Clément VII Médicis et le Sac de Rome
À Léon X succède Adrien VI (Adriaan Florensz), originaire d’Utrecht et ancien précepteur de l’empereur Charles Quint. Sa mort, un an et quelques mois plus tard, le 14 septembre 1523, n’est pas ressentie à Rome comme un événement funeste (Adrien VI a peut-être été le seul pape des temps modernes à ne pas aimer la ville dans laquelle il résidait). L’époque n’est vraiment pas facile et l’Église aurait eu besoin à sa tête d’un pasteur résolu et capable. On sait qu’il n’en fut rien. Le 19 novembre 1523, au terme de la longue lutte qui l’a opposé au cardinal Alessandro Farnèse (lequel devra encore attendre neuf ans avant de devenir Paul III), le cardinal Jules de Médicis accède au trône de Pierre et devient Clément VII, un nom en apparence seulement de bon augure.
Le nouveau pape est le fils naturel (et posthume : la conjuration des Pazzi, en 1478, avait eu lieu un mois avant sa naissance) de Julien de Médicis : il est donc le cousin du pape mécène Léon X. En outre, il faut trouver un biais juridique pour légitimer son élection, le pontificat étant en principe interdit aux enfants naturels. Clément VII pense pouvoir poursuivre une politique préservant les équilibres et accommodante, fondée sur des accords occultes et des largesses en numéraire. Le portrait que dresse de lui François Guichardin, qui l’a bien connu, est éloquent: « Alors qu’il était fort capable sur le plan intellectuel et merveilleusement informé de toutes les choses du monde, sa résolution et sa capacité d’action n’étaient pas à la hauteur ; freiné par une timidité qui n’était pas mince, par l’obsession de ne pas dépenser mais aussi par une sorte d’irrésolution et de perplexité foncières, il était presque toujours hésitant et ambigu quand il lui fallait arrêter des choses qu’il avait pourtant depuis longtemps prévues, pesées et presque résolues. »
Cette scène est le résultat de la collaboration de Jules Romain et Francesco Penni. Elle se déroule à l’intérieur de l’ancienne basilique Saint Pierre et évoque la Donation de Rome que l’empereur Constantin (306-337) aurait faite au pape, fondant ainsi son pouvoir temporel.
À Clément VII les circonstances vont l’obliger à choisir, et vite. En bénissant la ligue de Cognac, le pape se range du côté de François Ier, un choix lourd de conséquences. Après l’écrasante défaite infligée aux Français à Pavie, en 1525, Charles Quint n’a en effet aucun mal à déchaîner ses mercenaires contre la cour papale ou, ce qui revient au même, il leur laisse les mains libres. La mort de Giovanni delle Bande Nere, (père de Cosme de Médicis, premier duc de Florence) élimine le seul condottiere qui aurait peut-être pu arrêter les Impériaux et, le 6 mai 1527 (mais dès le mois de décembre les troupes des Colonna avaient envahi les édifices du Vatican), l’armée des « lansquenets » menée par le connétable Charles de Bourbon, qui trouve la mort quelques heures plus tard, arrive sur les bords du Tibre : le sac de Rome commence. Dans un graffiti célèbre, une main inconnue a noté l’événement sur un mur de la villa de Baldassare Turini, au Janicule, l’actuelle villa Lante: « Le 6 mai 1527 / ce fut la prise de Rome. »
Dans cette fresque, on peut voir aussi certains personnages contemporains tels que le roi de France François Ier, à gauche.
Le sac de Rome referme un cycle, même si les contemporains, au-delà d’une horreur prolongée, ne l’ont pas forcément perçu de cette manière. Depuis quelque temps déjà les artistes avaient commencé de quitter une ville dans laquelle les commandes artistiques s’étaient raréfiées sous le pontificat d’Adrien VI; cet exode aurait pu être simplement une urgence contingente s’il ne s’était accompagné d’une brusque césure dans l’élaboration progressive d’un univers culturel et politique qui avait commencé avec le retour de Martin V Colonna à Rome, plus d’un siècle auparavant. Le sac de 1527 n’est que l’épisode le plus voyant et, historiquement, le mieux définissable d’une histoire déjà longue et complexe: celle du fossé de plus en plus béant entre la curie et le reste du monde. Des artistes comme Raphaël et Sebastiano del Piombo ont donné quelques signes d’inquiétude dans l’une ou l’autre de leurs œuvres, mais ces signes sont passés inaperçus (il est vrai qu’il n’était pas facile de se rendre compte de ce qui se profilait).
