Florence, après la mort de Laurent le Magnifique
Deux ans après la mort de Laurent de Médicis, dit le Magnifique, son fils Pierre fut expulsé. Le gouvernement adopta une forme nettement plus représentative ; soutenu par Savonarole, il voulait empêcher une fois pour toutes la concentration du pouvoir dans les mains d’une oligarchie, quand ce n’était pas d’un seul individu. Cette « démocratisation » de la Constitution qui donnait le droit de vote à quelque trois mille citoyens coïncida avec les Guerres d’Italie.
Inévitablement, les tergiversations des responsables éphémères et inexpérimentés incitèrent Florence à sacrifier l’égalité à l’efficacité. Un pas dans cette direction fut accompli en 1502 : comme les doges, les gonfaloniers furent nommés à vie. La charge échut à Piero Soderini. D’une manière moins officielle, on en vint à donner les postes-clés aux membres de l’ancien régime. En 1512, quand le pape Jules II pria Florence de s’aligner sur sa politique anti-française (à laquelle Soderini résistait), le parti médicéen obtint le ralliement de la cité aux positions du pape et de l’armée espagnole. Soderini s’enfuit. Les Médicis, sous l’égide du cardinal Jean de Médicis, fils de Laurent, retrouvèrent leur place au sein de la cité, à titre de premiers citoyens. L’accession de Jean à la papauté l’année suivante, sous le nom de Léon X, et l’élection, après le pontificat d’Adrien VI, d’un autre Médicis, Clément VII, apprivoisèrent les Florentins avec l’idée d’un gouvernement princier. Après un ultime sursaut de la République (1527-1530) le gouvernement cessa d’être exercé par des élus. Sous la direction d’Alexandre de Médicis, la cité rejoignit les rangs des communes qui avaient, des siècles plus tôt, accepté le pouvoir seigneurial. Même la possibilité offerte par l’assassinat d’Alexandre en 1537 ne fut pas saisie. À partir de Cosme Ier, Florence connut une longue lignée de ducs (et de grands-ducs à partir de 1569) dont la succession héréditaire ne fut pas contestée.
C’est probablement à partir de 1492 que le roi de France Charles VIII imagina son projet d’intervention en Italie pour occuper le royaume de Naples. Charles VIII cultivait le rêve généalogique et chevaleresque de faire valoir les droits de la maison d’Anjou au trône de Naples, décida de marcher sur Florence. Le roi s’établit au palais de la Via Larga (à gauche du tableau).
Niccolò Machiavelli (1469-1527), un des fondateurs de la pensée politique moderne fut secrétaire de la seconde chancellerie de Florence pendant quinze ans, il accomplit plusieurs missions importantes; par conséquent ses écrits théoriques sont constamment soutenus par des connaissances pratiques. Dans son chef d’œuvre, “Le Prince”, Machiavel décrit les différentes manières d’acquérir et de conserver un pouvoir personnel ; son analyse fait abstraction de toute considération morale, qui entraverait la liberté d’action du politicien. Pour le Secrétaire florentin, la politique est une technique : son seul objectif est d’adapter les moyens mis en œuvre pour atteindre un but donné à ce but lui-même.
Peinte pour les moines de San Donato à Scopeto, cette Adoration remplace celle commandée à Leonard et qui ne fut jamais achevée. La commande fut passée au nouveau peintre en vogue, Filippino Lippi. Selon Vasari, « il y reproduisit les traits de plusieurs membres de la famille Médicis, ainsi que des Maures, des Indiens, des costumes bizarrement arrangés et une cabane très singulière ». Le tableau retient un peu de l' »Adoration des Mages » de Botticelli, mais surtout de Léonard. Par contre, l’unité spirituelle de la scène est compromise par un déploiement de figures exotiques et barbares, et une insistance abusive sur les cortèges. À l’extrémité gauche, un vieillard richement vêtu s’agenouille, un astrolabe à la main. On a reconnu en lui le neveu de Cosme, Pierfrancesco l’Ancien, mort en 1476 ; il avait deux fils, Lorenzo il Popolano et Giovanni il Popolano, qui ont été figurés dans le tableau sous l’aspect des deux jeunes Mages.
Filippino semble l’avoir conçu ce tableau en l’honneur de la branche cadette des Médicis, un tableau de famille, sous le déguisement des Mages et de leur suite, comme Botticelli pour la branche aînée vingt ans plus tôt. Tout se passe comme si, en 1496, les cousins de Laurent avaient voulu prendre la place idéale de la famille de Cosme et de Laurent qui venait d’être dispersée par la révolution de Savonarole.
