmentait et où la construction battait son plein, la cité joua un rôle majeur dans l’activité artistique de la péninsule. Giovanni Villani décrivait ainsi Florence à la fin du XIIIe siècle : » C’était une ville qui, bien enclose dans ses murs, abritait de nombreuses et belles maisons, des églises et de magnifiques monastères et cathédrales ; on ne cessait à l’époque de construire et d’améliorer les édifices pour les rendre encore plus accueillants et somptueux, en laissant apparaître au-dehors les meilleures améliorations. » Nombreuses furent les nouvelles constructions, depuis les églises des ordres mendiants, Santa Croce, Santa Maria Novella et Santo Spirito, jusqu’au Palazzo del Capitano del Popolo et à l’église d’Orsanmichele, du Palazzo dei Priori à la nouvelle cathédrale qui prit le nom de Santa Maria del Fiore (le monument actuel est le résultat de plusieurs phases de construction, qui s’achevèrent au XVe siècle avec l’édification de la coupole de Brunelleschi), sans parler des palais privés. De grands artistes travaillèrent à Florence durant cette période : des sculpteurs (d’Arnolfo di Tino di Camaino, d’Andrea Pisano à Andrea di Cione), des orfèvres, des enlumineurs et des peintres, le plus important fut sans conteste, Giotto. Au début du XIVe siècle, avec Giotto, la peinture prit une place déterminante dans les arts figuratifs, avec la création d’une » école florentine » constituée de disciples de talent. La crise consécutive à la peste de 1348 entraîna une diminution du potentiel créatif, mais la peinture atteignit cependant un haut niveau avec Giottino et Giovanni da Milano.
La plus ancienne vue de Florence est celle qui nous fournit un détail de la Madonna della Misericordia, fresque qui orne le mur de l’orphelinat du Bigallo. Bien que les proportions réelles soient déformées par une vision figurative et globale de la ville propre à la fin du Moyen Âge, l’ensemble révèle des édifices construits en hauteur sur des tronçons de rues très étroites. Bien que les édifices y soient enchevêtrés, on distingue sur cette fresque plusieurs monuments : San Pietro Maggiore et son campanile bordé de noir, détruit depuis, le Baptistère, le Palazzo Vecchio.
Au XIVe siècle, Florence connut un parcours politique complexe : le régime des communes fut suivi par une période de tyrannie, avec le gouverneur Gautier de Brienne entre 1342 et 1343, chassé par la pression du peuple. Après lui, le gouvernement ne cessa de s’affirmer, appuyé par une bureaucratie toujours plus structurée. Les crises financières consécutives à la banqueroute des Peruzzi et des Bardi, qui prêtaient d’énormes sommes d’argent à l’Europe, et la crise démographique due à la peste, contribuèrent à augmenter les tensions sociales, aboutissant en 1378 à la révolte des Ciompi (cardeurs de laine), les prolétaires urbains.
La dictature du duc d’Athènes, comme on appelait Brienne, ne dura pas longtemps ; en août 1343, il fut chassé de Florence par une coalition de seigneurs, d’artisans et de gens du peuple. A quelques semaines du soulèvement, éclata un conflit entre le petit peuple et les grands seigneurs, qui s’acheva par la défaite de ces derniers en septembre 1343.
