La scène américaine
Le réalisme américain récupère l’esprit et les traditions américaines à travers un récit figuratif qui prétend être réaliste et efficace dans son message social. Ce mouvement développe les racines visuelles du réalisme du XIXe siècle, les conduisant vers des nouveaux problèmes spatiaux occasionnés par une perception différente du paysage métropolitain. La nouvelle physionomie architectonique de la ville moderne, le paysage urbain et industriel presque dépouillé de la représentation humaine, se réinterprète avec un réalisme très marqué.
Une tendance qui célèbre la société américaine, la confiance en soi-même dans son progrès technologique et industriel. Dans les arts figuratifs de la « scène américaine », la réflexion se concrétise dans la poétique du régionalisme et du réalisme social. Le courant naturaliste qui apparaît dans les années vingt suit deux lignes différentes : le réalisme social d’une part, qui accueille des éléments de dénonce représentant des paysages urbains, scènes de travail ouvrier et la misère causée par la grande dépression (1929). D’autre part, le régionalisme qui se développe loin de New York et des grandes villes et qui s’arrête dans la représentation de la dimension provinciale des États-unis, surtout dans le Moyen Ouest. Ces deux tendances développent une extrême sensibilité et une extraordinaire force de caractérisation par les artistes et compris devant l’anonymat de plus en plus radical des thèmes représentés.
Hopper portraiture fréquemment la fragilité de l’être humain, la mélancolie qui imprègne la vie quotidienne des métropoles. Il nous signale qu' »il a peint inconsciemment la solitude d’une grande ville ». Pour réaliser ce tableau, Hopper s’était inspiré aussi bien de la littérature de Hemingway que d’un restaurant existant réellement à l’Avenue Greenwich de New York. Dès les années trente, Edward Hopper fut considéré le plus important représentant du mouvement artistique appelé « American Scene », inspiré dans la représentation la plus réaliste, de la vie et des expériences nord-américaines, dans ses aspects les plus divers.
Charles Demuth
Charles Demuth, (Lancaster 1883 – New York 1935) séjourne à Paris dans les années 1910, puis revenu aux Etats-Unis, il élabore une peinture qui, outre la synthèse cubiste et l’esprit dada, exploite l’idée futuriste de lignes de force. Il peint des paysages urbains, des machines et des bâtiments industriels en prêtant une extrême attention à la subtilité des couleurs, à la pureté des lignes et aux valeurs de la structure. Dans les années vingt, Demuth produit une série de portraits affiches en honneur de ses contemporains inspirés de Picabia : il s’agit des compositions peuplées d’objets, de lettres et de chiffres, qui rappellent les collages cubistes et anticipent les solutions les plus avancées du Pop Art.
Avec un style nu et léger, Charles Demuth représente les cheminées industrielles de Lancaster avec une intemporalité qui l’associe à l’architecture de l’Egypte Ancien.
Charles Sheeler
Un des plus influents peintres réalistes américains, Charles Sheeler (Philadelphie 1883 – New York 1965), comme tant d’autres artistes, il se rend en Europe : à Paris il s’intéresse aux recherches cubistes ; il voyage à Londres, à Hollande et en Espagne. Finalement, en 1908 visite l’Italie, étape décisive pour la rencontre à Arezzo avec les fresques de Piero della Francesca, peintre capable de représenter des édifices avec une architecture rigoureuse, qui baignent dans une lumière cristalline. Les thèmes picturaux de Sheeler sont les grands ensembles industriels qu’il nomme « paysage américain » ou « paysage classique ». La froide neutralité des tons, les détails méticuleux et la luminosité photographique des couleurs caractérisent son style.
Dans ce tableau, Sheeler réalise une synthèse entre le cubisme dans sa phase synthétique et la photographie de Stieglitz, en représentant des volumes géométriques et des superficies nettes.
