Le gothique international dans l’Europe germanique
Au XVe siècle, l’Allemagne n’est pas encore une grande monarchie unitaire, comme la France ou l’Angleterre : ses vastes territoires restent divisés en de nombreuses principautés, qui ne dépendent que nominalement du pouvoir central, et auxquelles s’ajoutent les villes impériales dites « libres », jouissant d’importants privilèges commerciaux et d’une large autonomie administrative. Sur les rives du Rhin, du lac de Constance à la frontière nord de la Suisse jusqu’à Bâle, de l’Alsace à la Forêt-Noire, se développe un style enchanté et enchanteur, dans lequel s’écrit une page délicate et charmante, quoique plutôt insolite, de l’art germanique, habituellement à la recherche d’effets expressifs dramatiques – le weicher Stil (style tendre ou doux) est la manifestation germanique du style gothique international – Le creuset le plus important où s’élabore ce « style tendre » est la grande et splendide ville de Cologne, où une classe aristocratique très active et des commanditaires religieux dynamiques concourent à la naissance de nombreux et florissants ateliers, ouverts au dialogue avec d’autres foyers artistiques. Dans la sculpture, dans la peinture, mais aussi dans l’orfèvrerie et dans la miniature, apparaissent des figures féminines souples et délicates, dans une atmosphère fabuleuse de bosquets et de jardins, où se déroulent les aventures les plus merveilleuses et les plus variées. La marque la plus distinctive de ce développement est la production de panneaux d’une tonalité rêveuse, où la Vierge Marie se tient assise dans un jardinet fleuri, genre dans lequel excelle Stephan Lochner, peut-être le plus grand peintre allemand avant Dürer.
Le jardin clos (hortus conclusus) qui renvoie à la virginité de Marie. Il constitue le cadre interne du tableau. Ce mode de dévotion, avec son amour du détail, sait rendre gracieux jusqu’aux sujets secondaires tel que le dragon de saint Georges, préparant ainsi la tradition picturale. Marie, en haut, lisant un livre, est sans doute le personnage le plus important. À ses pieds sainte Catherine joue avec l’Enfant ; à gauche, sainte Dorothée cueille de cerises et sainte Barbe puise de l’eau dans un puits. À droite, on peut voir l’archange Michel assis, le diable à ses pieds ; à ses côtés, saint Georges et un petit dragon ; le légendaire saint Oswald s’appuie contre un arbre.
Konrad von Soest (documenté vers 1370 – après 1422)
Konrad von Soest est l’un des artistes les plus importants de la fin du XIVe siècle et le début du XVe siècle en Allemagne du Nord, et le représentant le plus influent du style gothique international, le weicher Stil. Actif à Dortmund, Von Soest domine l’art de la Westphalie. Dans le retable de Wildungen, exécuté vers 1400-1405, il se détourne du réel non pour le nier mais pour l’idéaliser, et privilégie un coloris d’enluminure, des costumes somptueux aux drapés souples, des attitudes délicates et des détails intimistes. À cette époque, Von Soest devait avoir un grand atelier et de nombreux collaborateurs, étant donné qu’il ne peut avoir peint, ni même conçues toutes les scènes représentées. Le retable d’autel de la Vierge de la Marienkirche de Dormunt, une des principales œuvres de maturité de Konrad, est en partie conservée. L’art de Von Soest a été considéré comme exemplaire bien au-delà des frontières de la région. On observe son influence jusqu’au centre de l’Allemagne et sur les côtes. Ses sources d’inspiration sont l’art de l’Europe occidentale et surtout du Nord de la France, qu’il connut peut-être par l’enluminure ; À Hambourg, la création est successivement marquée par deux artistes : Maître Bertram, d’origine westphalienne, dont le retable de Grabow (Hambourg, Kunsthalle), vers 1380, prend au Maître Théodoric de Prague la densité des corps dans un langage désormais vivant et souple ; et Maître Francke, auteur d’un art très personnel, dont la recherche de simplification et d’intériorité ouvre la voie à un nouveau réalisme.