Giotto di Bondone
Peintre et architecte florentin, Giotto di Bondone (Florence ou Vespignano dans le Mugello, vers 1267 – Florence 1337) est considéré comme le créateur du langage pictural de la Renaissance, pour avoir réalisé la rupture avec Byzance. Il apparaît ainsi à ses contemporains : son art de » tirer chaque figure et chaque situation vers le naturel « , comme l’écrivait Villani à la fin du XIVe siècle, sa recherche de la « profondeur » (c’est-à-dire de la perspective), l’humanité qui imprègne ses scènes, tels sont les traits novateurs qui frappèrent tant ses contemporains et qui marquent un tournant dans l’histoire de la peinture. En ce qui concerne son activité de jeunesse, sa formation dans l’atelier de Cimabue et sa présence à Assise sont les seules données transmises par la tradition. Sur les quarante œuvres de lui connues de source sûre, il en reste moins de vingt. Nous savons que Giotto est mort à Florence le 8 janvier 1337, à soixante-dix ans environ, d’où l’on peut déduire qu’il serait né vers 1267. Probablement il se trouvait à Rome à la fin du XIIIe siècle, mais il reste très peu de témoignages de cette période. Dans les années 1290, il travaillait à l’église haute de la basilique d’Assise et peignait des tableaux pour les églises de Florence, comme le Crucifix de Santa Maria Novella, un Christ humain, vrai, au corps lourd cloué à la croix. Entre 1303 et 1305, il était à Padoue où il décora, entre autres, la chapelle des Scrovegni. Maître célèbre et recherché, à la tête d’un atelier puissamment organisé, Giotto est appelé à peindre des ouvrages à Rome, Rimini, Naples, Bologne, Milan. Il reste peu de traces concrètes de ses œuvres, mais où celles-ci jouèrent un rôle formateur important pour la peinture locale. Au début du XIVe siècle, avec Giotto, la peinture prit une place déterminante dans les arts figuratifs, avec la création d’une « école florentine » constituée de disciples de talent, comme Giottino et Giovanni da Milano.
L’œuvre la plus significative de Giotto, est la décoration qu’il exécute entre 1303 et 1305 pour le banquier Enrico Scrovegni dans la chapelle Scrovegni, à Padoue. Sur les murs d’une simple nef voûtée en plein cintre s’enchaînent les épisodes d’un vaste programme marial et christologique complété d’un Jugement dernier et d’une figuration allégorique des Vices et des Vertus, peinte en grisaille. Les innovations principales résident dans l’organisation mieux maîtrisée de l’espace, la tendance à individualiser les personnages et le sens aigu de la dramaturgie. Tout est subordonné à l’efficacité du récit : sobriété du décor réduit a quelques édicules architecturaux ou à quelques rochers, mise en scène privilégiant les instants chargés d’une intensité dramatique, que renforce le silence des regards singulièrement éloquents. Plus que tout s’impose la présence concrète des figures dotées d’une intensité psychologique et plastique peu commune. Les dispositifs utilisés pour les intégrer dans un espace rationnel – surtout lorsqu’il s’agit des scènes d’intérieur – se heurtent parfois à une figuration encore archaïque, où les proportions ne sont pas respectées.
Malgré l’inexistence d’un espace tridimensionnel, l’image frappe par son intensité dramatique. C’est que, très précisément, les personnages font groupe et non plus masse: les visages des soldats sont annulés au profit des casques, anonymes mais représentatifs. La frise est incontestablement organisée en trois unités dynamiques reprises par les trois courbes des bras: groupe de l’arrivée des soldats, groupe de l’arrestation, groupe de saint Pierre coupant l’oreille de Malchus.
La dynamique vient de la « gestuelle » des personnages : le centre géométrique de l’ensemble est situé sur le capuchon de Judas, mais le baiser proprement dit est déplacé sur la diagonale. Il en résulte un décalage: c’est celui du mouvement criminel de Judas, magnifiquement synthétisé dans les plis de son vêtement, centre plastique de l’ensemble. Le Baiser de Judas apparaît manifestement comme l’enveloppement physique de la trahison, auquel répondent, seuls, l’échange immatériel des regards et l’or symbolique de l’auréole. Une peinture s’invente : héroïque et tragique.
Il s’agit d’une des rares œuvres témoignant de l’activité de Giotto de retour à Florence après Padoue, antérieure aux fresques de Santa Croce. Ce magnifique retable consacré à la Vierge anticipe déjà le grand art florentin à venir : en effet, Giotto, bien que limité par les normes de symétrie et de proportions exigées par la tradition religieuse, se dirige vers une recherche typologique individuelle dont le résultat donne au tableau une puissante impression de masse, de relief, de solennité. La profondeur, obtenue grâce à la perspective, constituent des nouveautés par comparaison avec les Vierges en majesté du XIIIe siècle.
Les fresques des chapelles Peruzzi et Bardi, à Santa Croce, sont les ultimes témoignages de la peinture à fresque du maître, ses œuvres napolitaines et milanaises ayant disparu. Dans la chapelle Bardi, dont la décoration est probablement ultérieure à celle de la chapelle Peruzzi, Giotto a peint des scènes de la vie de saint François, reprenant avec de nombreuses modifications le thème traité à Assise. Les fresques de la chapelle Bardi furent importantes pour la formation de Taddeo Gaddi, qui puise là son inspiration pour la vie de saint François de la sacristie de Santa Croce, aujourd’hui à la galerie de l’Académie de Florence. De même, les types humains de la chapelle Bardi, robustes mais élancés, sont ceux auxquels le disciple de Giotto resta fidèle pendant toute sa carrière de peintre.
