Petrus Christus (Baerle vers 1410 – Bruges 1472/73)
L’artiste qui signa plusieurs tableaux Petrus Christus est originaire de Baerle, nom d’un village près de Gand. On ne possède pas d’informations précises sur sa formation, qui dû en tout cas se dérouler au contact de l’art de Van Eyck déjà dans sa prime jeunesse. Il se perfectionne dans son métier à Bruges. Chez Jean van Eyck ? C’est possible. On retrouve dans ses œuvres, la représentation d’objets dont ce dernier s’était servi (miroirs, draps d’honneur, carpettes). L’artiste n’obtint son inscription comme bourgeois de Bruges qu’en 1444, trois ans après la mort de Jan van Eyck, mais il est probable qu’il résidait déjà depuis longtemps en cette ville où il y restera jusqu’à sa mort. Son activité se place dans la période comprise entre celle de Jean van Eyck et celle de Memling. Petrus Christus et son épouse faisaient partie de la fameuse confrérie religieuse Notre-Dame de la Neige à Bruges. Nombre de ses adhérents appartenaient sans nul doute aux milieux dans lesquels se recrutait habituellement la clientèle de Christus ou de Memling (bourgeoisie, haute finance, noblesse).
On peut donc présumer que leur affiliation ne fut pas motivée uniquement pour des raisons religieuses, mais aussi par la perspective de contacts professionnels. L’œuvre de Pétrus Christus joua un rôle important dans la diffusion de la culture picturale flamande dans les pays méditerranéens. Les nombreux étrangers vivant où séjournant temporairement à Bruges représentaient également une part importante de la clientèle de Pétrus Christus. Et ils étaient grands amateurs de portraits. Pétrus Christus avait du portrait une conception uniformisée. Dans certaines de ses œuvres, la pose, la forme et la taille de la tête sont manifestement tirées d’un fonds commun. L’individualisation des modèles ne s’opérait qu’aux stades ultérieurs du processus pictural, accordant alors une grande attention aux détails de la physionomie.
Dans ce petit et précieux portrait, une jeune fille se tient dans son intérieur. Elle est éclairée par une lumière naturelle frontale provenant d’une fenêtre. Son regard se tourne vers la gauche, comme pour intercepter celui du spectateur. Son visage a la pureté et le brillant de la porcelaine.
Portraits privés ou retables publics, ces œuvres constituaient des souvenirs caractéristiques de la carrière de leurs commanditaires à l’étranger. Mais ce goût pour le portrait flamand était partagé par des Italiens qui n’avaient jamais franchi les Alpes. À Florence, une des œuvres les plus précieuses dans l’inventaire des biens de Laurent de Médicis en 1492 était le portrait d’une Dame française, dû à Petrus Christus. L’anonymat du modèle suggère que le portrait, considéré comme un objet de beauté et d’intérêt, avait été acquis par lui-même. Installé dans le studiolo du palais Médicis, il se présentait comme une pièce de collection, semblable aux autres pièces rares et de grand prix conservées dans ce cadre, parmi lesquelles Saint Jérôme dans son cabinet de travail peint par Van Eyck.
Devant un fond sombre et neutre, un homme en buste est tourné vers la droite. Ce tableau s’inscrit dans la tradition du portrait de trois quarts, très courant dans la peinture flamande, qu’avaient développée Jan van Eyck, Robert Campin et Rogier van der Weyden vers 1430. On notera cependant une différence fondamentale par rapport à leurs œuvres : la lumière concentrée, qui souligne la plasticité du visage suggéré par l’artiste et engendre une monumentalité sculpturale. La moitié du visage tourné vers le spectateur est éclairé par la gauche, tandis que la face détournée est plongée dans l’ombre. Malgré des divergences structurelles dans le choix des moyens, cette œuvre s’inscrit dans l’art du portrait de Petrus Christus, toujours très soucieux des effets plastiques, qui se trouvent dans le Portrait d’un chartreux (New York) – œuvre de jeunesse – tout comme dans le Portrait d’une jeune femme (ci-dessus) – œuvre plus tardive.