Ce retable, encore aujourd’hui dans son lieu d’origine, illustre en treize épisodes la vie de Jésus. La peinture de Konrad von Soest se caractérise par sa vitalité, le rendu des détails et une composition très habile dans les scènes. Le soin apporté aux détails précieux, par exemple les tissus des vêtements, et la description des plantes et des lévriers nains transforment le drame de la Crucifixion en une scène de courtoisie. Au pied de la croix sont figurés, à gauche, le groupe formé par les trois Marie et saint Jean l’Évangéliste qui lève les bras en signe de douleur et Longin avec sa lance. À droite, autour du bon larron, se tient rassemblé un autre groupe, dont un membre brandit une phylactère avec ses mots : « vere filius dei erat iste » (Celui-ci était vraiment le fils de Dieu).
C’est avec une grande fraîcheur innovatrice que Konrad aborde un sujet très ancien, l’un des plus couramment traités dans tout l’art chrétien : l’Annonciation. Le grand baldaquin ne renvoie pas ici à la chambre à coucher de la Vierge que nous connaissons dans de nombreuses Annonciations, mais simplement à une salle d’étude. Le prie-dieu est recouvert d’un riche brocart avec des motifs orientaux. Aux enroulements des bordures font écho les habits et les phylactères. Une particularité du retable est donnée par la haute couronne brodée de perles dont Konrad a coiffé la Vierge dans plusieurs scènes. Tout comme le ceinturon, elle cite en lettres gothiques le nom de la mère de Dieu. Sur les pages du livre légèrement ouvertes, le peintre à inscrit son nom.
La commande à Von Soest du retable de Wildungen pour l’église paroissiale de Saint-Nicolas, devait satisfaire à la nécessité de créer une représentation digne de la fonction d’un retable destiné à l’autel majeur. Il était également demandé un projet répondant aux besoins dévotionnels, si possible avec une précision dans les détails et les traits anecdotiques, afin de correspondre aux usages de la dévotion populaire. La peintre a mis tout son savoir-faire à remplir ces exigences : Dans la scène de la Nativité, la mère et l’enfant, seuls à avoir un nimbe, sont représentés dans la pose la plus tendre. Considérée isolément, la demi-figure de la Vierge pourrait être un tableau de dévotion à part entière. En revanche, Joseph cuisant un brouet nous montre un père soucieux et aimant. Ce tableau est d’ailleurs empli de traits bourgeois et domestiques.
Les angelots à la robe et aux ailes d’un bleu intense, qui contraste vivement avec l’or du fond, figurent fréquemment dans les tableaux gothiques tardifs de l’école rhénane. Les gestes et les expressions sont tous empreints d’une délicatesse méditative. Comme il est habituel chez les maîtres du « style doux » de l’école de Cologne, les membres sont délicats et doux, presque mous, comme s’ils n’étaient pas soutenus intérieurement par des os.
Bertram von Minden (vers 1340 – vers 1415)
Maître Bertram von Minden, né à Minden en Westphalie, fut actif à Hambourg entre 1367 et 1415. À partir de 1387, il est cité presque tous les ans dans les registres de la cité et dans les chroniques, car il recevait des commandes officielles. La formation de Maître Bertram, peintre et peut-être sculpteur sur bois est controversée. Les influences renvoient aux régions artistiques de Westphalie et de Basse Allemagne, mais aussi à la peinture de la cour de Prague. À partir de 1367, un document mentionne pour la première fois sa présence à Hambourg, à cette date Bertram devient peu à peu le maître dominant de la peinture hanséatique. En 1383, la chronique de Hambourg parle de Bertram comme de l’auteur du maître-autel de l’église Saint-Pierre, un grand polyptyque avec des parties sculptées et peintes. Il s’agit de la seule œuvre attribuée avec certitude à Bertram, dont le style très original n’a pas d’équivalent dans d’autres œuvres d’Europe du Nord et de Bohême, malgré des éléments qui rappellent la peinture de ces régions à l’époque. Sur les volets, peints de deux côtés, un programme figuratif complexe, sûrement inspiré par un ecclésiastique, illustre des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament. La critique attribue d’autres œuvres à Maître Bertram. Parmi celles-ci, le Polyptyque de la Passion de Hanovre, de provenance incertaine, trois miniatures du Missel de Johannes Wusthorpe; et un polyptyque avec des Scènes de la vie de la Vierge, pour le monastère de Harvestehude.
