Une maturité précoce
Girolamo Francesco Maria Mazzola, dit Parmigianino, en français le Parmesan (Parme 1503 – Casalmaggiore-Crémone, 1540). Son quasi contemporain, Ludovico Dolce, l’appelle Francesco Parmigiano. Le diminutif de Parmigianino s’emploie couramment depuis la fin du XVIe siècle. Orphelin depuis l’âge de deux ans, il montra déjà ses dons artistiques lorsqu’il fréquenta l’atelier de ses oncles paternels, Michele et Pier Ilario Mazzola, modestes peintres de province. Sa ville natale, Parme, était passée par une période d’agitation politique. Pendant une grande partie du XVe siècle, elle avait été soumise au contrôle des dynasties lombardes Visconti et Sforza. L’absence, pendant toute la carrière de Parmesan, d’une maison princière régnante, perpétuelle source de commandes pour des œuvres de sujet antique, réduisit considérablement ses possibilités. Pendant la jeunesse de Parmesan, la ville était, depuis de très nombreuses années, singulièrement dépourvue d’artistes locaux de valeur. Elle offrait donc de possibilités à des artistes de l’étranger. L’arrivée d’Antonio Allegri de la ville voisine de Correggio, dont il tirait son nom, à la suite de quoi, Corrège fut à partir de 1522 surchargé de commandes. Sans avoir été son élève, Parmesan avait consacré son temps à regarder peindre Corrège, et à étudier ses dessins et ses méthodes. Dès le début des années 1520, Anselmi (un peintre originaire de Sienne), Corrège et le jeune Parmesan travaillèrent dans différentes parties de l’église San Giovanni à Parme, ancien monastère bénédictin qui venait d’être reconstruit. Nul doute, à cette époque, qu’il a bénéficié de cette leçon dans des proportions incalculables. Le nombre de commandes passées à Parmesan, ainsi que leur importance relative, montrent qu’à vingt ans, le peintre était déjà une personnalité établie dans la région. Vasari laisse entendre qu’il commença les fresques de la chapelle San Giovanni Evangelista avant de s’enfuir à Viadana, mais on peut penser que ce que l’on voit de nos jours date d’après son retour de 1522. Les fresques de la Rocca à Fontanellato sont de toute évidence plus mûres, donc plus tardives, et leur style peut donner un jalon pour des tableaux de chevalet comme le Portrait de Galeazzo Sanvitale (Naples), commanditaire de Fontanellato, et le Portrait d’homme de la National Gallery. Vasari prétend que Parmesan emporta avec lui à Rome trois de ses tableaux pour montrer ce dont il était capable, dont deux sont identifiables avec l’Autoportrait dans un miroir convexe et une Sainte Famille aujourd’hui au musée du Prado.
Autoportrait dans un miroir convexe, vers 1521-1524, Parmesan (Vienne, Kunsthistorisches Museum). « Si belle qu’elle paraissait vraie », c’est peut-être l’éloge le plus significatif que Vasari ait pu adresser au Parmesan : le jeu maniériste et l’attitude esthétique qui lui est corollaire renversent les données de l’imitation tout en les respectant. « En outre, pour sonder les subtilités de l’art, il se mit un jour à faire son propre autoportrait en se regardant dans un miroir de barbier convexe ; voyant les bizarreries que crée la rotondité du miroir dans le mouvement tournant qu’il donne aux poutres, voyant les portes et tous les édifices fuir étrangement, il décida, par jeu, d’en imiter tous les détails…et, comme tout ce qui s’approche du miroir s’agrandit tandis que ce qui s’en éloigne diminue, il fit la main qui dessinait un peu grande, comme le montrait le miroir. Elle était si belle qu’elle paraissait très vraie. Et comme Francesco était très beau, qu’il avait le visage et l’air pleins de grâce, qu’il ressemblait plus à un ange qu’à un homme, son portrait sur cette boule semblait une chose divine… » (Vasari)
Les apôtres Pierre et Paul, 1520-1524, Corrège, (Parme, San Giovanni Évangéliste). Corrège, qui avait passé par Rome avant son arrivée à Parme et avait profité de l’expérience de Michel-Ange et de Raphaël, son style était encore incomplètement formé. Ce fut précisément là, au début des années 1520 à San Giovanni, qu’il accomplit un pas gigantesque en direction de sa glorieuse maturité. Travaillant à ses côtés, Parmesan assista à cette métamorphose. Les figures héroïques des apôtres, trônant en majesté sur des nuages bien réels, très au-dessus de l’assistance, et le Christ au centre, planant littéralement par-dessus la tête du spectateur, devaient inspirer effroi et incrédulité à quiconque les voyait. Désormais, pour le restant de ses jours, un mélange indéfinissable d’admiration, d’envie et de ressentiment pour la grandeur de Corrège serait peut-être le principal ressort émotionnel de Parmesan.