Il est intéressant de noter le changement dans la représentation de saint François qui, contrairement aux fresques d’Assise, est figuré ici imberbe. Dans ces fresques, la figure humaine devient la véritable protagoniste, comme cela apparaît clairement dans cette scène, où Giotto prouve sa maîtrise des règles de la perspective. L’attitude des personnages est solennelle et les gestes sont mesurés, dans une sorte de simplification classique.
Une des œuvres les plus regardées du Trecento : le musicien de la partie gauche inspire d’innombrables images du Trecento ; Ambrogio Lorenzetti reprendra le groupe des deux femmes regardant Salomé ; mais la leçon la plus riche de l’image tient à sa structure d’ensemble où l’architecture permet de disposer « logiquement » les différents espaces d’un récit selon des articulations nettement marquées sur la surface. Giotto met au point l’ »édicule » à représentation oblique; l’espace suggéré précède certainement la pratique « théâtrale » contemporaine et, incontestablement, une idée humaniste se fait jour, visant à valoriser l’image par l’emploi d’un vocabulaire architectural « antiquisant » et moderne : statues en saillie sur le ciel, à l’extrême gauche, édifice évoquant la « Tour des Milices » construite au XIIIe siècle et dont parle Pétrarque. Le modernisme s’affirme ici au niveau de l’espace pictural lui-même : grâce au support architectural, le peintre fait tourner trois personnages autour d’un pilier d’angle « avancé » pour suggérer une continuité spatiale d’ordre presque musical.
Avec le polyptique Stefaneschi une nouvelle tendance gothique caractérise une grande partie de la production tardive de Giotto, qui a son moment paradigmatique dans les fresques de la chapelle Bardi de Santa Croce. Ce sont les années pendant lesquelles la peinture du grand Siennois, Simone Martini, tout en tenant compte du renouveau opéré par Giotto, en propose une version sophistiquée et élégante qui accorde au langage gothique français une place très vaste. Au grand succès que connaît ce peintre qui, parmi les Italiens, s’apprête à devenir le concurrent le plus sérieux de Giotto, celui-ci répond en donnant à sa peinture un ton plus fin, plus élégant et plus orné. Saint Étienne aux yeux effilés et très longs comme dans une miniature française, porte une dalmatique somptueusement ornée et un livre à la reliure très précieuse. Si le ton n’est jamais aussi exquisément profane et courtois qu’il est chez Simone Martini, il faut tout de même croire qu’avec ces effets, Giotto voulait répondre à son jeune collègue siennois.
Les héritiers directs de Giotto
Giotto a entraîné dans son sillage un grand nombre de collaborateurs. À sa mort en 1337, ses disciples achèvent certaines de ses réalisations à Assise et à Florence. Ils perpétuent le style du maître en se contentant de réutiliser les formules de Giotto sans y apporter des innovations majeures, au risque de les banaliser et de tendre vers une sorte d’académisme. À côté de personnalités encore insaisissables figure Maso di Banco, à qui l’on doit le cycle de saint Sylvestre (Santa Croce, chapelle Bardi di Vernio, vers 1343), où l’intensité plastique et dramatique reste fidèle à Giotto. Dans les scènes de la « Vie de la Vierge » à Santa Croce (1332-1338), Taddeo Gaddi ne se détache de l’emprise de son maître que par une tendance à creuser davantage l’espace, le goût pour le détail pittoresque et les effets de lumière. La manière plus raffinée, plus anecdotique et colorée de Bernado Daddi (Santa Croce, chapelle Pulci Berardi) révèle une attention particulière à l’exemple siennois.