Réalisé pour l’autel de Saint-Pierre de Hambourg, parmi les retables qui nous sont parvenus du XIVe siècle, celui-ci est l’un des plus grands et des plus remarquables, mais aussi l’un des plus complexes sur le plan sémantique. Comme pour beaucoup de retables comparables, le centre était sans doute occupé à l’origine par un couronnement de la Vierge. Ce couronnement était encadré de 44 figures de saints réparties sur deux registres. Lorsqu’on referme la partie intérieure des doubles volets, on aperçoit 24 sections de mêmes dimensions, dont 14 illustrent la Genèse jusqu’au fratricide de Caïn avec une quantité de détails tout à fait inhabituelle. Les figures peintes par Bertram se distinguent par leur aspect sculptural que les fait ressortir sur le fond d’or, et par une sorte de poésie burlesque. Bertram narre les événements avec une simplicité poétique ; les figures paraissent taillées sur le fond doré et les formes, marquées, sont un peu disproportionnées, avec une grosse tête et de grosses mains, pour faciliter une vision de loin.
Dans la Création des animaux, la figure de Dieu est encadrée de part et d’autre par les créatures. À gauche, Bertram a disposé les mammifères sur un rocher escarpé, alors que les oiseux qui leur font pendant, sont placés les uns au-dessus des autres sur un fond doré, comme pour orner la marge d’une page. L’habile répartition des champs importe plus à Bertram que la vérité superficielle de la narration. La subtilité de la composition se manifeste dans la figure principale : l’inclinaison du corps ménage une place pour la main gauche levée de Dieu, tandis qu’un drapé en arabesque se détache de la masse de l’habit pour répéter le geste de la main droite. Des motifs d’enroulement tout aussi ludiques déterminent les contours du côté opposé et annoncent les cascades de plis du style international.
Maître Francke (documenté à Hambourg de 1380 à 1436)
C’est l’un des peintres les plus originaux du gothique international allemand. Maître Francke, issu d’une famille de cordonniers hambourgeois originaire de Zutphen, on suppose qu’il est né vers 1380, vu qu’il devrait être de quelques années plus jeune que Konrad von Soest, qui est l’un de ses modèles. Francke entre dans le monastère dominicain de Saint-Jean à Hambourg et y travaille, ce qui expliquerait qu’il n’a pas eu de grand atelier à sa disposition. Le fait d’être moine ne l’empêche pas de se déplacer à sa guise, en tout cas il ne peut avoir acquis ses connaissances de l’art occidental qu’en faisant quelques voyages. Il jouit d’un grand crédit auprès des marchands de Hambourg qui lui font de nombreuses commandes. Mais nous savons aussi qu’il travaille pour des commanditaires de Reval ou de la cité épiscopale de Münster. L’influence du peintre sur les générations suivantes témoigne de sa notoriété. La plupart de ses œuvres ont été la proie des iconoclastes à l’époque de la Réforme.
Le paysage extraordinairement riche et verdoyant – presque un parc – qu’on relève dans les panneaux conservés de ce retable, a largement contribué à la popularité de la représentation. Le premier plan reste cependant très sablonneux, aride, austère et peu engageant. Le manteau bleu dont les anges entourent la Vierge comme d’une clôture – une invention très personnelle de Francke – donne amplement prétexte aux superpositions tant prisées par le peintre. Dieu le père assiste à l’événement et le bénit dans une couronne de nuages traités de manière étonnamment vivante pour l’époque. Lui seul se détache sur un fond dore, au milieu d’un nuage sur un ciel rouge constellé d’étoiles.
Ces panneaux font partie d’un cycle légendaire consacré à saint Barbe et destiné à la cathédrale de Tuku (Finlande). Le premier raconte comment en poursuivant la sainte, son père vit soudain un mur se dresser sur son chemin. Le père, vêtu d’un somptueux habit oriental, vient d’entrer dans le tableau par la gauche, cimeterre à la main et poing fermé. Le mur vient couper le tableau de gauche à droite, jusqu’au bord antérieur de l’image, empêchant toute avancée. Ces tableaux sont remarquables aussi par l’atmosphère crépusculaire dans lesquelles baignent les scènes ; Dans la Poursuite de sainte Barbe, la blonde jeune fille Barbe s’enfuit dans la forêt, poursuivie par son père irrité de sa conversation à la foi chrétienne ; quoique représentée à l’arrière-plan et cachée par les frondaisons, la sainte est reconnaissable à son auréole lumineuse. Le rapport des proportions entre les personnages est à l’évidence incorrect : c’est que le peintre s’intéresse à l’effet narratif bien davantage qu’à l’exactitude de la perspective.