Cette scène qu’on poudrait qualifier presque de scène de genre, se déroule à l’intérieur d’une boutique d’orfèvre (Saint Eloi, est le patron des orfèvres). Comme Van Eyck dans Les époux Arnolfini et comme tant d’autres après, le peintre utilise ici le miroir pour faire rentrer le spectateur dans le tableau. Le miroir permet d’apercevoir deux hommes qui regardent dans la boutique, et des maisons typiques de Bruges. Le jeune couple est en train d’acheter une bague de fiançailles que l’orfèvre se dispose à peser. Sur le comptoir, on reconnaît des monnaies de différents pays, des florins, des angels anglais et des écus de Philippe le Bon.
Exécutée pour la famille brugeoise des Adornes, cette Lamentation dénote l’influence de Rogier van der Weyden. Les personnages principaux reflètent clairement les figures centrales de la Descente de Croix du Prado de Madrid. Mais en même temps, illustrent les limites de cette influence.
Ici, le sens du drame du modèle espagnol est totalement absent : les personnages semblent s’être retirés dans l’introspection et la contemplation. Cet effet de sérénité peut s’expliquer en partie par la simplification croissante qui caractérise les derniers travaux de l’artiste. La scène est placée devant un vaste paysage où est représentée Jérusalem sous la forme d’une ville flamande à la fin du Moyen Age.
Dans cette œuvre de jeunesse, Petrus Christus adopte résolument la manière de Van Eyck, ce qui explique qu’on l’ait pendant longtemps tenu pour un de ses collaborateurs. En imitant le style et la technique de Van Eyck, il se recommandait au public brugeois comme son digne successeur. La figure de la Vierge est une imitation de la Vierge à la fontaine de Van Eyck. Quant au portrait du commanditaire Jan Vos, représenté en costume de chartreux, il rappelle celui du donateur de la Vierge au chancelier Rolin, et le paysage à l’arrière-plan reprend certains éléments de l’extraordinaire paysage panoramique de ce tableau. La ville représentée au fond à droite semble elle aussi être une imitation d’un modèle perdu de Van Eyck ; elle apparaît à peu prés à la même époque dans la miniature ornant le frontispice d’un manuscrit du « De Civitate Dei » (Bruxelles, Bibliothèque royale) de saint Augustin.
La « sacra conversazione » transposée en Flandre
Au cours des années 1420, la sacra conversazione (plusieurs saints entourant la Vierge) se détacha du retable à plusieurs volets. Comme cette composition était particulièrement populaire à Florence à l’époque, toute discussion relative à son évolution se concentre sur les peintres florentins. Mais on peut trouver des exemples septentrionaux du même genre chez Van Eyck, ou probablement exécutés en réponse à des commandes italiennes. Ainsi la Vierge à l’Enfant de Petrus Christus, comprend saint François, très populaire en Italie. Ici aussi, les saints se rapprochent de la Vierge sur son trône en une sacra conversazione. Il semble qu’en assimilant le style de Van Eyck, Petrus Christus obtint un grand succès à l’étranger ; sur les quelque vingt-cinq œuvres que nous conservons de lui, huit viennent d’Espagne ou d’Italie.
Domenico Veneziano marcha sur les traces de Fra Angelico (probablement le père de la « sacra conversazione ») avec le Retable de Santa Lucia, prouvant du même coup que l’idée d’une « sacra conversazione » sur panneau unique faisait son chemin dans l’école florentine.