Ben Shahn
Ben Shahn (Kovno, Lituanie 1898 – New York 1969) est l’un des plus célèbres représentants du réalisme social des années trente. D’origine lituanienne, il s’établit à New York en 1906 comme apprenti lithographe ; il se forme ensuite à la National Academy of Design. De 1927 à 1929, il voyage en Europe où il subit l’influence de George Grosz et d’Otto Dix. Dans le cadre du réalisme américain des années de la grande dépression, Shan est le représentant de l’American Social Conscious Painting. Convaincu de l’importance de l’art en tant que porteur de message, il représente avec un signe analytique et incisif les dramatiques conditions des masses urbaines, des marginaux, des personnes humbles des campagnes, ainsi que des épisodes politiques particulièrement chargés d’émotion (la série consacrée à Sacco et Vanzetti, 1931-32). D’extraordinaires illustrations d’une solitude irréelle et de ruine marquent les œuvres de l’artiste. Ses peintures murales sont également importantes (Community Center, Roosevelt, New Jersey, 1937-38 ; Moisson, 1938-39, Bronx Central Post Office, New York).
Deux anarchistes italo-américains, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, accusés injustement d’homicide et de vol, sont condamnés à la peine capitale. Shahn transforme les deux anarchistes en symboles d’une justice hâtive et partiale en réalisant une œuvre qui reflète le climat d’acharnement de l’époque. En premier plan, sont représentés avec un style grotesque les trois membres de la commission qui, en août 1927, ont ratifié la sentence de mort à la chaise électrique des anarchistes, malgré les preuves de son innocence. Les thèmes préférés de Shahn sont des épisodes de proteste politique et sociale, avec un langage incisif proche de Grosz et de Dix.
En 1933, Shahn travaille avec le peintre mexicain Diego Rivera pour la réalisation d’une peinture murale intitulée Homme au croisement dans le Rockefeller Center de New York. Cette peinture fut détruite avant même d’être terminée, parce qu’y devait apparaître un portrait de Lénine. Après cette expérience, l’artiste a continué à se dédier à la peinture murale, mais dans le milieu artistique du Federal Art Project.
L’expérience avec le muraliste Diego de Rivera a marqué la trajectoire artistique du peintre, qu’il met en évidence dans cette étude préparatoire, avec un langage expressif, réfléchi et efficace. En haut, à gauche il représente les corps de Sacco et Vanzetti.
Avec sa peinture, Shahn veut secouer la conscience des classes privilégiées avec la représentation de la douleur des pauvres.
Grant Wood
Grant Wood (Amamosa, Iowa, 1891-1942) a vécu toute sa vie dans le Moyen Ouest des Etats-unis. Fils d’un Quaker et d’une mère d’ascendance puritaine, Grant Wood est élevé jusqu’à l’âge de dix ans dans une ferme dont il a reconnu, sa vie durant, la forte influence. De 1913 à 1916, il étudie la peinture à l’Art Institue de Chicago. En dépit de ses divers voyages en Europe dans les années vingt, l’art d’avant-garde ne semble pas l’avoir intéressé. Ce qui en revanche attire son attention, c’est la peinture des primitifs flamands (celle de Memling en particulier) vue à la Pinacothèque de Munich alors qu’il travaille sur des vitraux. De retour aux Etats-Unis, il s’associe au mouvement régionaliste de l’American Scene. Il peint la campagne avec des figures rappelant les pionniers de son enfance. En 1930, son tableau American Gothic connaît un succès immédiat. S’inspirant des conventions photographiques de l’époque, Wood présente de front un couple devant sa maison. Mais la force de ce tableau (devenu depuis icône nationale) réside précisément dans son apparente convention, à la fois satire de l’isolement de la province américaine en défense de la dignité et de l’universalité des pionniers du Nouveau Monde.
Le « gothique américain » de Grant Wood est représenté par ce tableau d’un couple de fermiers devant une église néo-gothique en bois, dans un style imprégné d’ironie qui se base dans la préciosité des maîtres flamands – ou occasionnellement avec l’énergie rustique de Thomas Hart Benton.
Edward Hopper
Edward Hopper (Nyack, New York, 1882 – New York 1967), fait ses études à la School of Art de New York où il est l’élève de Robert Henri ; il voyage en Europe entre 1905 et 1910. À partir de 1915, il abandonne temporairement la peinture pour se consacrer, durant huit ans environ, à la gravure et réalise des pointes sèches et des eaux-fortes. Le succès emporté par ses expositions d’aquarelles (1924) et de peinture (1927) l’impose comme le chef de file des peintres qui peignent la « scène américaine ». Sa peinture, puissamment évocatrice, concerne la société américaine des années 1920-1940 : combinant le réalisme de sa vision avec un sentiment poignant du paysage, des objets et des personnes. Hopper peint des images de la ville ou de la campagne presque toujours désertes, des intérieurs ou se consument l’intime solitude et la profonde tristesse d’hommes et de femmes sans espoir. Sous une apparente objectivité et une froideur descriptive, ses tableaux expriment un silence et une stupeur presque métaphysiques proches des toiles de De Chirico ; son langage utilise principalement la composition géométrique, l’extrême réduction des détails (avec des figures plongées dans une sorte de vide) et une lumière contrastée, sculpturale et vive.