David, vers 1520-1521, Parmesan, (Parme, Santa Maria della Steccata). Semblables par le style aux fresques des chapelles de San Giovanni, et donc probablement d’une date équivalente, sont les volets d’orgue, avec « Sainte Cécile » et « David », de la Steccata. Vasari n’en parle pas, mail ils sont, au moins en partie, documentés. L’attribution à Parmesan est confirmée par des dessins. Ces volets d’orgue se trouvent actuellement dans un état peu satisfaisant, dû à la fois à des dégradations matérielles et à des ajouts ultérieurs pour les adapter à un instrument plus grand. Comme à San Giovanni, l’influence conjuguée de Pordenone et de Corrège est évidente – de Pordenone dans l’excessif « contrapposto » et plus encore de Corrège dans le délicieux enfant qui regarde, derrière la jambe gauche de David, réplique de l’un des putti de la fresque de Fontanellato.
Portrait d’un collectionneur, détail, vers 1523, Parmesan (Londres, National Gallery). Les premiers portraits du Parmesan montrent que le progrès technique fait en guère plus de trois ans est presque incroyable : du tâtonnement d’amateur à la parfaite maîtrise, technique et stylistique, même en tenant compte qu’entre dix-huit et vingt et un ans un artiste de talent peut faire de bonds de géant.
Les fresques de Fontanellato
Autour de 1523, le Parmesan ouvra dans la décoration d’une petite pièce dans la forteresse des Sanvitale à Fontanellato. Il s’agissait d’un lieu retiré, qui devait être une sorte de boudoir pour la toilette de Paola Gonzaga, comtesse de Fontanellato. L’artiste y adapta sa décoration à l’architecture qu’il trouva : une voûte surbaissée soutenue, sur les côtés, par des petites voûtes en calotte, placées sur des lunettes. Le Parmesan reprit le schéma adopté par le Corrège dans la chambre de l’abbesse du monastère Saint-Paul, qui fut accessible au public jusqu’en 1524. En se basant sur ce modèle, il organisa sa décoration picturale en trois parties : l’histoire mythologique dans les lunettes du bas ; une série de douze « putti » sur une pergola fleurie dans la partie intermédiaire ; enfin, en haut, sur la voûte, un ciel bleu avec, au centre, un miroir portant l’inscription RESPICE FINEM qui signifie « observe la fin », c’est-à-dire la triste fin d’Actéon. En effet, d’après la légende, au cours d’une battue de chasse, Actéon surprit Diane au bain, nue à la fontaine ; la déesse irritée le transforma en cerf, mais il fut dévoré immédiatement par ses propres chiens. À Fontanellato, le mythe de Diane et Actéon nous est raconté sur treize lunettes, tandis que la quatorzième lunette, au-dessus de la fenêtre, représente Paola Gonzaga sous les traits allégoriques de l’Abondance. Alors que le Corrège interprétait la lumière, l’espace et la narration d’une façon naturaliste, le Parmesan, lui, choisit un style précieux et minutieux, la ciselure de chaque élément et l’élégance extrême de la forme.