Le manque de sources fait que les voyages en Italie d’artistes transalpins postulés sur la base de considérations stylistiques sont souvent contestés ou rejetés comme simples suppositions. Pourtant, dans le cas de Dieric Bouts et de Pétrus Christus, leur connaissance évidente de la perspective géométrique structurée qui s’imposa en Italie avec Filippo Brunelleschi mais resta longtemps ignorée aux Pays-Bas, est certainement un argument en faveur d’un séjour italien. L’œuvre des deux artistes révèle d’ailleurs d’autres points communs avec la peinture italienne contemporaine – et ce bien au-delà d’une transmission purement littéraire par le biais des bibliothèques humanistes flamandes. Rien que l’Italie du Nord offrait déjà aux peintres flamands suffisamment d’occasions pour se familiariser avec la peinture italienne de l’époque. C’est le cas, cette fois-ci documenté, du voyage de Rogier van der Weyden en Italie durant l’année jubilaire 1450.
Dirk ou Dieric Bouts
Né vers 1415 et originaire des Pays-Bas du Nord, Dirk Bouts (Haarlem vers 1415 – Louvain 1475) s’établit à Louvain dans les années 1447-48 où il remplit la fonction de peintre de la ville. Artiste honoré et réputé, il y mène une existence aisée, multiplie les contacts avec les milieux universitaires et est chargé par les autorités d’importantes commandes officielles. La peinture de Bouts, qui suivit probablement sa formation à Haarlem, est fortement influencée par celle de Van der Weyden, mais dénote en outre une connaissance certaine de l’art italien. Les personnages hiératiques de ses triptyques de Bruges Martyre de saint Hippolyte et de Louvain Martyre de saint Erasme, représentés strictement de profil, forment avec le magnifique paysage qui les entoure un contraste saisissant qui rappelle Piero della Francesca. Bouts est, avec Petrus Christus, le premier peintre flamand à appliquer à ses vues intérieures la construction perspective, qui commençait alors à se répandre en Italie. La Dernière Cène, qui constitue le panneau central d’un retable exécuté entre 1464 et 1468 pour la confrérie du Saint-Sacrement de Louvain, se déroule dans un intérieur dont les lignes de fuite convergent vers un point particulièrement significatif: l’hostie présentée par le Christ. Commandé par la magistrature de Louvain pour la salle du conseil de l’hôtel de ville, la Justice d’Othon (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts) constitue la dernière œuvre importante de Dirk Bouts. Si au départ quatre panneaux étaient prévus, Bouts meurt avant même d’avoir pu achever le deuxième. Susceptible d’inciter les juges à l’équité, à la prudence et à la circonspection par le biais d’un exemple flagrant d’injustice, l’œuvre de Bouts avait à l’époque une fonction d’enseignement et d’éducation à l’impartialité.
Dans la Dernière Cène, panneau central du retable, le peintre abandonne les représentations traditionnelles du Christ rompant le pain, de la communion des apôtres et de la trahison de Judas. Le repas se déroule dans une vaste pièce, plutôt réfectoire de couvent que salle à manger de demeure patricienne. Les scènes des panneaux latéraux sont, de haut en bas et de gauche à droite : Abraham et Melchisédech ; Récolte de la manne ; Élie dans le désert ; la Pâque. Avec Christus, Bouts est le premier artiste des Pays-Bas qui connaissait l’organisation géométrique de l’espace, procédé qu’il appliqua pour la première fois dans ce retable.
Sur le panneau central, qui illustre une version de la mort de saint Hippolyte élaborée au bas Moyen Age à partir de plusieurs légendes antérieures, le malheureux officier romain est écartelé à cause de sa foi. L’étonnante composition circulaire utilisée par Bouts témoigne d’une recherche de profondeur ambitieuse, mais entièrement aboutie, qui fait penser à certaines œuvres de contemporains italiens. Le paysage vallonné du panneau central se prolonge sur les volets, avec plus de détails et de raffinement. La scène de droite est difficile d’interpréter. Peut-être le personnage au bâton de commandement est-il l’empereur Decius, s’adressant à son officier « félon », genou en terre, peu avant sa condamnation.