Savonarole et le bûcher de vanités
Jérôme Savonarole, moine dominicain né à Ferrare. Son père était un éminent érudit. Sa réputation de théologien et de prédicateur lui valut d’être promu par ses supérieurs puis affecté à la demande de Laurent de Médicis, à San Marco de Florence dont il devint prieur en 1491. La virulence de plus en plus marquée de ses anathèmes contre le matérialisme et les abus de l’autorité visait ostensiblement les Médicis (qui pourtant l’appelèrent au chevet de Laurent). Aussi sa campagne fut-elle favorablement accueillie par ceux qui souhaitaient élargir la base du régime instauré par la Constitution après le bannissement de Pierre de Médicis en 1494. Après avoir chassé les Médicis, la seigneurie se trouve face au grave problème de devoir affronter Charles VIII et ses troupes, qui entre-temps se sont emparés de Pise. Le roi de France refuse d’écouter les messagers de la république et finit par entrer en grande pompe à Florence, où Savonarole, de plus en plus convaincu d’être le porte-parole de la volonté divine, salue le « roi Très Chrétien » comme un libérateur. Le manque de chefs replonge Florence dans les luttes intestines permanentes qui la caractérisèrent pendant des siècles ; cette situation favorise l’ascension irrésistible de Girolamo Savonarole qui gouverne la ville en véritable despote politico-religieux. Naguère encore pleine de joie de vivre, semble maintenant en proie à une étrange fièvre de pénitence, sous l’influence du prêcheur dont l’esprit est obnubilé par le péché. Cette atmosphère de contrition qui confine à l’obsession atteint son comble avec le célèbre « bûcher des vanités », dressé sur la place de la Seigneurie pendant le carnaval de 1496. La population se rassemble pour jeter aux flammes ses toilettes, ses bijoux, ses perruques, ses livres, ses dessins, et tout ce qui rappelle un passé coupable. Cependant Fra Girolamo ne plaît pas à tout le monde. Il se forme un véritable parti « anti-Savonarole », qui veut libérer la ville de ce dictateur en froc. La seigneurie reçoit une délégation du pape Alexandre VI, qui invite le gouvernement florentin à remettre Savonarole à la justice pontificale. Les émissaires instruisent un court procès, qui aboutit à sa condamnation à mort avec deux de ses disciples. Le matin du 23 mai 1498, les trois hommes sont pendus puis brûlés devant le palais de la Seigneurie, à l’endroit même où les Florentins avaient mis le feu à leurs « vanités » deux ans auparavant. Le tableau du XVIe siècle, Supplice de Savonarole, atténue peut-être le caractère dramatique de la scène, à laquelle assista toute la ville.
Les années Soderini
Lé régime du gonfalonier Soderini qui s’établit à Florence, bientôt après la mort de Savonarole en 1498, s’exprimait sur le domaine de l’art par les décisions importantes des années 1500-1505 : décoration de la Salle du Grand Conseil – avec des thèmes « historiques » destinés à exalter la grandeur toscane. En 1503 Pier Soderini appela Léonard et Michel-Ange pour peindre chacun, la fresque d’une bataille sur les murs du Salon des Cinq cents au Palais de la Seigneurie. Transfert sur le parvis du Palazzo Vecchio du David de Michel-Ange, retour au projet de compléter la cathédrale, au moins par de grandes statues : on commande à Michel-Ange douze Apôtres pour les piliers de la coupole. Pendant cinq ou six ans, toutes les gloires anciennes et nouvelles son réunies : Léonard semble fixé et la Seigneurie s’opposera – finalement sans succès – aux demandes de Georges d’Amboise qui le ramène, en 1506, à Milan. Léonard apportait de son séjour à Milan un langage nouveau, que s’efforceront d’assimiler Fra Bartolomeo, le jeune Raphaël (il séjourne à Florence de 1504 à 1508) et Andrea del Sarto. Par opposition à Laurent qui dispersait les maîtres florentins, on s’efforce de les rappeler, de les retenir. Mais Florence n’offrait plus le spectacle d’une capitale de la culture ; elle n’était plus l’un des centres de la vie politique ; Rome lui dérobait tous ces prestiges. Jules II y ajoutait celui d’un mécénat princier que Florence n’avait jamais connu : Michel-Ange est appelé en 1506 à Rome, et Raphaël en 1508, pour assurer la relève des peintres du Vatican.