Dans les chapelles du chœur de la nouvelle église franciscaine Santa Croce à Florence, en construction depuis 1295, un mélange de capitaux bourgeois, d’érudition et de virtuosité artistique contribua à créer des œuvres que Ghiberti (1377/78-1455) loua comme des summums de l’ornementation néo-classique des surfaces. Parmi les fresques de Santa Croce, celles qui ont été réalisées par Taddeo Gaddi, dans la chapelle Baroncelli, semblent avoir longtemps été les plus célèbres. Le cycle en cinq parties de la Vie de la Vierge, sur le mur est de la chapelle Baroncelli, devint une sorte d’apologie du style naturel franciscain. D’une part, ce cycle offre ce qui a pu apparaître aux contemporains comme un « nec plus ultra » du « vérisme », par son enrichissement des facteurs de trompe l’œil déjà éprouvés (système-cadre d’architecture virtuelle, fausses armoires avec « natures mortes », éclairage systématique de l’univers des images à partir de la source de lumière réelle située hors du tableau) d’une série de nouveaux facteurs. D’autre part, il fait démonstrativement ressortir le « vérisme » en tant qu’instrument d’illustration de la leçon de Giotto.
Au milieu du XIVe siècle, les murs de la basilique Santa Croce furent décorés de séries de fresques peintes par des élèves de Giotto. À la chapelle Baroncelli, Taddeo Gaddi expérimenta de nouvelles solutions figuratives, dans certains effets nocturnes et dans les natures mortes des niches en perspective qui rappellent le Giotto de Padoue.
Dans l’atelier de Giotto, ses élèves les plus fidèles, on fait ses premiers pas dans la peinture travaillant en journalière amitié avec le maître. Ils sont présents à Santa Croce avec d’importants cycles de fresques, documentées et datées. Maso « les plus délicat de tous », Stefano, « l’imitateur de la nature », et Giottino appartiennent à la deuxième génération de l’école de Giotto.
Ce resplendissant retable de la chapelle Baroncelli, dont on avait entrepris la décoration vers la fin de 1320, est certainement l’une des dernières grandes idées de Giotto, avec ses groupes uniformes mais colorés de bienheureux souriants sur les côtés, qui font allusion à un paradis parfaitement ordonné -et placé en perspective ! – mais sans limites, du moment que les panneaux latéraux pourraient continuer à l’infini. En revanche, le panneau central, avec ses deux protagonistes élégants et élancés, a quelque chose de la courtoisie mondaine d’une cérémonie de cour.
Taddeo Gaddi
Taddeo Gaddi (Florence 1295/1300 – 1366) fut disciple de Giotto et son principal collaborateur durant la dernière période d’activité du maître pour le Polyptyque Baroncelli à Santa Croce. À la chapelle Baroncelli, Taddeo Gaddi expérimenta de nouvelles solutions figuratives, dans certains effets nocturnes et dans les natures mortes des niches en perspective qui rappellent le Giotto de Padoue. Le cycle de fresques de la chapelle Baroncelli, montre bien l’interprétation personnelle que fait Gaddi du langage giottesque: les figures s’allongent de manière imperceptible, les éléments architecturaux se présentent de trois quarts, créant une impression quasi féerique. Gaddi commence la chapelle Baroncelli du vivant de Giotto ; Collaborateur fidèle, il serait resté vingt-quatre ans dans l’atelier de Giotto. À la mort du maître, Taddeo acquit la notoriété de premier peintre florentin. Il décora avec des figures de Saints la crypte de San Miniato al Monte (1341); on l’appela pour peindre des fresques à Saint-François de Pise, où on lui a également attribué les Légendes de Job, dans le cimetière. Il réalisa le polyptyque pour l’autel principal de San Giovanni Fourcivitas à Pistoie. Cependant, après 1350, lors d’une période de profonds bouleversements sociaux (peste de 1348) et culturels dans toute la Toscane, il demeura isolé. Parmi les peintures des dernières années à Florence, on compte les Vierges à l’Enfant (1355) des Offices et de l’église Sainte Félicité ; les fresques du réfectoire de Santa Croce ; la Crucifixion de l’église Ognissanti et celle de la sacristie de Santa Croce.
La « Rencontre » offre une définition ample de l’espace, où la maquette de la cité permet une variation géométrique des angles de vue à l’intérieur d’un espace construit, tandis que le mur d’enceinte « tourne » grâce à la diversification des accents lumineux. La recherche chromatique est remarquable, qui dissout le teinte rouge en ombres bleu pâle – thème repris abondamment par la suite. La « gestuelle » est, décidément, giottesque (le pouce de la première suivante, mais il a perdu sa puissance ; il est devenu « raffiné »). Gaddi perd aussi la force de la disposition pyramidale adoptée par Giotto avec le même thème dans la chapelle de l’Arena à Padoue ; il y gagne cependant une souplesse rythmique intimement liée à la couleur.