Nymphe poursuivie par des chasseurs et chiens, histoire de Diane et Actéon, vers 1522, 1524, Le Parmesan (Fontanellato, Rocca di Sanvitale). Cette œuvre, qui s’inspire de la Camera di San Paolo de Corrège, raconte dans le cadre très frais du ciel et d’une charmille la dramatique fable d’Actéon.
Comparativement au grand modèle, Parmesan réussit à affirmer sa personnalité faite de tendresse et d’élégance et enrichie d’une connaissance directe de la première « manière » toscane grâce aux œuvres de Michelangelo Anselmi, le peintre siennois qui travailla à Parme. Alors que la pièce de Corrège est purement décorative, celle de Parmesan se veut narrative. L’action qui se déroule dans les lunettes, zone la plus en vue, se poursuit de l’une à l’autre, mais sans toujours observer de succession : plusieurs lunettes séparent la transformation par Diane d’Actéon en cerf, de ce qui s’ensuit, la mort du héros. Le caractère maudit de l’œuvre est souligné par l’inscription tout au tour des quatre murs, paraphrase de la lamentation d’Ovide selon qui Actéon fut puni injustement. Malgré le sinistre dénouement de l’histoire, l’effet que produit l’ensemble, accentué par l’attitude joueuse des putti, est de toute beauté.
Diane métamorphose Actéon en cerf, détail, vers 1522, 1524, Le Parmesan, (Fontanellato, Rocca di Sanvitale)
Le commanditaire des fresques de Fontanellato, le comte Galeazzo Sanvitale, était à la tête de l’une des dernières dynasties féodales de la région de Parme. Dans ce lieu écarté, la fresque échappa à Vasari ; mais en dépit de l’absence de toute documentation, son authenticité est attestée par de nombreux dessins préparatoires. Récemment ont été formulées diverses interprétations allégoriques de la fresque. En l’absence de tout témoignage d’époque, ces théories, qui s’excluent mutuellement, ne peuvent être confirmées ni affirmées. Certains éléments restent un peu difficiles à décrypter. Ni Cérès ni les chasseurs qui poursuivent une nymphe n’apparaissent dans le récit du mythe que donne Ovide. Le fait que la nymphe soit vêtue des mêmes habits que Actéon constitue un aspect particulièrement troublant. Malgré l’absence d’une clef qui nous ouvrirait une signification secrète, le portrait du Parmesan du commanditaire, fait deviner ses intérêts occultes et plaide en faveur de sa collaboration au programme de la fresque.
Galeazzo Sanvitale, comte de Fontanellato, 1524, le Parmesan, (Naples, Museo di Capodimonte). Dans le portrait du comte Sanvitale, grand condottiere et gentilhomme élégant, chaque élément est valorisé par son aspect précieux et ornemental : les habits, l’armure, les bijoux, mais aussi la barbe, le teint ou la main fuselée, tous ces détails sont extrêmement raffinés. Impassible sur son siège, le comte adopte une pose recherchée et tourne son buste d’un côté pour montrer au spectateur une monnaie où sont gravés les chiffres 7 et 2. Suivant une interprétation se référant à l’alchimie, ces deux nombres feraient allusion aux planètes de la Lune et de Jupiter, situés respectivement dans le septième et le deuxième cercle « hermétique ». De même, les colonnes d’Hercule, décorant la médaille épinglée sur le chapeau à plumes du personnage, renverraient, elles aussi, à la tradition hermétique.