Il s’agit d’une des dernières œuvres de Bouts, restée inachevée à sa mort (1475). Elle faisait partie d’une fondation d’autel établie par Hippolyte de Berthoz, en charge des finances bourguignonnes à la cour de Charles le Téméraire. Les portraits du donateur et de son épouse furent achevés par Hugo van der Goes ; le panneau central et le volet droit sortent vraisemblablement de l’atelier de Bouts.
Même s’il subit l’influence de l’école de Rogier van der Weyden, Bouts abandonna la mobilité pleine de vie et la précision du tracé du maître pour adopter un modelé plus doux et une position fondamentalement contemplative. Le tracé de ses peintures est très fin, la perspective très étudiée et les détails extrêmement précis. Pour les Rois Catholiques, grands collectionneurs de peinture flamande, Bouts exécuta diverses œuvres pour la Capilla Real de Grenade, dont une Vierge à l’Enfant entourée d’anges. Si les relations de Bouts (et de son atelier) avec le royaume de Castille sont encore peu connues, les œuvres attestées dans la péninsule Ibérique indiquent qu’elles devaient être particulièrement étroites. Dans la Vierge à l’Enfant entourée d’anges (1465-1470), la composition de Bouts montre la Vierge à l’Enfant sur un trône dans un édifice haut et étroit, évoquant un portique coiffé d’une voûte en berceau ; de chaque côté de la Mère de Dieu figurent deux anges agenouillés sur des marches. Par rapport à cette composition, l’œuvre de Bouts représente un net progrès, car elle est déjà construite selon les règles de la perspective, toutes les lignes de fuite se recoupant en un seul point.
Les portraits avec de personnages placés dans des intérieurs, ils ont de précédents dans le Portrait des époux Arnolfini de Van Eyck, ainsi que chez Memling (très fréquents). L’idée très artificielle de placer une figure à mi-corps devant un lointain panorama remonte peut-être à Van der Weyden, qui l’a utilisé dans son Triptyque Braque. L’association du cadre et du paysage peut être comprise comme un développement logique du « portrait avec vue par une fenêtre », dont il est communément admis qu’il fut introduit par Dirk Bouts en 1462.
Le Christ se lève de sa tombe avec une imposante dignité. Le drame et le tumulte de cet instant sont tués par l’ordre rigide de la composition. La scène se déroule devant une vaste et tranquille étendue de terre, construite avec une étonnante connaissance de la lumière et de la perspective atmosphérique. Cette peinture faisait partie d’un retable aujourd’hui démantelé.
Joos van Wassenhove (Juste de Gand)
L’artiste connu sous le nom de Juste de Gand, est Joos van Wassenhove (activité documentée de 1460 à 1475), peintre qui acquit la maîtrise de la corporation des peintres d’Anvers en 1460 et de celle de Gand en 1464. Formé sur l’exemple de Jan van Eyck, avec de nombreuses références à Rogier van der Weyden. Il est mentionné dans les documents en 1465, 1467 et 1468 ; À Gand il travailla et fut l’ami de Van der Goes. Une obligation de l’an 1475 atteste que Joos van Wassenhove quitta Gand pour Rome en 1469. Cette année-là, le peintre auparavant actif à Anvers se porta une dernière fois garant pour Hugo van der Goes ; il ne réapparaît qu’en 1473 sous le nom de Giusto di Gand (Juste de Gand) dans les archives de la Compagnie del Corpus Christi à Urbino, pour laquelle il créa sa monumentale Communion des Apôtres. Avec Melozzo da Forli et Pietro Spagnolo, l’artiste castillan Pedro Berruguete qui allait devenir peintre officiel des Rois Catholiques, Joos van Wassenhove participa en 1477 à la décoration du studiolo du palais d’Urbino pour Federico da Montefeltro ; ce studiolo comportait une galerie de portraits d’hommes célèbres : philosophes, pères de l’Église et poètes. Ainsi que le rappelait Vespasiano da Bisticci (vers 1482-1498), comme « il ne trouvait pas en Italie de maîtres capables de peindre à l’huile comme il l’entendait, il finit pour faire chercher en Flandre un maître exceptionnel et l’invita à Urbino où lui fit faire de nombreux tableaux d’une qualité extraordinaire ». Nombre des œuvres réalisées par Juste de Gand pour la cour d’Urbino dans les années 1470 furent des portraits et Vespasiano da Bisticci, qui proclamait qu’au portrait de Federico da Montefeltro, duc d’Urbino, dû à Juste de Gand, « il ne lui manquait que le souffle ».
