Florence au XVIIe siècle
Au début du XVIIe siècle, les peintres florentins occupaient encore une position de premier plan dans le domaine de la décoration murale. Ce genre, lié à la thématique de la représentation sacrée et aux conventions de la peinture historique, était celui où les traditions culturelles de la ville et leur habitude de pratiquer le métier dans les ateliers les avaient conduit à exceller. Quand ils furent amenés à travailler dans d’autres villes, c’est surtout en tant que fresquistes que l’on fit appel à leur service.
À Rome ils occupèrent le devant de la scène du milieu du XVIe siècle jusqu’à 1630, moment où il fut demandé à la peinture « a fresco » de satisfaire de nouvelles exigences et qui correspond au succès de Pierre de Cortone. Ce fut aussi une autre période important de mécénat artistique des Médicis, une famille dont la gloire se confond avec celle de Florence. La plupart des entreprises décoratives à Florence furent destinées aux palais et aux nombreuses maisons de plaisance. Au palais Pitti, on peut trouver des artistes tels que Bernardino Poccetti (1548-1612) qui orna la galerie et la salle de Bona de fresques en style maniériste tardif, le Volterran (1611-1689), Giovanni da San Giovanni (1592-1636) qui commença sous Ferdinand II la décoration du grand salon du rez-de-chaussée, tandis qu’Angelo Michele Colonna (1600-1687) et Agostino Mitelli (1609-1660), peintres bolonais, peignaient à fresque des architectures en trompe-l’œil dans les trois salles suivantes, afin de les rendre moins austères. Mais c’est à la fantaisie d’un génie de l’art baroque, Pietro Berrettini da Cortona (1596-1669), que l’on doit le projet d’une des plus riches inventions picturales dans les trois salles actuellement occupées par la galerie Palatine.
Au cours de la première décennie du siècle, Bernardino Poccetti joua un rôle de premier plan dans la peinture murale. Sa participation dans la décoration des églises et de l’Hôpital des Innocents de Florence fit reconnaître ses talents de narrateur. Dans la villa Médicéenne de Artimino et dans les palais Pitti, Poccetti, avec l’aide de son atelier, joua un rôle important dans les décorations voulues par le grand-duc Ferdinand I de Médicis.
Pocetti travailla dans la dernière partie décisive du maniérisme florentin et s’inséra dans la tradition des décorateurs de fresques, tant par ses habiles grotesques que par sa veine brillante de conteur. Le parti pris d’actualiser les histoires sacrées en les remettant dans des contextes citadins immédiatement reconnaissables remonte à la grande saison de la fresque du XVIe siècle avec les cycles de Ghirlandaio et les débuts d’Andrea del Sarto. Dans la Massacre des Innocents, pour l’Hôpital des Innocents à Florence, Poccetti montre bien avoir l’intention de reprendre à son compte les lois et les conventions de la peinture sacrée et d’en accepter l’héritage.
Un autre artiste, Michelangelo Cinganelli prit la suite de l’atelier de Poccetti et assura la mise en scène des commandes de la Régence pendant la minorité d’âge de Ferdinand II de Médicis. Dans le entreprises collectives du Pavillon médicéen du Casino di San Marco et de la villa de Poggio Imperiale, s’affirmèrent, dans la peinture à sujet historique, les tendances mises à la mode par Rosselli et ses élèves, et aussi le raphaélisme académique. Dans la villa des Baroncelli, qui sera appelée par la suite Poggio Imperiale, la décoration commença en 1622 et s’acheva en 1624. Ces cycles de peintures historiées s’inscrivent dans le cadre d’un programme politique bien précis : leur bout premier est de glorifier les vertus féminines et de justifier, en une période de vide de pouvoir masculin, le rôle de tutelle de la souveraineté médicéenne tenu par les deux régents étrangères, Christine de Lorraine et Marie-Madeleine d’Autriche.