La décoration de la chambre de Constantin, avec laquelle s’achève l’intervention picturale dans l’appartement du pontife, est la grande entreprise des deux principaux collaborateurs de Raphaël: Giulio Romano et Giovanni Francesco Penni. À la mort de Raphaël, Sebastiano del Piombo, a essayé de récupérer cette commande à son profit et a échoué parce que les élèves de Raphaël détenaient des dessins prétendument originaux du maître. Et ils l’étaient, en effet, comme en témoignent des dessins autographes ; de plus, l’artiste d’Urbino avait peut-être déjà réalisé quelque chose dans cette chambre. Les fresques de la dernière salle de l’appartement du pontife illustrent les principaux épisodes de la Vie de Constantin, célébré comme le premier empereur chrétien: la Vision de la Croix, la Bataille du pont Milvius, le Baptême de Constantin et la Donation, auxquels s’ajoutent des figures de pontifes flanquées de Vertus. Les deux premières scènes et une partie de l’appareil décoratif sont réalisées avant la mort de Léon X, en 1521, puis l’élection d’Adrien VI impose un arrêt brutal; les travaux ne reprennent qu’au début du pontificat de Clément VII, avec l’exécution des deux derniers épisodes.
À Rome après la mort de Raphaël
À Rome, Giulio Romano est déjà reconnu comme l’artiste le plus génial et le plus protéiforme parmi les « raphaéliens » (lui aussi se partage aussitôt entre peinture et architecture), et il est sur le point de quitter Rome pour Mantoue, où ses travaux au palazzo del Te inaugureront une nouvelle phase de la peinture du Cinquecento. En plus de la chambre de Constantin, il termine, à la demande du cardinal Giulio de’ Medici (le futur Clément VII), les travaux à la villa Madama, où il peint des scènes inspirées d’Ovide, insérées dans des stucs de Giovanni da Udine, et un Polyphème novateur. Avant son départ pour Mantoue, Giulio Romano termine avec Giovan Francesco Penni la Pala di Monteluce, une grande peinture en deux parties: le Couronnement de la Vierge et les Apôtres autour de la tombe de Marie, aujourd’hui à la Pinacoteca Vaticana.
La villa Madama fut commandée par Jules de Médicis, futur Clément VII, à Raphaël qui en dessine les plans et en entame la construction en 1518, avant de laisser son disciple, Antonio da Sangallo le Jeune, continuer son œuvre. Les décorations à stucs sont de Giovanni da Udine, les fresques de Jules Romain ou Giulio Romano (en détail). Dès ses débuts, Raphaël a accordé beaucoup d’importance à l’élément architectonique dans ses tableaux. C’est à Florence que s’éveille son intérêt pour l’architecture antique, qui y était considérée comme exemplaire depuis les jours de Brunelleschi.
La carrière de Perino del Vaga, à l’instar de celle de Giulio Romano, acquiert vite une pleine autonomie. Après une longue parenthèse génoise, il reviendra à Rome où il deviendra un des peintres majeurs de l’époque de Paul III: « orphelin » de Raphaël, même s’il n’a pas été réellement son élève, il tentera à plusieurs reprises d’opérer une synthèse, assurément difficile, entre Raphaël et Michel-Ange. Dans les années qui précèdent le sac de Rome, il travaille entre autres à Trinità del Monte et à San Marcello al Corso. Dans l’église du Pincio, il décore en deux phases la chapelle du cardinal Lorenzo Pucci (les pendentifs sont peints en 1522-1523, le reste en 1525, après une parenthèse florentine), où une délicate Visitation avoue ouvertement ce qu’elle doit à la Chambre de l’Incendie. À la fin des années 1530, Perino travaillera derechef dans cette église où il décorera la chapelle Massimi (un décor aujourd’hui en partie détruit). À San Marcello, il peint à fresque deux chapelles : celle de la Vierge (où les fresques, détruites, seront refaites par le peintre manieriste Francesco Salviati), puis celle du Crucifix, décorée en deux temps à cause de l’interruption imposée par le sac de la ville (la Création d’Ève et les Saints Marc et Jean datent des années 1520 ; les Saints Matthieu et Luc de la décennie suivante).
