Paul Sérusier : biographie
Paul Sérusier (Paris 1864 – Morlaix 1927), entre comme massier à l’académie Julian et étudie parallèlement la philosophie, l’arabe et l’hébreu. En 1888, il rencontre Gauguin à Pont-Aven et peint, sous sa direction, sur une couvercle de boite à cigares Le Bois d’amour qui deviendra Le Talisman pour ses amis de l’académie Julian : Bonnard, Ibels, Ranson et Denis ;
ce dernier écrira à ce propos : « on distinguait un paysage informe, à force d’être synthétiquement formulé en violet, vermillon, vert véronèse, et autres couleurs pures, telles qu’elles sortent du tube, presque sans mélange de blanc ». Rejoint par Vuillard et Vallotton il fondent le groupe des Nabis (de nabi, prophète) et Sérusier participe avec eux à la première exposition Nabis en 1891. En 1889 et 1890, il travaille avec Gauguin en Bretagne, puis se lie avec le peintre néerlandais Jan Verkade qui l’entraîne vers la théosophie. Il peint de nombreux sujets bretons. Il collabore avec les Nabis à la réalisation de décors de théâtre (Ubu roi de Jarry, 1896 avec Bonnard). Retrouvant Verkade au couvent de Beuvron où il est devenu moine, Sérusier y rencontre le père Didier Lenz qui lui fait connaître la théorie des « saintes mesures » fondée sur le nombre d’or. Il fait des voyages en Italie et publie en 1921 A.B.C. de la peinture, s’oriente ver une peinture inspirée d’allégories religieuses et crée des tapisseries influencées par la poésie celtique et l’art médiéval (Tapisserie, 1924, MAM de la Ville de Paris). Il décore également l’église de Châteauneuf-du-Faou en Bretagne où il termine ses jours.
Denis, Sérusier et Ranson, lecteurs attentifs des auteurs ésotériques, épris d’astrologie et de numérologie, conçoivent leur art sur le mode de la révélation et se plaisent à élaborer un symbolisme où rien n’est indifférent, ni les proportions, ni les accessoires, ni les poses, ni les nuances chromatiques.
Pendant l’été 1890 passé au Pouldu, Sérusier peint des paysages des environs, traduisant une maîtrise des principes du synthétisme par la simplification des plans qui s’étagent et de la gamme colorée. Les figures des jeunes Bretonnes sont directement inspirées de celles de Gauguin par leur côté rustre et un peu figé, se voulant être l’expression de la terre où ils vivent.
Le peintre s’est établi à au Huelgoat, distant de 60 kilomètres à l’intérieur des terres, et associe des femmes portant le costume de ce bourg à la côte du Pouldu.
La renaissance celtique
L’œuvre de Sérusier marque le commencement dans la peinture d’une renaissance celtique : « C’est en Bretagne – a déclaré Sérusier lui-même – que je suis né de l’esprit. » Lorsqu’il était lassé de synthétiser ses beaux paysages de Châteauneuf-du-Faou ou de construire ses solides natures mortes, Sérusier peignait des paysannes qui étaient en même temps des sortes de fées. « Vous êtes-vous demandé – écrit Thubert – comment Sérusier découvre au bord du Scorff des fées ? Il vous dit que c’est par déduction ! Il voudrait peindre des allégories mais quels thèmes s’offraient à lui ? Ceux de la mythologie grecque et romaine ? Il lui fallait des symboles plus primitifs ; il les trouva dans sa Bretagne. » « De déduction en déduction – dit-il – je voulais de l’allégorie et refusais la grecque; j’étais en pays celtique; j’imaginai les fées; le vêtement moderne change trop souvent ; j’adoptai pour mes figures un costume breton qui n’a pas d’âge. » Le tableau Le Conte celtique peint en 1894 c’est l’un des tableaux qui marquent le plus expressément le tribut de Sérusier au celtisme.
Sérusier met en scène les contes de fées et de sirènes bretonnes tirés du folklore breton, comme le recueil de contes publié par François-Marie Luzel en 1887, Contes populaires de Basse-Bretagne :
« (…) la princesse de Tronkolaine, apparaît en effet sous les traits de Dahud. Lorsque le héros Charles, filleul du roi de France, s’enquiert d’elle auprès du roi des éperviers, ne s’étend-il pas répondre : « Quand vous arriverez, vous verrez la princesse auprès d’une fontaine, occupée à peigner ses cheveux blonds, avec un peigne d’or et un démêloir d’ivoire … » (…) elle possède des pouvoirs magiques qui rappellent bien ceux de la Sirène et des déesses de l’eau : Prenez bien garde d’être aperçu d’elle avant que vous l’ayez vue, ajoute la rapace, car elle vous enchanterait. »
Ce tableau représente une offrande à la duchesse de Bretagne (surnommée la « duchesse en sabots ») par des chevaliers médiévaux, et qui se déroule au centre d’une prairie. Anne de Bretagne est demeurée un personnage très populaire en Bretagne et fait partie, au XIXe siècle, d’un imaginaire très partagé.