Le tableau représente une femme seule, perdue dans ses pensées, assise devant une table située dans un self-service. La chaise devant elle est vide. Derrière la femme se trouve la glace où dans un habile jeu de miroir, se reflète la lumière artificielle du bar qui cache l’obscurité de la ville. La seule note vivante, et compris d’un point de vue chromatique, c’est la coupe avec des fruits. Le titre a une double signification : « automate » signifie bar, mais signifie aussi la femme qui avec son expression vide fait penser a un automate.
L’art de Hopper fut l’équivalent pictural de la prestigieuse littérature américaine de l’époque, depuis John Dos Passos jusqu’à Theodore Dreiser, Sinclair Lewis ou William Faulkner. Les évocations de Hopper sur l’isolement des habitants de la grande ville dans les bars, restaurants, trains, stations de service, dans les humbles cours de ses maisons de campagne ou dans les banlieues, révèlent une exécution superbe, une maîtrise de la lumière et des ombres, le tout dans une grande qualité coloriste, qui émane en grand partie de la minutieuse étude de la peinture française. Dans son premier voyage en Europe, il avait visité la France, l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne et la Belgique, mais il a passé la plupart du temps à Paris, où il a eu l’occasion de connaître et apprécier Picasso, la peinture fauviste, en particulier les œuvres de Matisse et Marquet.
Nous sommes au bord d’un bois épais et impénétrable ; une route déserte que s’interne dans la frondaison des arbres divise en deux la peinture : d’un côté, la nature, de l’autre, la civilisation, symbolisée par une station de service. L’homme se trouve tout seul, personne ne passe, l’action reste comme suspendue. L’illumination artificielle si caractéristique de Hopper, suggère que la nuit approche. La rupture entre la civilisation et la nature non contaminée est déjà inéluctable.
Hopper a vécu dans un siècle marqué par des profonds changements historiques, culturels et artistiques. Fidèle à soi-même, sans changer sa manière de peindre, sans s’éloigner de New York, sauf par des brefs voyages, il s’était isolé dans son monde laconique et sans tensions, immobile et suspendu. Dans ses œuvres, Hopper transmet un sentiment de solitude et de tristesse qui lui confèrent une valeur universelle et atemporelle. Hopper synthétise dans ses œuvres le sens de la lumière et de la solitude qu’il découvre dans l’art de Piero della Francesca et de Mantegna, avec la recherche des équilibres formels qui caractérisent l’œuvre de Mondrian.
Le fort contraste entre ombre et lumière est l’une des clés stylistiques de Hopper, une technique que l’artiste emprunte au cinéma en blanc et noir de l’époque.
La maîtrise de la peinture permettait à Hopper de simplifier ses compositions et éliminer tout détail superflu ou simplement anecdotique. Dans ses œuvres, il nous parle de compassion, de l’empathie avec le destin des personnes courantes et vulgaires, avec le mode de vie dans une société de masse, qu’au bout du compte refuse l’individualité. Hopper écrit en 1933 : « Mon but avec la peinture a toujours été d’obtenir la transcription la plus exacte possible de mon sentiment le plus intime avec la nature ». Dans les années quarante et cinquante, il a réalisé des voyages à la Côte Ouest, à Californie et au Nouveau-Mexique.
La peinture de Hopper, évocatrice et émotive, raconte, avec une grande efficacité expressive, la solitude, l’aliénation, l’isolement, la manque de communication entre les individus, quelquefois atténué par une évocation aux petits moments heureux de l’existence.