Le voyage à Rome
Les fresques de Fontanellato achevées en 1524, le Parmesan alla à Rome ; sa rencontre, décisive, avec l’œuvre de Michel-Ange et de Raphaël remonte à ce voyage. Parmesan parvint à traduire en des termes originaux les modèles stylistiques Renaissance, avec une orientation désormais pleinement maniériste. On sait qu’il prit part directement aux discussions qui avaient lieu dans la maison de Paolo Valdambrini, secrétaire de Clément VII, et auxquelles participaient Rosso Fiorentino, Perino del Vaga et Jules Romain. Au moment de l’arrivée de Parmesan à Rome, la ville se remettait du règne aussi bref que désastreux du pape allemand Adrien VI. Mais la Réforme des pays du Nord entraînait une tension latente ; il planait une sinistre atmosphère de quasi-apocalypse, comme un avant-goût de la catastrophe de 1527, le sac de la ville par les troupes de l’empereur. Selon Vasari, Parmesan emporta à Rome deux tableaux, la Sainte Famille du Prado, et l’Autoportrait dans un miroir convexe, qu’il offrit à Clément VII. Parmi les œuvres de cette période, rappelons la Vision de saint Jérôme (Londres, National Gallery), et le Portrait de Lorenzo Cybo. Dans la Vision de saint Jérôme, peinte au moment où les lansquenets de Charles de Bourbon font irruption dans l’atelier du Parmesan (Sac de Rome), le peintre accumule les raffinements de la Maniera dans une recherche de grâce exacerbée. Le recours fait par le peintre durant son séjour romain à des idées inspirées de Rosso et de Michel-Ange à Florence indique, qu’il s’était arrêté dans cette ville à son aller. Peut-être fit alors halte à Sienne. Anselmi devait lui avoir parlé de l’œuvre de Beccafumi, dont on pourrait voir un souvenir des éclairages aux torches expérimentales dans la frise de la Steccata, peinte après le retour à Parme. Tout comme Parmesan, Beccafumi était versé dans l’alchimie. Si comme est probable, il reprit au retour le chemin d’aller, par Florence, il put difficilement ne pas être arrêté par les innovations inouïes de Pontormo, qui avait travaillé à la Chartreuse de Galluzo et à Santa Felicità au cours de ces trois années écoulées. Révolution picturale, par la négation délibérée de la perspective traditionnelle de la Renaissance, de son modelé et de sa couleur.
Sainte Famille, vers 1524, Parmesan (Madrid, Musée du Prado)
Portrait de Lorenzo Cybo, capitaine de la Garde Papale, Parmesan, vers 1525, (Copenhague, Statens Museum). La composition est d’une fidélité irréprochable au type élaboré dans le portrait de Sanvitale. On sent dans les yeux du modèle une anxiété, presque une névrose, mais c’est un soldat plus crédible que Sanvitale. Les diagonales de l’épée et du plateau au premier plan contrastent avec les horizontales de la partie saillante du mur et de la balustrade, devant et derrière. L’innovation est dans la présence du page qui tient l’un des gants du chevalier de la main droite, sa gauche reposant sur le fourreau de l’épée. On trouve déjà au XVe siècle l’introduction d’un enfant dans un portrait, à titre expérimental, chez Domenico Ghirlandaio. Au début du XVIe siècle, l’idée d’une figure secondaire s’était affirmée à Venise dans le cercle de Giorgione, et un exemple vénitien assez tardif, le portrait de Titien de Laura Dianti de trois quarts avec un page noir offre l’exact équivalent du portrait du Parmesan, avec davantage de sophistication.
La période bolonaise
Comme la plupart des artistes résidant à Rome, le Parmesan à dû fuir le sac de Rome (1527) et se réfugia à Bologne où il reste quatre ans. La Conversion de saint Paul, est-elle décrite par Vasari dans le cadre des tableaux peints à Bologne. Il fut autrefois attribué à Niccolò dell’Abate, mais est authentifié par trois dessins préparatoires, et peut être relié à la mention que fait Vasari d’une œuvre peinte sur ce sujet par Parmesan pour un certain Albio, médecin de Parme, vivant alors selon toute apparence à Bologne. L’expression d’extase de saint Paul est quasiment la même que celle de saint Roch dans le retable de San Petronio, mais en plus paroxystique. En vérité, le drame est ici poussé jusqu’au mélodrame. Dans les dessins préparatoires, le cheval de saint Paul est plus artificiel encore que dans le tableau, où, par une perverse habilité, le tapis de selle est quasiment de la même couleur que lui : au premier abord, le spectateur prend les pois du tissu pour ceux du cheval, et de même les franges du tissu imitent la crinière de l’animal. La composition doit évidemment quelque chose de l’Héliodore chassé du temple des Chambres de Raphaël et a la figure de l’Adam de Michel-Ange au plafond de la Sixtine.