Adoration des Mages, vers 1465, Juste de Gand (New York, Metropolitan Museum). Cette peinture, qui fait partie des premières œuvres documentées de l’artiste, est proche du style de Dirk Bouts, se distingue toutefois par un plus grand sentiment lyrique. Probablement commissionnée pour un couvent près de Burgos, en Espagne, l’œuvre a été peinte sur toile pour faciliter son transport.
Hugo van der Goes
Parmi tous les primitifs flamands, Hugo van der Goes est le seul à prendre une épaisseur humaine, le seul qui semble avoir été autre chose qu’un brave artisan respectueux de la tradition médiévale. Souvent on l’a même assimilé au « génie » de la Renaissance, tourmenté par l’influence néfaste de Saturne, planant loin au-dessus du commun des mortels mais toujours prêt à sombrer dans la folie. Le style très personnel de Van der Goes apporta une nouvelle vigueur à l’art flamand au moment où de nombreux épigones de Rogier van der Weyden transformaient en formules aisées l’art élégant de cet artiste. Ce style ne constitue pas un retour au réalisme : la conception artistique d’Hugo van der Goes reste toujours d’essence transcendante. Le Triptyque Portinari, arrivé en 1483 à Florence, où il suscita l’intérêt et l’admiration des contemporains et influença nombre d’artistes, est le témoignage le plus important de l’importation d’œuvres d’art flamandes en Italie au cours du XVe siècle.
Ce retable, qui doit son nom au collège des jésuites de Monforte de Lemos en Galice où il se trouvait avant d’être acheté en 1913 par le musée berlinois, est probablement l’une des premières œuvres de l’artiste. Le point de vue peu élevé adopté par le peintre, comme si, imitant l’aîné des rois, il s’était agenouillé lui-même devant la scène, fait que la plupart des autres personnages sont vus d’en bas. On pourrait la qualifiée de scène théâtrale, tout comme dans l’Adoration des Bergers du même musée où deux prophètes dévoilent la scène en ouvrant une tenture.
Un espace pittoresque, ensoleillé, d’une structure complexe, est peuplé sans effort de figures paisibles, toutes à la même échelle, dont la dignité d’attitude et la sérénité d’expression sont aussi éloignées de la tristesse que de exaltation.
La date de naissance de Hugo van der Goes est incertaine, mais il serait né à Gand vers 1435, à en juger d’après une note dans les comptes de la ville de Louvain de 1479 concernant l’estimation que Van der Goes devait faire des œuvres livrées par Bouts à cette ville. Il parvint à la maîtrise en 1467, à Gand; il devient franc maître de la Gilde locale et en quelques années conquiert un succès foudroyant. Les commandes officielles se succèdent. Il participe à Bruges aux décorations qu’on crée à l’occasion du mariage de Charles le Téméraire, ainsi que pour les festivités des « Joyeuses entrées ». Mais brusquement en 1478, le peintre renonce à sa carrière publique, offre tout ce qu’il possède à l’Église et entre comme « frère convers » au monastère de Rouge-Cloître. Vers 1480, au retour d’un pèlerinage à Cologne, le peintre est atteint d’une étrange maladie. Il délire à haute voix, affirme qu’il est trop prétentieux car il n’a pas pu égaler l’art de Jan van Eyck, prétend qu’il est maudit et condamné à l’enfer. Les choses semblent assez graves puisque le prieur du couvent accepte « qu’on joue de la musique afin de le calmer ». Il mourut en 1482.
