Francesco del Cossa (Ferrare vers 1436 – Bologne 1478)
Né à Ferrare mais établi depuis longtemps à Bologne, et à l’époque de Schifanoia déjà l’auteur d’un poco di nome, Francesco del Cossa accomplira l’essentiel de sa carrière dans la ville de l’Emilie où la proximité de Florence et des régions de l’Italie centrale, les rapports avec la Lombardie et la Vénétie, l’apport d’artistes de passage (peu avant 1437, Paolo Uccello réalise à San Martino un cycle de fresques dont il reste de nombreux fragments) et l’activité de personnalités comme celle de Marco Zoppo avaient créé un climat particulièrement propice pour élaborer et diffuser dans la région du Pô les expériences de Domenico Veneziano et de Piero della Francesca.
Cossa naquit six ans à peine après Tura, mais ils sont rares les documents qui nous renseignent sur sa formation artistique. Il continua dans la recherche d’expressivité plastique de son maître, mais en la modérant au moyen d’un luminisme plus diffus dérivé de Piero della Francesca, en l’adoucissant dans une joyeuse veine narrative pleine de vie. Avant la réalisation de son œuvre la plus connue, les fresques du palais Schifanoia, Cossa avait déjà fréquenté les milieux de la cour, où l’on demandait un art plus profane et plus orné. Il a fallu attendre les travaux de Boschini, puis de Longhi, pour que l’on rende à Francesco del Cossa sa place d’initiateur, avec Cosmè Tura, dans l’histoire de la peinture du Quattrocento, et que l’on définisse la grande école de Ferrare dans la perspective qu’elle mérite, avec, en particulier, le grand cycle du palais Schifanoia, où Cossa a peint ses chefs-d’œuvre : les mois de mars et d’avril.
L’œuvre avait été commandée à Cossa pour l’église de l’Osservanza à Bologne. Limpide dans sa logique architecturale, le retable de Dresde donne au thème de l’Annonciation une solution tridimensionnelle étonnamment cohérente et digne de son inspirateur Piero della Francesca. Le peintre ferrarais y ajoute la parfaite illusion d’une lumière de printemps qui se coule, se diffuse et se projette sur l’ensemble. L’image de l’escargot représenté au premier plan de l’œuvre, a été interprétée comme une allusion à la résurrection de Jésus-Christ.
Devant un mystérieux paysage maritime entouré de falaises rocheuses où se promènent des petits personnages, s’impose la présence de cet homme au regard pénétrant qui tient dans sa main une bague ornée de pierres précieuses. L’identité du personnage reste inconnue. Traditionnellement considéré comme un autoportrait de l’artiste orfèvre Francesco Francia, l’attribution à Cossa reste aujourd’hui incontestée par la géologie du paysage typique de ce peintre, ainsi que par le raccourci illusionniste de la main de l’homme.
Réalisé pour la guilde de Marchands, le retable représente la Vierge à l’Enfant avec saint Petronio évêque de Bologne, avec la maquette de la ville, saint Jean l’Evangéliste et le commanditaire Alberto Cattanei, agenouillé en prière. Dans cette œuvre, l’artiste accentue la gravité monumentale des figures, devenues robustes comme des statues, et dotées de visages au réalisme pénétrant.
Ces deux panneaux faisaient partie d’un retable réalisé par Cossa pour l’église du couvent des Clarisses de l’Observance à Bologne. La partie centrale avec l’Annonciation, ainsi que la prédelle avec la Nativité sont conservées à la Gemäldegalerie de Dresde. En plus des arguments stylistiques, autres éléments renforcent cette proposition faite par Longhi, comme la configuration architecturale qui est la même que dans la scène de l' »Annonciation » et le choix de la figure de Sainte Claire, patronne du couvent des moniales.
Les fresques du palais Schifanoia
Les fresques du salon appelé Salone dei Mesi (Salon des Mois) furent réalisées entre 1469 et 1470 et elles illustrent le « bon gouvernement » de Borso d’Este. La période du gouvernement de Borso est figurée tel un « âge d’or » mythique ; les bandes verticales, qui figurent chaque mois, sont à leur tour divisées en trois sections horizontales. En haut : le triomphe des divinités classiques ; au centre : le signe du zodiaque accompagné des figures des « décans » ; en bas, des scènes de la vie de cour. Quelques rares documents et un seul nom, celui de Francesco del Cossa, peuvent être associés à la réalisation des fresques du palais Schifanoia, mais en dépit des différences sensibles des qualités et des écritures picturales, les caractéristiques du style font apparaître un projet d’ensemble d’une grande cohérence, capable de traduire de manière intelligible un programme iconographique compliqué. Les reflets de la manière de Cosmè Tura ne manquent pas, mais ce sont les intentions didactiques qui prédominent, et l’on a supposé que le coordinateur du projet était Gherardo di Andrea Fiorini da Vicenza, membre d’une dynastie d’artistes polyvalents qui travaillèrent pour les Este, auprès desquels ils remplirent essentiellement la fonction de « designers ».