Après les années de Milan, Léonard, de retour dans Florence depuis 1500, il était à l’apogée de son art ; dans la grande salle du Palazzo Vecchio, il travaillait au carton de “La Bataille d’Anghiari”, en concurrence avec Michel-Ange – qui appartenait déjà à la génération suivante – et sa “Bataille de Cascina”. Léonard a “condensé” l’image de la fureur guerrière telle qu’il pouvait imaginer la représenter. Hommes et chevaux mêlés parcourent l’espace, eux-mêmes traversés par une puissance dont la démesure les dépasse.
Douze ans après la proclamation de la république, l’Arte della Lana, la riche corporation des laineurs, charge Michel-Ange de créer un “David”. Il reçoit donc, un bloc de marbre que, quarante ans auparavant, Agostino di Duccio avait tenté d’ébaucher en traitant peut-être le même sujet. La statue terminée, une commission de citoyens et d’artistes les plus importants de la ville, décida de l’ériger sur la place principale de la ville, devant le palais de la Seigneurie. C’était la première fois depuis l’antiquité, c’est-à-dire depuis plus de mille ans, qu’une statue monumentale de nu était exposée dans un lieu public.
Commandée en 1506 ou 1508 par Bernardo Dei pour sa chapelle familiale de Santo Spirito à Florence, cette peinture était en grande partie achevée au moment du départ de Raphaël pour Rome à l’automne 1508. Elle sera le chef-d’œuvre des années de Raphaël à Florence. Il sera engagé par Jules II pour une prestigieuse commande, celle de décorer ses appartements les “stanze” (chambres).
Contemporain de Raphaël, Andrea del Sarto (1486-1530) de l’école florentine pre-maniériste, comble le vide laissé à Florence après le départ des trois “génies” (Michel-Ange, Léonard et Raphaël). L’ensemble de l’image est classique par sa noblesse, sa grandeur simple, la respiration calme des figures et de l’espace. La puissance des drapés, admirés par Vasari, est comme retenue par leur grâce et élégance.
Le mécénat de Léon X à Florence
Léon X, Jean de Médicis (pape de 1513 à 1521), second fils de Laurent le Magnifique, fut destiné dès la naissance aux plus hautes dignités ecclésiastiques ; son frère aîné Pierre, devant assumer l’héritage politique de leur père à Florence. Jean devait élargir la basse de la puissance familiale et lui apporter un surcroît de gloire en devenant prince de l’Église. Aussi ardent que rusé, il savait jouer avec charme et astuce de ses dons et de sa culture. Il suivit Pierre dans son exil et c’est depuis Rome qu’il fomenta la reconstitution à Florence du « parti médicéen ». Sitôt les Médicis rétablis à Florence (1512), il succéda à Jules II sous le nom de Léon X. En poursuivant le rôle de mécène de son antécesseur, Léon X invita Raphaël à achever les Stanze du Vatican et à concevoir les tapisseries monumentales de la chapelle Sixtine. Il accéléra le processus qui fit de Rome la capitale de la renaissance, sans porter atteinte aux vestiges de l’Antiquité, et relança l’édification de la nouvelle basilique Saint-Pierre amorcée par Jules II. Pour financer ses travaux, il renforça le commerce des indulgences, qui devait susciter la colère de Luther contre l’Église. Il garda l’œil fixé sur Florence dont il gérait indirectement les affaires avec une attention méticuleuse, quitte à faire peser sur la ville qui avait trahi les Médicis des charges imméritées comme celles qu’entraîna l’annexion d’Urbino en 1515 entrainant l’extinction d’un dynastie prestigieuse de mécènes. L’entrée de Léon X à Florence, en novembre 1515, provoque l’enthousiasme de la population. Elle sera évoquée par Vasari au Palazzo Vecchio, parmi les dates fastes de l’histoire médicéenne. Il s’était constitué à Florence, sous la protection du pape, une « Sacra Accademia Fiorentina », de caractère officiel, qui était la restauration souhaitée de l’Académie de Careggi. L’une des manifestations fut, en 1519, la pétition adressée au pape pour demander le retour des cendres de Dante. En 1521, le buste de Marsile Ficin, sculpté par Ferrucci, sera placé à la cathédrale. Mais il fallut encore une génération pour que se consolidât le nouveau duché (sous le règne de Cosme I de Médicis), et qu’autour du pouvoir se définit une véritable Académie des Lettres et une véritable Académie du Dessin.