À la suite de Perino del Vaga se trouvait, déjà du vivant de Raphaël, le jeune Polidoro da Caravaggio, qui avait participé à la décoration des Loges et peut-être à celle de la logetta du cardinal Bibbiena. Dans les années 1520, Polidoro expérimente de nouvelles solutions, comme en témoignent, entre autres, les deux Figures allégoriques retrouvées récemment et peut-être peintes juste avant le sac de 1527, mais surtout les fresques de la chapelle de Fra Mariano Fetti dans l’église San Silvestro al Quirinale. Ces fresques sont célébrées par les spécialistes parce qu’elles paraissent anticiper, dans des propositions totalement inédites, la grande période de l’art du paysage en Italie. Polidoro aura le temps de travailler au palais Baldassini, à la villa Lante, dans la chapelle des Suisses à Santa Maria della Pietà au Camposanto Teutonico. Mais, en ces années, ses interventions les plus originales sont les peintures de façade ou graffiti, malheureusement en bonne partie perdues, qu’il réalise avec le Toscan Maturino sur plusieurs palais romains. De ces fresques en grisaille, celles qui nous sont parvenues, sur leurs lieux d’origine ou détachées, comme les panneaux aujourd’hui au Museo di Roma et provenant du Casino del Bufalo, doivent être considérés comme le tout dernier aboutissement, fondé sur l’expérience raphaélesque, du courant « antiquaire ».
Avant la fatidique année 1527, deux peintres de la dernière génération réalisent à Rome des œuvres qui annoncent une série de nouveautés. À Santa Maria della Pace, Rosso Fiorentino peint à fresque la Création d’Eve et l’Expulsion du Paradis, mais l’œuvre qui témoigne le mieux de sa réflexion sur la recherche picturale florentine et, plus encore, sur la Voûte de la chapelle Sixtine, est le très beau Christ mort entre deux anges, aujourd’hui à Boston, un des tableaux les plus troublants de ces années, où la tension dramatique de Michel-Ange est portée à ses limites extrêmes. Rosso Fiorentino a le temps de se lier d’amitié avec l’Émilien Francesco Mazzola, dit le Parmesan. Ce jeune peintre, qui n’a que 21 ans lorsqu’il arrive à Rome en 1524, gagne aussitôt la faveur de Clément VII, « très admiratif du célèbre Autoportrait au miroir avec lequel il est venu ». Bien que contraint de quitter la ville en 1527 sans avoir reçu dans l’intervalle la prestigieuse commande promise par le Vatican, ce séjour aura été d’une importance capitale pour Parmesan qui, pendant trois ans, a eu la possibilité d’étudier, d’approfondir (surtout Michel-Ange et Raphaël) et de mettre au point une série d’éléments essentiels de son style.
Dans cette œuvre, le schéma de composition inédit est souligné par la pose de profil de la Vierge et par la tête au premier plan en bas de saint joseph.
Avec Rosso Fiorentino, Le Parmesan fait partie de ces artistes, nés à la charnière entre le Quattrocento et le siècle suivant, qui se font presque un devoir, comme on l’a efficacement remarqué, de « dépasser l’existant » qui est une des caractéristiques du maniérisme. Avant lui, il est certain que le très grand Corrège a visité Rome, l’étude attentive de l’œuvre de Michel-Ange transparaissant clairement dans ses fresques peintes par la suite à Parme. Le propos célèbre de Vasari sur Parmesan porte encore l’écho de l’enthousiasme que le jeune peintre suscite dans les cercles romains « On disait que l’esprit de Raphaël était passé dans le corps de Francesco, car on retrouvait en ce jeune homme les rares capacités artistiques et les manières affables et charmantes du maître ». À Rome, Parmesan réalise des œuvres qui révèlent l’ampleur de sa puissance créatrice comme le Mariage mystique de sainte Catherine, entre autres. Mais l’œuvre la plus réussie de ce séjour romain – et sur ce point la critique est unanime – est un des tableaux les plus sensationnels de cette période de la recherche artistique la Vierge à l’Enfant avec les saints Jean-Baptiste et Jérôme, aujourd’hui à la National Gallery, à Londres.
Destinée à la chapelle Caccialupi dans l’église romaine San Salvatore in Lauro, la peinture est commandée au Parmesan par Maria Bufalini qui souhaite honorer la mémoire de son mari, Antonio Caccialupi (Maria était la fille de Niccolò Bufalini qui avait demandé à Pinturicchio les fresques de la chapelle familiale à Santa Maria in Aracoeli). Le contrat, signé le 3 janvier 1526, spécifie clairement que l’artiste doit réaliser « un tableau avec l’image de la bienheureuse Vierge Marie tenant dans ses bras son Fils et avec une image de saint Jérôme, docteur de l’Église, et une autre de saint Jean-Baptiste au pied de la Vierge ». La peinture ne parviendra jamais à l’église romaine. Inachevée en 1527, lorsque les troupes impériales s’emparent de la ville, elle est d’abord placée, après la fuite du peintre, dans le complexe de Santa Maria della Pace, puis transférée dans la chapelle Bufalini de l’église Sant’ Agostino, à Città di Castello.