Conversion de saint Paul, vers 1528, Parmesan (Vienne, Kunsthistorisches Museum). Dieu-fleuve au pied d’un cheval traité comme « figure amphore » et serpentine. Point commun à toutes les recherches maniéristes, cette distanciation raffinée, source de plaisir, où l’on apprécie le brio d’un artiste capable de poser une question inattendue et d’y répondre aussitôt avec virtuosité.
Parallèlement, il y eut davantage de portraits, même si deux seulement sont situés par Vasari dans cette période. À cause du costume entre autres, le Portrait de jeune homme d’Hampton Court doit se ranger dans ce groupe. Plusieurs autres célèbres et merveilleux portraits pourraient tout à fait correspondre à la période bolonaise. Autre portrait probablement né à la même période, cette fois au vu de la mode vestimentaire, la prétendue Esclave turque de Parme. L’accent progressivement porté, à cette époque, sur l’élégance est comme symbolisé par la Madone à la Rose de Dresde. Pour le Cupidon de Vienne dont la date reste incertaine, Parmesan à dû puisé dans le souvenir d’une fameuse sculpture antique, le Cupidon du musée du Capitole à Rome. Significativement, il choisit de montrer la figure de dos, et tout en conservant l’élément formel de l’arc il modifie le geste du dieu en le taillant en hauteur, ce qui crée un nouvel accent dynamique. À juger par le grand nombre de copies qui existent toujours du Cupidon de Vienne, l’œuvre fut naguère, au même titre que la Madone à la rose de Dresde, immensément admirée.
Cupidon taillant son arc et détail, Le Parmesan (Vienne, Kunsthistorisches Museum). Androgyne obsessionnel, le Cupidon du Parmesan taille en effet son arc. L’originalité de l’image tient aussi à ce choix iconographique où le Parmesan a décidé de figurer le moment qui prépare le thème connu du Triomphe de l’Amour (Omnia vincit Amor). Avant de pouvoir bander son arc, Eros doit le façonner ; mais, dès ce stade, il se distrait déjà et darde sur le spectateur un regard qui offre un corps dont la mollesse travaillée signale les replis du désir. En deçà et au-delà de l’iconographie, l’image maniériste joue ici une ambiguïté trop gracieuse pour mériter les foudres pédantes des censeurs de la perversité.
L’Esclave turque, vers 1530, Parmesan, (Parme, Pinacoteca Nazionale)
Madone à la rose, 1530, Parmesan, (Dresde, Gemäldegalerie). Vasari écrit que Parmigianino fit à Bologne, « un tableau de la Vierge à l’Enfant qui tient un globe terrestre. La Vierge est très belle et l’angelot est également très naturel : il faisait toujours en sorte que du visage des angelots se dégage une vivacité enfantine, propre à l’état d’esprit vif et malicieux qu’ont souvent les petits-enfants. La Vierge est encore parée d’atours extraordinaires, d’une robe aux manches de voile jaune et presque entièrement ornées d’or. Elle est profondément gracieuse, si bien que, non seulement la chair semble réelle et d’une délicatesse extrême mais aussi qu’on ne peut pas voir des cheveux aussi bien rendus. Ce tableau fut peint pour Pietro l’Aretino, mais, le pape Clément étant venu à Bologne, Francesco le lui donna et puis, je ne sais comment, il vint ensuite aux mains de Dionigi Gianni pour être aujourd’hui en la possession de Bartolomeo, son fils, qui l’a tant arrangé, qu’en ont été faites cinquante copies (réelles ou supposées) ». La rose et le globe tenus par l’Enfant représentent le salut du monde opéré par la passion du Christ, symbolisée par le bracelet de corail au poignet de l’Enfant.