Bernardo Daddi
Bernardo Daddi (vers 1290 – vers 1348) fut aussi un fidèle élève de Giotto pendant plus de vingt ans. Directeur d’un atelier florissant, il acquit une culture giottesque dont il développa la composante lyrique, s’inspirant également de la leçon siennoise dans le développement linéaire et la préciosité du chromatisme. Il réalisa la décoration à fresque de la quatrième chapelle du transept à Santa Croce, celle des Pulci, vers 1330, encore du vivant du maître, avec les Scènes des Protomartyres Laurent et Stéphane. Ces fresques montrent son adhésion au style ample de Giotto à la fin de sa vie en y ajoutant des touches plus réalistes, basées sur l’observation. Par la suite, on perçoit des transformations stylistiques dans sa production qui subit de nombreuses influences, de Maso di Banco à Ambrogio Lorenzetti. Durant cette phase, il produisit des tableaux, souvent de dimensions réduites (qui convenaient mieux à sa sensibilité) et caractérisés par un travail harmonieux tout en nuances de couleurs et par l’orientation de l’artiste vers des modèles gothiques (ivoires français et sculptures d’Andrea Pisano) : Autel du Bigallo, 1333, prédelle avec la Légende la ceinture sacrée à Prato.
Dans cette fresque, l’auteur s’attarde à décrire certains détails : le porteur de charbon, le soufflet pour attiser les braises, deux curieux qui observent la scène de haut. Dans sa jeunesse, le peintre ajouta aux schémas de composition du répertoire figuratif de Giotto des touches plus réalistes, basées sur l’observation.
Bernardo Daddi, comme beaucoup d’autres peintres florentins à été influencé par la peinture siennoise. Son grand atelier s’étant spécialisé dans les petits panneaux de dévotion, très intimes, même lorsqu’ils sont destinés à des lieux publiques. Ce panneau faisait partie d’un triptyque pour l’église Santa Orsola de Florence. Le sujet bien que commun en Europe du Nord, était rare en Toscane. Il s’agit de l’histoire d’Ursule, une princesse bretonne des Cornouailles du IIIe siècle (ou IVe siècle) qui aurait accompli, pour convertir son prétendant, un pèlerinage auprès du pape Cyriaque à Rome. À son retour, elle aurait été capturée par les Huns et aurait refusé d’épouser leur chef Attila, et donc d’abjurer sa foi. Elle est massacrée, criblée de flèches par les Huns qui assiégeaient Cologne, ainsi que ses suivantes vierges. Dans la scène, trois bateaux approchent de la ville, Ursule est assise sous un baldaquin à la poupe du premier bateau. Cyriaque se trouve dans le bateau du milieu accompagné de ses évêques. Dans le dernier bateau se trouvent d’autres suivantes de Ursule. Des drapeaux avec les armoiries de la princesse et du pape flottent sur chaque navire.
Bernardo Daddi, reprit l’esthétisme pictural de Giotto, auquel il mêla des éléments de l’art courtois et des traits délicieusement gothiques, presque en contraste avec la poétique giottesque.