Giovanni da San Giovanni dans l’orbite des Médicis
Sa bizarrerie et sa verve corrosive font de Giovanni da San Giovanni (1592-1636) l’un des acteurs principaux de ce courant satirique plein de vie de la peinture florentine de l’époque. La richesse de ses expériences, entre autres sur la peinture de paysage nordique, en fait un personnage à part dans le panorama artistique florentin, et pas seulement dans le domaine de la fresque. Tout donne à penser dans l’évolution de sa technique qu’il à du faire un séjour à Rome dans sa jeunesse, avant de s’y installer en 1621. La façade historiée du palais de l’Antella de la place Santa Croce (très endommagée) montre de manière très claire ses expériences faites directement au contact de la tradition raphaélesque, sur Polydore de Caravage et sur Perin del Vaga à Rome.
En 1633 l’artiste réalise l’un de ses chefs-d’œuvre, la fresque « Quiete che pacifica i venti » dans la ville La Quiete, commissionnée selon toute probabilité par Christine de Lorraine épouse de Ferdinand I de Médicis. Le nom de la duchesse apparaît dans un étonnant anagramme surmonté d’un masque soutenu par deux angelots ou putti.La ville La Quiete, l’une des nombreuses maisons de plaisance des Médicis fut construite par Pier Francesco de Médicis en 1453. Achetée par Cosme I comme siège de l’Ordre de Santo Stefano qu’il avait créé, passa aux mains de la duchesse française qui entreprit de la réaménager et décorer, faisant appel aux plus prestigieux fresquistes florentins de l’époque.
En 1635 Giovanni da San Giovanni reçoit la dernière commande officielle, quand Ferdinand II de Médicis lui demande de prendre la direction des travaux de décoration du Salon des Argents situé au rez-de-chaussée du palais Pitti, à l’occasion de ses noces avec Vittoria della Rovere unique héritière des derniers ducs d’Urbino. L’artiste, assisté par d’autres peintres, entre lesquels le jeune Volterran, décore le salon avec différentes scènes mythologiques et allégoriques : Union allégorique des maisons Médicis et Della Rovere, Cupidon présente à Mars le marzocco (le lion de Florence) et Flore avec la nymphe du Arno et le dieu Pan ; dans les murs est et sud d’autres thèmes à la gloire de Laurent le Magnifique et la maison des Médicis en général (Le Temps qui détruit l’héritage du monde antique, Destruction du mon Parnasse et La Renommée qui montre à la Toscane et a la Magnificence les Philosophes exilés).
À Florence, dans les années trente, dans le Salon de Argents du palais Pitti, probablement son chef-d’œuvre, l’artiste adopte la solution du mur ouvert d’inspiration romaine (Raphaël et Peruzzi) qui eut beaucoup de succès à Gênes, renonçant à l’illusionnisme. L’intérieur du palais Pitti fut peu à peu orné de stucs et de fresques par les meilleurs artistes dont on peut aujourd’hui encore admirer la richesse décorative.
Magnificence et politique artistique
Ce sont les orientations de Ferdinand II de Médicis, qui eut une conception politique du mécénat artistique en avance sur les souverains européens de son époque, qui sont à l’origine du « grand style » qui correspondait à des nouvelles exigences de magnificence. Le système décoratif basé sur le grotesque devait désormais apparaître comme dépassé. À la mort de Giovanni da San Giovanni, en 1636, le grand-duc prit ses distances para rapport aux peintres locaux et chargea Angelo Michele Colonna, de terminer la décoration des salles du rez-de-chaussée du palais Pitti. Il s’agit, comme dans le cas du cycle de Pierre de Cortone dans les salles de réception du premier étage, d’une apologie des Médicis qui, cependant, s’éloigne de la dimension concrète du thème traité et conflue dans l’irréel. Ici, on peut observer une grande différence avec les fresques historiques de la Régence, avec la place laissée à la représentation symbolique et au pouvoir évocateur de l’allégorie.