Maître de sainte Véronique
Cologne, la puissante métropole du Rhin inférieur s’est largement ouverte au gothique international ; ses éléments traditionalistes correspondaient au tempérament conservateur de Cologne. L’atmosphère toute en intimité et en calme méditatif rejoint également un intérêt particulier pour l’image de dévotion, support de la quête spirituelle individuelle proposée par les grands mystiques rhénans du XIVe siècle : Maître Eckhart, Henri Suso et Jean Tauler. La peinture colonnaise est alors exceptionnellement importante en quantité et en qualité, respectant les règlements stricts fixés par la corporation des peintres. Si le retable des Clarisses, terminé vers 1400, développe un long cycle narratif, les panneaux peints colonnais sont le plus souvent organisés autour d’une scène unique, qui facilite la contemplation. L’art du Maître de la Véronique, actif vers 1395-1415, est au cœur de cette production. Dans la Sainte Véronique (vers 1420), le motif n’est plus l’une des scènes de la Passion mais la présentation frontale – à l’instar d’une icône – du visage souffrant du Christ offert à la prière silencieuse du fidèle. Avec le Mont Calvaire, le Maître de la Véronique, le plus grand peintre de Cologne avant Stefan Lochner fait entrer le type de calvaire à nombreuses figures, dans la ville de la grande cathédrale.
C’est à un tel drap que la légende rattachait le personnage et l’histoire de sainte Véronique, selon laquelle elle aurait essuyé le visage du Christ avec son voile sur le chemin de la croix ; le visage du Sauveur s’y serait imprimé miraculeusement. La popularité de ce tableau fut favorisée par le fait que le voile était l’un des buts principaux du pèlerinage à Rome et que beaucoup d’indulgences étaient liées précisément à sa vénération. La disposition régulière des épines, le drapé curvilinéaire des bords du voile, la délicatesse du visage et des doigts de la sainte bannissent toute expression brutale de la douleur. La différence d’échelle entre le voile, la sainte et les angelots, l’absence de rapport spatial cohérent entre le sol carrelé, le corps caché de Véronique et le fond d’or définissent cet art d’irréalité précieuse. Les angelots ont précisément été peints dans les couleurs les plus douces et une technique de glacis extrêmement fine, témoignant de l’immense technique du maître.
Autour de la croix, les figures équestres avec le « bon capitaine » en adoration et l’aveugle Longinus, à qui il faut tenir la main munie d’une lance, et qui recouvre la vue grâce au sang jaillissant de la blessure du Christ ; au premier plan, les familiers regroupés autour de la mère livide de douleur et les soldats jouant aux dès le manteau de Jésus.
Chez ces derniers, les visages finement dessinés ainsi que les vêtements moitié à la mode, moitié orientalisants, sont d’inspiration occidentale. Il faut souligner la délicatesse et la luminosité des couleurs et leur aspect émaillé, ou encore, malgré les proportions encore imparfaites et la posture malhabile, l’observation très juste des chevaux somptueusement harnachés.