Maso di Banco
On se sait que très peu de chose de la vie de Maso di Banco (Florence vers 1300-1350?), et sa personnalité artistique, de tout premier ordre, a été reconstruite par la critique récente (R. Longhi et F. Bologna) sur la base de son œuvre la plus connue, le cycle illustrant la Légende de saint Sylvestre de Santa Croce à Florence. Élève de Giotto, il travailla probablement avec celui-ci à Naples (chapelle de Castelnouovo, 1329-32) et à Florence (chapelle Bardi à Santa Croce). Peu de temps après, il réalisa ses premières œuvres indépendantes : le Triptyque Balbott (Brooklyn, New York Museum) et le Couronnement de la Vierge (Florence, Museo de Santa Croce), dont se rapproche beaucoup un autre ensemble fragmentaire (Histoires de la Croix) à Saint-François à Pistoie. Peu après, il exécuta deux grands polyptyques, dont le premier, démembré, se trouve à Berlin (Staatliche Museum) et à New York (Metropolitan Museum), alors que le second, complet, est conservé à l’église du Santo Spirito à Florence. Maso di Banco s’est formé à la lumière de l’œuvre de Giotto de la dernière période, qu’il interprète, dans ses peintures de jeunesse, avec un grand sens des reliefs chromatiques et une perspective très rigoureuse. Dans cette optique, la Vie de saint Sylvestre est une véritable réussite : elle se distingue par des tons très lumineux, inspirés également d’Ambrogio Lorenzetti, et par une spatialité aérée, où le récit sacré se développe avec lenteur et austérité. Les fresques de la Vie de saint Sylvestre, tirées de La Légende dorée de Jacques de Voragine, sont considérées comme l’œuvre majeure de Maso di Banco. Dans ses œuvres plus tardives, enfin, la gamme chromatique devient plus souple et les images perdent une grande partie de leur solennité hiératique pour représenter des actes et des sentiments plus familiers, plus humains.
La colonne du premier plan sert de pivot séparant les deux moments du récit tout en cachant partiellement les personnages. La réussite tient sans doute à la manière dont l’arrière-plan architectural fournit un schéma solide et articulé, une construction géométrique et colorée qui soutient la répartition des figures du premier plan; le bâtiment rouge-rose encadre les gestes miraculeux du Saint; il distingue pourtant les deux monuments grâce à l’angle mis en valeur par la lumière; le bâtiment blanc encadre le groupe des ressuscités, tout en les différenciant des assistants (angle à l’extrême droite). La variété pittoresque des ruines laisse voir l’action et en détermine le lieu dans la profondeur; l’irrégularité de leur découpage nuance et occulte en partie le schématisme de la disposition, mais elle confirme les directions principales du récit.Un intérêt d’ordre intellectuel semble avoir guidé l’imagination du peintre, ce qui confère à l’expression une certaine stylisation, un ton de profonde recherche et de dignité spirituelle. Comparativement aux dernières œuvres de Giotto, nous percevons dans ces architectures imaginaires, dans ces couleurs pures et sans nuances, dans cette lumière presque crue, une tendance plus marquée vers l’abstraction.
Le peintre semble vouloir accentuer la valeur intellectuelle des données de Giotto, puis les traduire dans une vision fantastique. Mais au-delà de l’enchantement que dégage cette œuvre, on devine toujours cette lucidité du peintre qui a voulu régir son monde parfait et lumineux par des lois savantes et méditées. C’est non seulement par leur beauté, mais surtout par leur message spirituel, que ces fresques de Maso marquèrent le développement ultérieur de la peinture en Italie.
En général on rattachait à l’art de Maso un groupe de fresques se trouvant à Assise, à la basilique Saint-François et dans d’autres églises. Mais aujourd’hui elles sont, à juste titre, considérées comme étant l’œuvre d’un grand artiste que l’on croit pouvoir identifier au peintre Stefano dont parle Giorgio Vasari. Après Maso, c’est bien lui qui nous apparaît comme le plus grand des premiers giottesques. Le groupe d’œuvres d’Assise témoigne d’une grande sensibilité lyrique, caractérisée par des motifs poétiques et formels d’un très grand raffinement. Dans cette lignée d’œuvres prend place également la Pietà de San Remigio du Musée des Offices. C’est un chef d’œuvre qui est dû, comme l’écrit Vasari, à Tomasso di Maestro Stefano, dit Giottino.
Allegretto Nuzi (Fabriano, activité documentée à partir de 1340 – 1373) reçoit sa formation de peintre à Florence où, en 1346, on le trouve dans l’atelier de Bernardo Daddi. Après ce premier séjour florentin, probablement interrompu par la grande peste de 1348, Nuzi retourne à Fabriano pour s’y fixer définitivement. L’œuvre d’Allegretto Nuzi prouve qu’il a su opérer une révision fort intelligente de l’art élégant et superficiel de Bernardo Daddi, en accueillant l’héritage du grand Florentin Maso di Banco. Les formes amples et comme aplaties, la couleur dense et brillante, la minutieuse et riche décoration des étoffes, dont ce retable constitue une des plus brillantes illustrations, compose en fait un langage très personnel et poétique.