Le retour à Parme
À son retour à Parme en 1531, il demeura un temps dans la maison familiale avec son oncle Pier Ilario, qui devait lui survivre. Pendant son absence, son compagnon et ami d’enfance, Girolamo Mazzola Bedoli, avait épousé la fille de Pier Ilario, et semble avoir remplacé l’artiste dans le rôle du fils adoptif favori. En quelques mois Parmesan quitta la maison familiale et s’installa seul chez lui. Ce fut probablement le grand tournant de sa vie, le seuil à partir duquel le dérangement et l’excentricité des dernières années devinrent manifestes. À la Steccata, où il allait maintenant travailler, il voulut défier Corrège, pour s’apercevoir, mis à l’épreuve, qu’il ne le pouvait pas. Concurremment à son travail à la Steccata, qui traîna toute la décennie des années 1530 pour l’exaspération croissante du chapitre de l’église, Parmesan peignit plusieurs tableaux de chevalet. « Pour l’église de Santa Maria dei Servi il fit un tableau de Notre Dame avec son Fils dormant dans ses bras et sur un côté, plusieurs anges dont l’un porte au bras une urne de cristal avec, à l’intérieur, une croix que regarde Notre Dame. Cette œuvre qui ne le satisfaisait pas beaucoup resta inachevée. Cependant on l’admire pour sa grâce et sa beauté. ». C’est ainsi que Vasari fait référence à l’œuvre peut-être la plus connue de Parmigianino, la Vierge au long cou.
Madone au long cou, détail, 1534-1540, Le Parmesan (Florence, Offices). Commandé par Elena Baiardi pour sa chapelle personnelle dans l’église de Santa Maria dei Servi, laissé inachevé à la mort de l’artiste en 1540, le tableau est son œuvre la plus connue, le symbole même de son art précieux et rare. Cette célébrité est due à la cohérence remarquable que l’esthétique de la « Manière » atteinte tant pour le traitement de l’espace qu’en ce qui concerne l’élaboration des figures. L’achèvement esthétique, les résonances religieuses ou théologiques (Vierge-vase, cou-colonne, prophète au phylactère…) trouvent leur point de cohérence et de synthèse à un niveau de condensation hautement individuel, celui du goût du Parmesan pour l’alchimie à laquelle il finira par se consacrer.
Les fresques de Santa Maria della Steccata
En 1524 Bartolomeo Montini, chanoine de la cathédrale de Parme et prieur de Santa Maria della Steccata, avait légué mille écus pour la décoration de la nouvelle église, la somme reposant entre les mains de son exécuteur testamentaire, le cavalier Scipione Dalla Rosa, l’un des patrons de Corrège. À cette époque, l’église était encore en travaux. Elle remplaçait un petit oratoire qui abritait une image miraculeuse du Baptiste protégé par une palissade (« steccata »). D’où l’emploi du mot pour une image de la Vierge, puis pour la nouvelle église. En avril 1530 Parmesan, qui habitait peut-être encore à Bologne, s’était vu passer commande de deux retables pour la grandiose église, et en mai 1531, il entreprit de décorer l’abside est et la voûte du chœur. Le sujet de la fresque de l’abside devait être le Couronnement de la Vierge, le même que Corrège à San Giovanni. Parmesan remit à plus tard le Couronnement et se tourna vers un type de travail auquel Corrège n’avait jamais eu affaire : la voûte à berceau en caissons, courte et étroite, entre la coupole principale de l’église et l’abside est. La présence de caissons barrait l’éventualité de couvrir la surface de la voûte avec une composition unifiée et illusionniste. Les carrés et leurs encadrements devaient être absolument lisses et dépouillés quand Parmesan commença, exactement comme les caissons d’édifices romains tel le dôme du Panthéon à Rome, qui servit probablement d’inspiration. Il y a trois femmes de chaque côté de la voûte. La composition ternaire est globalement la même à chaque fois. La jeune fille au centre est montrée frontalement. Les visages des deux autres sont de profil, tournés vers l’intérieur, mais leurs corps sont conçus en opposition. Celle de droite est traitée en spirale, celle de gauche est vue de dos, regardant par-dessus son épaule. Mais, malgré la répétition des attitudes les groupes nord et sud sont loin d’être identiques. Les mains et les bras tendus des femmes remplissent jusqu’au moindre millimètre de l’espace si réduit à la surface de la voûte, et s’arrêtent au coin des zones en renfoncement. Les larges encadrements extérieurs s’ornent d’une fantastique accumulation d’animaux et d’objets.