Stephan Lochner (Meersburg ? vers 1400 – Cologne 1451)
Stephan Lochner fut l’un des plus grands artistes de son époque. Il resta fidèle au style du gothique tardif de la région du Rhin (dont il donne une version originale mise au goût du jour, extrêmement lyrique et délicate), bien qu’il connût depuis longtemps le naturalisme des Flamands grâce à Robert Campin (le Maître de Flémalle). À Cologne, il s’est indiscutablement inspiré de la peinture ancienne. La douceur naturelle de l’artiste peut s’exprimer pleinement dans les délicats tableaux représentant des Madones, debout et dans un mouvement de torsion très élégant, ou assises sur le sol dans l’attitude de la Madone de l’Humilité, dans une reconstitution florale qui rappelle une iconographie heureuse du gothique tardif (Madone à la roseraie, Cologne, Wallraf-Richartz Museum, Madone aux violettes, Cologne, Musée Diocésain). Jamais cependant, dans les œuvres peintes en pleine maturité, ne sera affirmée une conquête totale de l’espace naturel, toujours nié ou adroitement masqué par des moyens figuratifs comme le maintien du fond d’or (Présentation au temple, 1447, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum) ou la limitation du fond paysager a une « échappée » latérale (Adoration de l’Enfant, Munich, Alte Pinakothek). Le grand triptyque à volets, l’Adoration des Mages (Cologne, cathédrale, mais commandé pour la chapelle de l’hôtel de ville), chef d’œuvre de Lochner est la preuve la plus évidente de son affirmation-négation contradictoire des exigences de la perspective. Lochner mourut en pleine maturité, sans pouvoir poursuivre son œuvre. Son influence fut grande en Rhénanie et en Westphalie, allant jusqu’à toucher Albrecht Dürer.
Dans ce tableau, Lochtner déploie une finesse et une sensibilité extrêmes. Contrairement à d’autres tableaux sur ce sujet, rien ne détourne l’attention de la personne de Marie. Le panneau est essentiellement une image de son humilité et de sa glorification ; il n’est que secondairement une image de ses qualités (les fleurs symbolisant ses vertus, la broche à la licorne, image de sa virginité). Toute la richesse des moyens artistiques est mise en œuvre pour exprimer la pureté, la grâce et la douceur du thème marial.
Lochner n’aime que les sujets sensibles et tendres de la foi – dans son œuvre, on ne trouve aucune représentation de la Passion. Ce retable avec sa composition complexe, a été réalisé dans les formes douces et solennelles du « beau style ». La silhouette souplement arquée des angelots bleus se détache vivement sur le fond d’or, comme souvent dans les tableaux de ce peintre. La prédilection pour les détails descriptifs, rattache cette œuvre au goût flamand et bourguignon contemporain. Les visages aux traits arrondis et aux yeux mi-clos est très caractéristique de la manière de Stephan Lochner.
Le Rhin supérieur
Les dommages perpétrés par les iconoclastes de la Réforme et les nombreuses guerres n’ont laissé que de restes sporadiques de la peinture de Haute Rhénanie, mais ils témoignent encore bien du rôle important de l’art de cette région au XIVe et au XVe siècle. Dans la première moitié du siècle, les conciles de Constance et de Bâle ont dû relancer la production artistique. En raison de sa parenté avec des panneaux localisés, par exemple la Madone aux fraises de Solothurn, le Jardin du Paradis Paradiesgärtlein de Francfort est sans nul doute à classer dans la catégorie de l’art de Haute Rhénanie. Par contre, est plus difficile de savoir s’il a été peint à Strasbourg, Bâle, Constance ou ailleurs. En ce qui concerne le panneau de la Crucifixion au Dominicain qui se trouve au Musée de Colmar, les derniers études ont attribué cette œuvre au peintre Herman Schadeberg, appelé jusqu’alors le Maître de la Crucifixion au Dominicain. Hermann Schadeberg est cité dans les documents d’archives comme peintre de bannières, enlumineur, doreur et auteur de polychromies de sculptures et d’objets d’orfèvrerie.
Le Jardin du Paradis est le chef d’œuvre de cette école. Le thème de la Vierge dans un jardin clos est lié à la mystique des moniales, et les figures délicates, dont tout trait individuel est absent, s’inscrivent dans un espace sacré d’une paix inaccessible. Un tel lieu est aussi la transposition des jardins profanes ; le peintre ancre cette scène de pure dévotion dans le monde aristocratique et courtois.
Par les anges qui y figurent, cette « Crucifixion » montre que le fond d’or auquel ces œuvres sont attachées n’est pas une négation de l’espace mais une ouverture vers le monde céleste, et ce en accord avec les effusions lyriques des couvents dominicains et franciscains de la vallée du Rhin. Cette œuvre dut être réalisée à la demande du Dominicain qui se trouve au pied de la croix.