L’arrivée des deux Bolonais, Pierre de Cortone et Angelo Michele Colonna marque l’introduction à Florence de motifs appartenant au répertoire de la perspective illusionniste caractéristique du nord de l’Italie. C’est Ferdinand II qui appela Pierre de Cortone en 1637 qui se trouvait à Rome au service de Paul V Borghese. Cette présence eut un rôle décisif dans la formation des nouvelles générations de peintres. Quoi qu’il en soit, les premières réponses au baroque de la part des Florentins se firent attendre et, en général, elles n’eurent pas un ton triomphaliste.
Vannini, Francesco Furini et Cecco Bravo, quant à eux, furent appelés pour terminer la décoration des murs du salon d’honneur du palais Pitti que Giovanni da San Giovanni avait laissé inachevée. La fresque représentant Laurent le Magnifique accueilli par Apollon parmi les Muses de Cecco Bravo, montre clairement les relations avec la culture française et, en particulier, avec Laurent de la Hyre, qu’il avait probablement connu à travers des gravures.
Volterrano et l’histoire médicéenne
Baldassarre Franceschini, un fresquiste de génie surnommé Volterrano ou le Volterran se révéla le seul parmi les artistes florentins capable de se mesurer avec la leçon de Pierre de Cortone, de l’assimiler et de l’élaborer, dans des formes originales, avec ce qu’il avait vu de plus moderne au cours de ses pérégrinations à travers la péninsule. Il avait déjà travaillé avec Mannozzi dans le Salon des Argents du palais Pitti quand il fut, en 1636, chargé par don Laurent de Médicis de décorer les murs de la cour de sa résidence, la ville La Petraia avec des épisodes tirés de l’histoire médicéenne. Dans les premières scènes L’arrivée triomphale de Cosme I à Sienne et Ferdinand I prince des mers, l’influence des compositions de Matteo Rosselli dont il avait été l’élève est évidente, tandis que dans la décoration des lunettes, qui datent de la même époque et qui représentent Léon X et François Ier, Catherine de Médicis avec ses enfants et, encore plus, dans celles représentant Clément VII Médicis couronne Charles V, on peut reconnaître nettement son intérêt pour les portraits dans le goût de Van Dick que Suttermans avait fait connaître à Florence.
Son voyage dans le Nord de l’Italie, puis son voyage à Rome, en 1640-41, dont le besoin s’était fait sentir à la suite de la crise que l’arrivée de Pierre de Cortone avait déclenchée quant à ses orientations artistiques, enrichit la palette du peintre de tonalités plus délicates, à l’imitation du Corrège. Les dernières scènes du cycle, celles du mur qui représentent Cosme II reçoit les vainqueurs de Bona et celles des lunettes avec Marie de Médicis et ses enfants, de même que l’autre avec Alexandre de Médicis présente les attributs ducaux à la République florentine se caractérisent, en effet, par la délicatesse de leur chromatisme.
Au fond de l’image, la place dei Cavalieri de Pise, reproduite avec un soin digne d’un vedutiste, où Cosme II qui se distingua dans des actions contre la flotte ottomane, reçoit sur le parvis de l’église Santo Stefano dei Cavalieri les nobles toscans arrivés d’une dangereuse expédition, la prise de Bona en Algérie. Au premier plan nous voyons les prisonniers et le butin de guerre. Les esclaves enchainés au torses nus ont comme contrepartie les prisonniers enturbannés près du prince.
On aperçoit un contraste similaire parmi les figures qui ouvrent et ferment la scène avec ses poses élégantes, comme le jeune homme de la partie gauche qui tient un vase à décor en relief, à proximité d’une figure féminine assise sur les marches avec un petit garçon nu sur ses genoux. Le troupeau de curieux y compris certains qui grimpent sur la façade de l’église, est un motif populaire qui rappelle le Raphaël des Stanze (Chambres) du Vatican. Avec sa touche douce et solaire, la scène met aussi en évidence l’étude des œuvres du Corrège au cours du voyage que l’artiste avait réalise dans le nord de l’Italie.