Cette représentation de la visite que Léon X effectua à Florence en 1515, réuni dans la place de la Seigneurie tous les notables florentins. Dans le cortège du pape et à côté des cardinaux, on reconnaît Giovanni dalle Bande Nere, (père du premier grand-duc, Cosme Ier) Laurent, duc d’Urbino et les célèbres écrivains Pietro Bembo, Ludovico Ariosto, Pietro Aretino.
Jean de Médicis, devenu pontife, se préoccupa d’achever l’œuvre de son père à Poggio a Caiano, il fit voûter la grande salle. Paul Jove, ami de Léon X, fixa le programme des grandes fresques historiques qui devaient retracer sur le modèle de La Chambre d’Héliodore, les événements de l’histoire romaine préfigurant celle des Médicis. Mais l’exécution en fut très longue. La décoration des lunettes latérales avait été confiée à Pontormo. C’est une suite admirable de figures rustiques, paysans, paysannes, où l’on peut retrouver la fable de Vertumne et Pomone, dans une évocation de la vie des champs, en harmonie avec les fresques des murs avec l’histoire romaine, confiées à Andrea del Sarto , Alessandro Allori et Franciabigio.
Le Banquet de Syphax d’Allori est situé sur le mur du salon à côté du Retour de Cicéron à Rome de Franciabigio. Allori a placé l’événement dans une grande salle à colonnes qui s’ouvre sur un paysage. Il a peut-être trouvé son inspiration dans la peinture vénitienne, en particulier dans les représentations de banquets de Paolo Veronese.
Pontormo succéda à son maître Andrea del Sarto dans la décoration du salon de la villa de Poggio a Caiano au service de Léon X et du cardinal Jules de Médicis. Cette villa, résidence préférée de Laurent le Magnifique construite aux pieds des douces collines de Montalbano, avait été dessinée par Giuliano da Sangallo. Pontormo a représenté dans une lunette le mythe classique de « Vertumne et Pomone » cherchant à comprendre le sens de la vie rustique et de l’humble grâce paysanne, l’enfermant dans un formalisme profond et calculé mais de toute façon très réussi.
Michel-Ange et la chapelle des Médicis
Les événements politiques ne devaient pas laisser de répit à Michel-Ange, pas même sous le pontificat de Léon X (1513-23). En primer lieu, le pape, dont la maisonnée était ennemie de celle des Della Rovere, le détourne de travailler à la tombe de Jules II ; il lui confie pour cela, la mission de projeter la Façade de San Lorenzo et, à partir de 1518, de la réaliser. En 1520, après de guerres inutiles, le Pape doit renoncer à la façade et charge alors Michel-Ange d’élever la Chapelle des Médicis, à côté de San Lorenzo, et en 1524 de créer la Bibliothèque Laurenziana. Ces projets sont suspendus pendant un an, en 1526, lorsque les Médicis sont chassés de Florence. Pendant la République florentine, proclamée pour la dernière fois, Michel-Ange est chargé, en tant que Gouverneur des fortifications, d’édifier de nouvelles fortifications, mais trahisons et intrigues politiques favorisera le retour des Médicis, et les projets resteront lettre morte. Les projets de la Chapelle des Médicis que Michel-Ange accepte en 1520 et 1521 pourrait le toucher de très près. En effet, Léon X voulait réunir les tombeaux de son frère cadet Julien, Généralissime des églises et duc de Nemours, de son neveu Laurent, duc d’Urbino, et ceux des deux « Magnifiques » : Laurent et son frère Julien, ce dernier assassiné en 1478 (conspiration des Pazzi), tous deux enterrés dans la vieille sacristie de San Lorenzo. Ils avaient été dans leur jeunesse, amis de Michel-Ange qui avait eu dans le Magnifique son protecteur le plus puissant.
Dans cette « Madone » du tombeau de Laurent le Magnifique et de son frère Julien, il n’existe plus de communion humaine entre la mère et le fils, même si les corps se touchent : la Vierge contemple son enfant comme si elle contemplait la plus haute révélation platonicienne qui semble illuminer son visage.