La manipulation délibérée de différentes conventions spatiales, de la compression décorative de la partie supérieure des fresques, présentant les dieux classiques triomphants, en passant par l’espace symbolique de la zone médiane, qui montre les corps célestes, jusqu’à l’ample espace en perspective de la zone inférieure, où Borso d’Este règne en maître suprême. La nature illusoire de cet espace, avec ses paysages colorés et détaillés, est soulignée par le courtisan d’Avril, dont les jambes pendent par-dessus la balustrade qui sépare l’espace peint de celui du spectateur.
Fils de Junon, Vulcain est représenté dans son activité de forgeron entouré des Cyclopes. Vu de dos, il est reconnaissable à son bonnet rond, le « pilos ». Pour Thétis, il a forgé les armes d’Achille et celles d’Enée à la demande de Vénus. Vénus, épouse de Vulcain, le trompe avec Mars, dieu de la guerre, qui oublie ses armes dans ses bras. Sous le regard ironique des dieux de l’Olympe, Vulcain les surprend et les enveloppe d’un filet qui aurait été fait d’un fil de plomb indestructible : c’est peut-être ce fil qu’un de ses compagnons est en train de dévider, à gauche.
Le « Salone dei Mesi » du palais Schifanoia, cette salle « magique », sans portes ni fenêtres, comme c’est le cas dans de nombreux romans de chevalerie (on pensera par exemple à Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes). Sur deux côtés, il existait en effet de vastes panneaux de bois peints servant à cacher les portes et les fenêtres. Les courtisans arrivaient du jardin et accédaient à la salle par un escalier extérieur. L’éclairage était complètement artificiel et l’on pouvait admirer les fresques au gré d’un parcours circulaire impliquant de nombreux déplacements, puisque le point de vue de la bande inférieure différait de celui de la partie centrale et supérieure. La figure du duc, dans la section inférieure et donc à niveau des visiteurs, était présente plusieurs fois dans chacun des panneaux, de sorte que Borso était toujours aux côtés de ses invités.
L’une des caractéristiques les plus saisissantes du cycle est la répétition formelle : les traits affables du duc dominent chaque scène dans la partie inférieure, qu’il soit en train de chasser, de payer son bouffon, de rendre la justice ou d’assister au « palio » (course de chevaux).
Le polyptyque Griffoni
Après l’achèvement des travaux de Schifanoia et la mort de Borso d’Este (en août 1471) l’histoire de la peinture à Ferrare se mêle presque inextricablement à celle des arts à Bologne. Cossa y avait déjà réalisé dans les premières années de sa carrière le retable avec l’Annonciation de Dresde. Dans son définitif séjour à Bologne, après avoir quitté Ferrare, mécontent de la maigre récompense reçue pour les fresques de Schifanoia, l’artiste peindra vers 1473 pour la chapelle de la famille Griffoni à San Petronio de Bologne un grand retable dédie à saint Vincent Ferrier. Le retable était déjà démembré au XVIIIe siècle, mais dont il reste les parties essentielles. Dans ce chef-d’œuvre, où la netteté des formes semble concurrencer à la peinture flamande, les figures se détachent sur des paysages rocheux, sur des fragments d’architecture monumentale et des fonds d’or. Cette œuvre fut réalisée avec la collaboration d’Ercole de’ Roberti, auquel il fut également attribuer les prédelles figurant les Miracles de saint Vincent Ferrier (Rome, Pinacoteca Vaticana), les petits tableaux avec les figures de saints, logées entre les piliers latéraux du retable et les deux médaillons avec l’Annonciation. La participation d’Ercole de’ Roberti à la réalisation du retable est attestée par Lamo et Vasari, alors que les tableaux plus petits lui sont attribués sur la base de considérations stylistiques. La présence sur le retable de la figure de sainte Lucie, patronne de la première épouse de Floriano Griffoni, Lucia Battaglia, permet de préciser la chronologie de l’œuvre, réalisée certainement entre 1470, l’année où Cossa quitta Ferrare pour rentrer à Bologne, et 1472, année du deuxième mariage de Griffoni avec Ludovica Lambertini. C’est à Roberto Longhi que l’on doit la reconstitution de l’ensemble, aujourd’hui dispersé dans plusieurs musées et collections particulières. Avant d’être fauché par la peste en 1478-1479, Cossa avait été chargé d’exécuter pour Bartolomeo Garganelli les fresques de la chapelle de famille dans l’église de San Pietro de Bologne. À cause de la perte du cycle (il en reste un fragment avec le visage de la Madeleine en larmes conservé à la Pinacoteca Nazionale de Bologne) connu aujourd’hui grâce à de grandes copies effectuées sur toile pendant le XVIIe siècle, il est difficile de déterminer l’apport du peintre, remplacé par Ercole de Roberti entre 1481 et 1486.