Vierges sages et Vierges folles, détail, 1531-1539, le Parmesan, (Parme, église Santa Maria della Steccata). Les figures des « vierges » sont reliées entre elles par un élégant geste de transmission des lampes respectivement allumées et éteintes. Les femmes reçoivent une signification biblique par leur métamorphose, grâce à l’ajout de lampes, en Vierges sages et Vierges folles – les Vierges sages toutes lampes allumées, sur le mur sud, et les folles, leurs lampes éteintes, au nord. Les jeunes filles comptent parmi les plus sublimes inspirations de l’artiste, par la beauté des draperies ou la virtuosité des reflets et des demi-jours, se compliquant à l’infini sur les surfaces métalliques des lampes. La nature morte de livres et de lampes, ornée de figures ailées, est d’une étourdissante liberté, un visage entier surgissant par un simple trait ténu de peinture.
Parmesan fut tourmenté dans les dernières années de sa vie pour les demandes pressantes des fabriciens de l’église de la Steccatta, qui le relançaient pour qu’il terminât les fresques de l’église. Vers l’été de 1539, huit ans après le contrat qui aurait dû être honoré en dix-huit mois, la situation à la Steccata était au bord de la rupture. L’église, enfin, était terminée et consacrée la même année. Des documents enregistrant la livraison de feuilles d’or pourraient donner une indication sur le déroulement irrégulier des activités de Parmesan. La raison précise de l’échec est difficile à déterminer. Vasari met tout sur le compte des expériences alchimiques de Parmesan (phénomène assez répandu dans la culture de la Renaissance). Étant donné le contact que Vasari avait eu avec Girolamo Mazzola Bedoli, qui était bien placé pour le savoir, nous savons que ce facteur à dû jouer. On lui avait déjà accordé un délai supplémentaire, et il avait accepté une avance sans remplir son obligation. Maintenant la patience du chapitre était à bout et on le fit arrêter. Un document du 19 septembre 1544 (donc postérieur à la mort du peintre) indique qu’après sa mise en liberté, il abîma d’une manière qui n’est pas précisée son travail à la Steccata, par dépit. Il s’enfuit à Casalmaggiore, au-delà du Pô. Lui autrefois si élégant, avait maintenant (selon Vasari) l’air d’un sauvage, la barbe et les cheveux longs, hirsutes, tout à fait comme dans le petit autoportrait de Parme. Tandis qu’il cherchait à résoudre ses problèmes en s’adonnant a l’alchimie, hagard et désespéré, à seulement trente-sept ans, et fut enterré dans l’église des servites à Motta San Fermo, à l’extérieur de Casalmaggiore. Il n’y a pas de document digne de foi sur la cause de sa mort. Sur son art en général, tout en lui est pénétré de l’élégance associée à son nom. Sa relation traumatique avec Corrège n’est pas sans évoquer celle de Van Dyck et Rubens. Dans les deux cas, l’artiste plus jeune, s’il était dépourvu de la puissance novatrice de son aîné, a atteint par certains aspects à un raffinement encore supérieur.