« Devant Sérusier – dit Thubert -, des champs carrés, clos de haies. Il voit les jeunes filles moissonner, mener les chèvres ou tricoter. D’autres fois, de vieilles femmes cueillent la fougère ou ramassent le bois mort. Peu à peu, les figures s’ascétisent ; le peintre nous montre des femmes vêtues de grandes robes bordées de velours, droites, calmes, solennelles, créatures qui sont fort loin de ce temps, personnages mythiques pour mieux dire, qui tiennent tout ensemble de la nature et du songe. De toutes jeunes courent après les papillons ; d’autres se couronnent de roses. La plupart filent leur quenouille. Quelques-unes lisent un livre. Certaines enfin écoutent conter… Sérusier a raison de rompre avec les classiques. Il entre dans une bien autre antiquité !.. Il est évident que le mystère qu’il pénètre en Bretagne compose le fond du cœur dans tout le peuple de France. C’est le songe qu’a fait d’elle-même à travers tous les cycles, la plus vieille humanité du monde, la race des Celtes … Aussi bien cet œuvre est-il marqué d’un grand caractère : un caractère ethnique national. »
Cet enthousiasme, si exclusif, de la Bretagne a vu le jour à Paris, d’un père flamand et d’une mère normande ; Sérusier travaillait à l’Académie Julian, sans autre intention que de réussir honorablement au Salon quand il alla passer de vacances en 1888 à Pont-Aven et fit la connaissance de Gauguin (il avait alors vingt-cinq ans). Systématisant ses recherches, Sérusier énonça la nécessité de retourner aux maîtres anciens : égyptiens, grecs, italiens, aux chinois de certaines époques et aussi aux artisans qui sculptèrent les portails de nos cathédrales. Mais, tout en vénérant leurs techniques, il entendait que l’art fût, avant tout, l’expression de l’âme de l’artiste; « La nature ne nous fournit – dit-il – que des matériaux inertes. Seul un esprit humain peut les disposer de telle sorte que, par eux, il puisse exprimer ses sentiments et ses pensées au moyen des « correspondances ». C’est par là que l’on arrive au style, but final de tout art. »
Dans ce tableau, Sérusier illustre une scène tirée des Bucoliques de Virgile, suite de poèmes relatant les plaisirs de la vie pastorale et la passion contrariée du berger Corydon pour une jeune garçon, Alexis, au service d’un autre maître.
Théorie de couleurs
En ce qui concerne les couleurs, Sérusier, après avoir d’abord suivi complètement les méthodes de Gauguin, les a ensuite mises au point par des observations minutieuses. Comme Gauguin, il estime que « les couleurs complémentaires ne doivent pas se juxtaposer ». Sur l’emploi des couleurs pures, il est beaucoup moins exclusif que Gauguin, ayant découvert une intéressante théorie des « gris » qui lui permet d’atténuer très heureusement la brutalité de cette technique. « Les impressionnistes — dit Sérusier — ont trouvé un équivalent de la lumière dans l’emploi des couleurs pures. Incapables d’accorder les couleurs pures avec les tons rompus, les gris colorés, ils supprimèrent radicalement ceux-ci, comptant pour y suppléer sur le mélange optique ; ils crurent avoir réussi mais ils confondirent la fatigue rétinienne que nous cause le mélange optique avec l’éblouissement qu’avait produit une vive lumière. Le problème qu’avaient à résoudre les coloristes était d’accorder les tons rompus avec les couleurs pures: problème d’harmonie, l’harmonie étant le nouvel équivalent de la lumière. » Le grand moyen, pour lui, de créer cette harmonie est l’emploi des « gris propres » qui ne dégénèrent pas en boue. Comment obtenir ces « gris propres » ? Sérusier, dont les « beaux gris » sont très réputés parmi les jeunes peintres, prétend qu’il est facile de les obtenir, pourvu qu’on ne mélange point les couleurs de la gamme chaude avec celles de la gamme froide.
Sérusier fait donc usage de deux palettes : l’une chaude, l’autre froide. Palette chaude : jaune d’antimoine, les chromes, ocre-jaune, brun-rouge ou rouge de Venise, terre d’ombre brûlée, vermillon et laque de garance. Palette froide : blanc, noir, jaune de strontiane, les bleus, les verts et laque de garance. Sur chaque palette il obtient des couleurs rompues par le mélange des couleurs avec deux gris : l’un chaud, l’autre froid, et qui sont composés respectivement des couleurs de chaque palette.
« Les distances, parfois même les fausses notes, sont possibles, mail il faut s’en servir avec beaucoup de prudence ; sans cela, l’harmonie risque d’être détruite ». Paul Sérusier : ABC de la Peinture.
Quant à la façon d’assurer sur les toiles l’équilibre du dessin et du coloris, Sérusier suggère la méthode suivante : « Il est inutile de chercher le dessin précis que tu perdras en peignant ; dessine sur un carton que tu garderas sous les yeux pendant l’exécution. »
Bibliographie
Foutel, Virginie. Sérusier, un prophète, de Paris à Châteauneuf-du-Faou. Éditions Locus Solus, 2014
Chassé, Charles. Les nabis et leur temps. Lausanne, La Bibliothèque des Arts, 1960
Frèches-Thory, Claire. Les Nabis. Flammarion, 2003
Guicheteau, Marcel. Paul Sérusier. Éditions Graphedis, 1989
Sérusier, Paul. ABC de la peinture. Rumeur des Ages. 2000