Les projets pour la Chapelle qui nous sont parvenus montrent que l’artiste, cette fois, pour exécuter le programme de son commettant, a joui d’une liberté plus grande qu’il ne l’avait eue quand il décorait la chapelle Sixtine. La Madone surmonte le tombeau des Magnifiques ; de chaque côté, les saints protecteurs de la famille Médicis, Cosme et Damien. À leurs pieds devaient figurer deux nus, personnifiant les Fleuves. Pour la décoration de la lunette qui domine tout le groupe, Michel-Ange avait envisagé la Résurrection du Christ. Sur l’autel dressé contre le mur opposé, deux candélabres : l’un représentant le pélican, symbole du sacrifice, l’autre le Phénix, symbole de la résurrection. Sur les côtés, les tombeaux des Ducs sont surmontés de leurs statues ; ils tournent la tête vers la Vierge. Sur les couvercles des sarcophages gisent les lourdes figures de la Nuit et du Jour, du Crépuscule et de l’Aurore. Les lunettes, au-dessus des tombes, devaient être décorées de scènes de l’Ancien Testament.
Ce vaste programme n’a été réalisé qu’en partie, mais cela suffit à donner une idée de l’ensemble tel que le conçut Michel-Ange. Chaque tombeau comprend deux parties, séparées par une corniche très avancée. Dans la partie inférieure, les sarcophages qui renferment les dépouilles mortelles des Médicis ; sur les couvercles le Crépuscule, l’Aurore, la Nuit, le Jour symbolisant la vanité des choses humaines. Dominant cette partie temporelle, la noblesse des Ducs, dont le raffinement et la richesse de l’architecture qui leur sert de cadre témoignent d’une sphère plus élevée : celle de l’esprit libéré et racheté.
La figure humaine et les éléments architectoniques, employés ici à part égales comme moyens d’expression, dénotent un changement survenu chez Michel-Ange : sa conception du monde, en effet, n’est plus celle qu’il a exprimée sur la voûte de la Chapelle Sixtine. Dans les fresques de la Sixtine, l’homme seul, semblait capable de vivre et d’incarner les plus hautes expériences spirituelles. Dans la Chapelle des Médicis, au contraire, c’est le « monde » entier qui peut accéder à la beauté parfaite. Il ne s’agit pas du monde des mortels où nous vivons et que symbolise la partie inférieure de la chapelle mais d’un monde suprême, que ce soit celui de la rédemption ou celui des idées platoniciennes. Michel-Ange avait pu étudier à fond ces deux tendances au cours de sa vie : la première, au milieu des humanistes qui entouraient Laurent de Médicis ; l’autre, poussée à l’extrême, chez Savonarole. Ces deux théories ne semblent pas avoir posé de problèmes à l’artiste, doué d’une nature artistique et émotive plutôt qu’intellectuelle.
Michel-Ange franchit un nouveau pas dans l’histoire de l’art en construisant la Bibliothèque Laurenziana. Au début les travaux n’avancèrent guère car en 1525 la domination des Médicis prend momentanément fin. L’artiste ne peut reprendre son travail que quatre ans plus tard. Les colonnes profondément engagées dans le mur, avec leur allure gigantesque, la structure harmonieuse de l’escalier montrent que Michel-Ange, architecte, ne s’est pas inspiré des lois géométriques abstraites mais exclusivement de l’homme.
En 1520 Michel-Ange a conçu la bibliothèque Laurentienne et son élégant vestibule d’entrée. Au lieu d’obéir aux canons classiques de l’architecture romaine et grecque, il a conçu des doubles colonnes encaissées encadrant le pilier d’angle, véritable trouvaille révolutionnaire. Cette conception architecturale est une des œuvres les plus profondément novatrices de Michel-Ange architecte.
De 1540, date la dernière œuvre de Michel-Ange de portée essentiellement politique. Elle était destinée au Cardinal Niccolò Ridolfi qui s’était enfui de Florence, comme bon nombre de florentins, au retour des Médicis et qui était allé à Rome. Le Buste de Brutus est un portrait idéalisé ; en le créant, Michel-Ange a peut-être songé à Lorenzino de Médicis (Lorenzaccio) « Nouveau Brutus » qui avait assassiné en 1537 le duc Alexandre de Médicis, que tout le monde haïssait. Le visage est carrément tourné à droite ; une froideur imperturbable, une énergie farouche se mêlent, non sans un certain charme, à la haine, à la colère et à un mépris amer.
Pour rappeler le meurtre du duc Alexandre perpétré par son cousin Lorenzino, le cardinal Ridolfi, exposant du parti anti-Médicis, fit sculpter à Michel-Ange le buste de l’assassin de César.
Dernière mise à jour : 10-12-2023