La scène montre Laurent de Médicis duc d’Urbino recevant le titre de capitaine général de l’Église de mains de son oncle Julien (ces deux figures apparaissent dans les groupes statuaires de Michel-Ange dans la Nouvelle Sacristie de San Lorenzo). Ici, la scène se détache sur un fond de ciel avec la coupole de Saint Pierre (avec des briques rouges comme le dôme de Brunelleschi) et la colonne Trajane. Au centre, Laurent avec son manteau vert serrant la main de Julien, reconnaissable par le collier de l’Ordre de la Jarretière. Les drapeaux florentins et des États pontificaux, sont flanqués par des groupes de spectateurs y compris le bouffon Thomas Trafredi (à gauche, assis et richement vêtu) et, à droite, un enfant tenant un bouclier avec l’inscription Clovis.
La scène tient lieu au Palazzo Vecchio, dans le salon des Cinq-cents, ici décrit avec minutie. Dans cette cérémonie de passation de pouvoir le duc de Florence reçoit l’hommage des sénateurs florentins habillés en rouge, tandis que Francesco entouré d’une joyeuse compagnie regarde le spectateur, les mains dans le dos s’appuyant sur la garde de son épée.
Les statues de la Paix et de l’Abondance à chaque côté du trône, représentent de bons augures pour le nouveau gouvernement et à proximité, des fonctionnaires qui paient avec de sacs de pièces de monnaie devant un coffre à trésor. À gauche, un soldat, avec une expression rêveuse, est assis sur son tambour cassé par les batailles, parce qu’il ne jouera plus.
Le déclin
La création en 1673 à Rome de l’Académie florentine destinée à la formation de jeunes artistes, à l’instigation de Cosme III de Médicis, qui entendait ainsi renouveler la culture figurative toscane, marqua le début du déclin inexorable des différents « courants » qui avaient, par leur variété et leur originalité, donné son pouvoir suggestif à l’art florentin de 1600 à 1660, en même temps que la décadence d’une dynastie. Le choix de Ciro Ferri comme maître de peinture et de dessin orienta dans un sens « romain » la formation des jeunes que le souverain envoyait là-bas pour se perfectionner. Parmi ceux-ci, Anton Domenico Gabbiani, le peintre qui s’inspire le plus de Pierre de Cortone, très apprécié à la cour et par les familles les plus importantes du grand-duché (Apothéose de Cosme l’Ancien dans la villa de Poggio a Caiano). Sa dette aussi envers Luca Giordano est manifeste dans la grande fresque représentant Sainte Marie-Madeleine en gloire qui orne la grande coupole de l’église de San Frediano in Cestello.
Un autre peintre, Pier Dandini, par son coloris et ses compositions bien structurées, se montre, lui aussi, influencé par la peinture de Giordano. Ses compositions, dynamiques, désinvoltes e inventives, sont tonifiées par une connaissance directe de la peinture vénitienne et de la peinture florentine du milieu du XVIIe siècle. Décorateur infatigable, Dandini reçut des commandes de fresques importantes, comme le montrent les très nombreux plafonds qu’il a peint à Florence. Parmi ceux-ci il faut signaler le plafond de la salle de bal du palais Orlandini ou la coupole de la chapelle majeure de Sainte-Marie-Madeleine de’ Pazzi, commandée par Cosme III.
Mais l’artiste le plus intéressant de la peinture florentine, au moment crucial du passage du XVIIe siècle au XVIIIe siècle, est Alessandro Gherardini. Il sut élaborer, de manière très originale, les nouveautés apportées par Giordano. Personnalité fantaisiste et anticonformiste, Alessandro tira son inspiration non seulement des œuvres des « étrangers » qui travaillaient à Florence, mais aussi de la grande décoration murale de la ville, reprenant à son profit la palette mousseuse de Cecco Bravo et de Francesco Furini.