La « pala » ou retable Griffoni était dédiée à saint Vincent Ferrer dominicain espagnol, né à Valence en 1350 et mort à Vannes en 1419, qui s’employa à éteindre le Grand Schisme d’Occident. Fut commandé à Francesco del Cossa par Floriano Griffoni pur l’autel de la chapelle de famille, la sixième à gauche, dans la basilique de San Petronio de Bologne. Le panneau central était occupé par la représentation de saint Vincent Ferrer en habit de dominicain, tenant d’une main les Évangiles ouverts. Il apparaît installé sur une plate-forme polygonale avec au-dessus de sa tête le Christ dans une mandorle, accompagné d’anges tenant les instruments de la Passion. Derrière lui se profilent des arches brisées et des architectures mouvementées rappelant peut-être que Francesco del Cossa était d’une famille de carriers et de maçons.
Ce panneau occupait à l’origine le compartiment de droite du registre inférieur du « Polyptyque Griffoni ». Avec les autres peintures composant le polyptyque, ce tableau est l’une des réalisations les plus remarquables de l’artiste après les fresques réalisées avant 1470 dans le salon du palais Schifanoia à Ferrare. On peut y admirer le naturalisme de la perspective rustique et puissante qui caractérisera également sa production plus tardive : l’intense figure décharnée de saint Jean-Baptiste se dresse majestueusement devant un pilier antique, aux cotés duquel s’ouvre un vaste paysage rocheux parsemé de petites figures. La maestria du peintre s’exprime dans le rendu de l’épiderme du saint – sous lequel affleure l’enchevêtrement des veines – les froissements des drapés, l’extrême naturel avec lequel est représenté le fil des sphères de corail et de perles, suspendu derrière la figure du Baptiste aux deux anneaux des tirants de bois reliés au pilier. La composition de cette peinture repose sur une perspective qui unifiait à l’origine toutes les parties du polyptyque et qui avait pour point de fuite la figure centrale de saint Vicente Ferrier.
Cette peinture, avec le saint Florian du même musée, appartenant au polyptyque Griffoni, étaient probablement situées sur la partie supérieure des panneaux latéraux. Sainte Lucie, patronne de la vue, selon la légende médiévale, a sacrifié ses yeux pour sa foi chrétienne.
Marco Zoppo (Cento, Ferrare, 1433 – Venise 1478)
Marco Ruggiero, dit Marco Zoppo travailla à Padoue dans l’atelier de Squarcione jusqu’en 1455 et apprit la manière de Donatello et surtout celle de Mantegna : peintures conçues comme des sculptures, couleurs aux reflets métalliques, dureté incisive de la ligne, intellectualisme. À Bologne au contact de la culture ferraraise, il accentua l’expressionnisme des figures inspiré de Cosmè Tura, avec un mélange sophistiqué de la forme plastique padouane et de la lumière et la couleur inspirées des peintures de Piero della Francesca comme dans le Saint Jérôme (Madrid, Collection Thyssen Bornemisza) et le Saint Paul (Oxford, Ashmolean Museum). À Venise, sous l’influence de Bellini et plus tard d’Antonello da Messina (1475-1476), il rendit sa couleur plus fluide et plus lumineuse (polyptyque du Collège d’Espagne de Bologne représentant la Vierge à l’Enfant et quatre saints et Saint Jérôme en pénitence, Pinacothèque de Bologne). Sa production de dessins est également importante (Livre d’esquisses, British Museum).
Ce panneau provient du registre supérieur d’un polyptyque, probablement celui qui fut réalisé pour l’église Santa Giustina de Venise. Trois autres panneaux ont été identifiés, saint Augustin, saint Pierre et saint Jérôme. Saint Paul est représenté avec une épée, l’instrument de son martyre et un livre, référence à ses « Épîtres ».