Entourée des disciples de son fils, la Vierge est représentée à l’instant même de sa mort. Saint Pierre, guide des apôtres, vêtu ici comme un ecclésiastique du XVe siècle, fait allumer un cierge pour le placer selon la tradition entre les mains de la mourante. Le Christ, avec les anges, apparaît au-dessus du lit, les mains écartées pour recueillir l’âme de la Vierge. Un aspect caractéristique de ce tableau est le traitement serein et pourtant expressif des émotions qui se lisent sur les visages des apôtres extrêmement affectés. Chaque membre de l’assistance réagit manifestement à sa façon à ce moment dramatique. Œuvre tardive du maître, ce chef-d’œuvre brugeois aurait fait école. On en connaît plusieurs copies et imitations du XVe et du XVIe siècle.
Le Triptyque Portinari
De toutes les œuvres réalisées par les primitifs flamands pour des mécènes italiens, une des plus souvent analysées est probablement le Triptyque Portinari, dû à Hugo van der Goes. Commandé par Tommaso Portinari, ce triptyque était destiné à orner la chapelle familiale dans l’église du plus grand hôpital de Florence, Santa Maria Nuova. Jusqu’à la publication de documents prouvant son arrivée à Florence en mai 1483, son influence sur les retables florentins a fait l’objet de spéculations aussi nombreuses qu’invérifiables. Les bergers de Van der Goes arrivent en groupe par la droite, détail le plus souvent relevé dans les commentaires. L’Adoration des Bergers (retable Sassetti) de Ghirlandaio, qui présente un arrangement similaire, a été peint, très peu de temps après (1485). Léonard de Vinci, Botticelli, Filippino Lippi et Piero di Cosimo : autant de peintres qui se sont inspirés du retable flamand, exposé dans ce qui avait été jusqu’en 1450 la chapelle de la guilde des peintres, ornée à l’époque de fresques de Andrea del Castagno et de Domenico Veneziano. Il ne fait aucun doute que l’œuvre de Van der Goes stimula la créativité de Ghirlandaio et de ses contemporains ; pourtant, le peintre flamand n’avait fait que revisiter une tradition déjà bien établie dans la peinture florentine. La Nativité d’Alesso Baldovinetti (1466), par exemple, a son propre groupe de bergers, entrant par la droite de cette vaste fresque de la Santissima Annunziata, et cette œuvre était nettement antérieure à celle de Van der Goes. Par ailleurs, d’autres Florentins, comme Agnolo Gaddi et Taddeo di Bartolo, avaient déjà peint des bergers naturalistes envahissant la scène par la droite. Des années avant l’arrivée du tableau à Florence, des enluminures de Monte di Giovanni, datées de 1474-1476, présentent également des rapports flagrants avec les bergers du Triptyque Portinari.
En fait, à l’époque où le Triptyque Portinari avait fait son apparition à Florence, l’école florentine avait d’ores et déjà assimilé bien des traits de l’école flamande. Ainsi, on retrouve dans le Martyre de saint Sébastien (National Gallery, Londres) d’Antonio et Piero del Pollaiolo, terminé en 1475, une variante à grande échelle de l’arrière-plan de la Vierge au chancelier Rolin de Van Eyck. Mais les frères Pollaiolo peuvent aussi s’être inspirés d’œuvres florentines antérieures, comme la Nativité de Baldovinetti, ou encore le tondo de l’Adoration des Mages de Veneziano (Berlin, Staatliche Museen), avec son paysage traversé par une rivière sinueuse.
Hans Memling, peignit vers 1470 les portraits des époux Portinari : Tommaso di Folco Portinari et Maria Maddalena Baroncelli qui comptait à cette époque seize ans. Quelques années plus tard, Van der Goes les a représenté dans son triptyque en tant que donateurs accompagnés de ses enfants. Marie Portinari apparaît déjà plus âgée portant la même robe somptueuse, le grand collier fait avec une filigrane de fils précieux et petites perles, ainsi que son haut hennin, dont le voile transparent tombe sur ses épaules.