Stuart Davis
Fils du directeur artistique du Philadelphia Press, Stuart Davis (Philadelphie 1894 – New York 1964), il prend contact, à l’occasion de l’exposition Armory Show (exposition international d’art moderne qui s’est tenue à New York en 1913), avec la peinture, la couleur décorative et les généralisations formelles de Gauguin, de Matisse et de Van Gogh. Cette rencontre marque un tournant décisif dans son travail, le conduisant à répudier son académisme initial. Ainsi, vers 1917, naissent quelques œuvres abstraites réalisées en grands rythmes schématiques et par la suite, une série de tableaux qui imitent des collages de papiers et d’étiquettes (Lucky Strike, 1921) et font référence aux indications formelles du cubisme synthétique. Dans les années 1930, il réalise une série d’œuvres connues sous le titre de Fouets à œufs : elles se présentent sous la forme de configurations spatiales libres et mouvantes, et unissent les influences de l’œuvre de Léger au goût pour une couleur expressive et lumineuse inspirée de Matisse (Paysage rythmique, 1938).
À la recherche d’un art qui exprime la vitalité new-yorkaise, dont un aspect caractéristique est le jazz, Davis l’identifie avec cette toile qu’il traduit avec beaucoup de « rythme ».
Le Ashcan School
L’Ashcan School (« école de la poubelle ») en français, est un mouvement artistique créé par un groupe de peintres qui se sont réunis autour de Robert Henri. Fut le premier groupe d’artistes américains officiellement organisé afin de rechercher un style représentatif de l’expérience américaine. Le point de départ de ce mouvement est l’exposition réalisée en 1908 à la galerie Macbeth de New York. Cette exposition qui réunit un grand nombre de tableaux marqua une page dans l’histoire de l’art. Les peintres de cette école furent nommés les apôtres de la misère par sa peinture réaliste et révolutionnaire des bas quartiers new-yorkais (les thèmes préférés du groupe étaient des scènes de rue : ivrognes, prostituées, matches de boxe) et aussi « la bande noire et révolutionnaire » ( dû à ses gammes chromatiques principalement foncées). Ce groupe des huit, The Eight (six d’entre eux constituent les peintres fondateurs du Ashcan School) furent ridiculisés par la critique par ses thèmes vulgaires, mais malgré les attaques de la presse ou précisément à cause de cela, l’exposition de 1908 fut un grand succès aussi bien de public que sur le plan économique, parcourant neuf villes importantes des Etats-Unis. Bien que leur travail était très divers, faisaient partie de ce groupe : Robert Henri, Everett Shinn, Arthur B. Davis, Ernest Lawson, Maurice Prendergast, George Luks, William J. Glackens, George Bellows. Bien que Robert Henri était le chef du mouvement, George Luks était la figure la plus pittoresque, connu par ses commentaires , “je peux peindre avec un lacet à chaussure trempé dans de la poix et du beurre ».
L’un des artistes du groupe fut John Sloan (1871-1951), peintre, illustrateur et graveur. C’est Robert Henri, qui l’a poussé dans sa carrière d’artiste, l’invitant à participer dans les rencontres qu’avaient lieu dans son atelier. Il était un habile dessinateur des plus célèbres journaux de l’époque à Philadelphia : le style rapide et schématique de ses débuts est très influencé par l’Art Nouveau. En 1904, à New York, il se dédie définitivement à la peinture ; dans la même année, il expose au National Arts Club de New York. Entre 1905 et 1907, il commence à peindre des scènes urbaines, rues, places et petits recoins de la grande métropole qui ne dort jamais. En 1908, il expose avec les peintres de l’Ashcan School ; l’année suivante il se fait membre du Parti Socialiste – avec lequel il s’est présenté aux élections de 1910 et 1915 -. Sloan expose à la célèbre Armory Show de 1913. De ces années datent des œuvres plus diversifiées comme des paysages et quelques nus. En 1916 il devient professeur de peinture à Art Students League où il y restera pendant vingt-cinq ans. Il eut comme élèves Alexander Calder, John Graham, Reginals Marsh, Adolph Gottlieb y Barnet Newman. Il a réuni sa méthode d’enseignement dans le livre Gist of Art, publié en 1939.
Fondateur de l’Ashcan School, l’œuvre de Robert Henri se caractérise par un coup de pinceau ample et vif, il refusa les modèles académiques, au profit d’une observation profondément réaliste. Il réalisa un grand nombre de portraits. Robert Henri joua un rôle très important dans l’enseignement en fondant sa propre école en 1908, la New York School of Arts. Edward Hopper fut son élève.
L’élégante dame allongée sur un sofa (antithèse des personnages peints par les peintres de l’Ashcan School) était l’une des protagonistes de la vie mondaine et artistique de New York, connue pour être un grand mécène et collectionneuse d’art américain.