Il nous reste le récit, plein de vivacité et probablement véridique, de Vasari, selon lequel les lansquenets sont tellement frappés par l’art du peintre qu’ils protègent son travail : « Quand le sac commença, il travaillait dans sa maison ; des soldats allemands entrèrent ; il resta impassible malgré le bruit et continua à travailler. Quand ils le virent, ils restèrent cloués sur place devant son œuvre et – il devait s’agir de braves gens – ils le laissèrent continuer. Au moment où les barbares détruisaient avec une incroyable cruauté la malheureuse ville et toutes les œuvres profanes et sacrées sans respect ni pour Dieu, ni pour les hommes, Francesco recevait de ces Allemands nourriture et estime, et était à l’abri de toutes les injures. » Cette peinture met en évidence le style si particulier de Parmesan qu’il continuera à développer pendant le reste de sa courte vie, notamment dans l’allongement et torsion des corps (Vierge au long cou du musée des Offices de Florence).
Les dessins qui nous sont parvenus révèlent comment le peintre émilien a progressivement élaboré cette image et, une fois encore, ils témoignent de la somme de travail qui précède la réalisation finale d’une œuvre d’art. Plus que la peinture elle-même, les premiers dessins se réfèrent clairement, dans la pose de la Vierge, à la Madone Sixtine de Raphaël, que Parmesan avait pu étudier dans l’église San Sisto à Piacenza. La partie inférieure de la peinture est d’une nouveauté stupéfiante: au corps de Jérôme endormi, étendu sur le dos, répond au premier plan la belle torsion de Jean-Baptiste, qui paraît résumer dans une seule figure certains des aboutissements les plus hauts de la peinture du début du Cinquecento et traduit déjà toute l’inquiétude du maniérisme.
Sebastiano del Piombo, un vénitien à Rome
Après ses premiers travaux à la Farnésine et l’hommage rendu à Sebastiano del Piombo à Venise dans la Mort d’Adonis, aujourd’hui aux Offices, l’artiste devient bientôt le fidèle associé de Michel-Ange. Selon Vasari, ce rapprochement se produit parce qu’à Rome les « amis et partisans » de Raphaël ont entamé une habile campagne de propagande tendant à prouver la supériorité de l’artiste d’Urbino: « Ce parti pris soutenu par beaucoup d’artistes à qui la grâce de Raphaël était plus accessible que la force de Michel-Ange avait fini, pour diverses raisons, par faire pencher l’opinion générale en faveur de Raphaël ». » Michel-Ange, comprenant qu’il ne peut rester seul, s’adresse donc à Sebastiano qui ne partage pas ce « parti pris » : « Cependant Sebastiano ne s’y était pas rallié, car il avait assez de finesse et de discernement pour mesurer exactement la valeur de chacun. » Néanmoins, d’après une autre interprétation, Sebastiano compterait Raphaël au nombre de ses adversaires parce que celui-ci l’a évincé dans l’affection d’Agostino Chigi en peignant la Galatée à côté de son Polyphème, à la Farnésine. Quoi qu’il en soit, « Michel-Ange, écrit Vasari, qui s’intéressait à Sebastiano dont il appréciait particulièrement le coloris et l’élégance, le prit alors sous sa protection ». C’est ainsi que commence l’étroite et longue relation entre les deux hommes, qui prend fin brutalement au début des travaux du Jugement Dernier, dans la seconde moitié des années 1530. Jusqu’à cette date, l’artiste vénitien considère Michel-Ange comme une puissance tutélaire et voit en lui une référence irremplaçable, comme en témoignent les nombreuses lettres dans lesquelles il ne cesse de demander des conseils, de l’aide, des suggestions. Durant tout le reste de sa vie, Sebastiano dei Piombo réussira en effet à travailler à Rome et, partageant son activité entre une série d’ouvrages traitant de thèmes religieux et une production de portraits célèbres, il parviendra à conserver un réseau approprié de commanditaires.
À première vue, la construction pyramidale de ce grand retable reprend des éléments de composition qui caractérisent la peinture italienne depuis plusieurs décennies, mais c’est la seule concession à la tradition consolidée de l’art religieux. L’image va bien au-delà de la douleur d’une mère face à la mort atroce de son fils : les deux figures sont séparées, le Christ est allongé par terre, alors que Marie, une « Madone » ni belle ni jeune, se tourne dans sa détresse vers un ciel obscurci, où le soleil a brusquement sombré dans les ténèbres. La désolation est à son comble, tout espoir est nié, c’est le degré le plus profond et le plus désespéré du Credo religieux. Les œuvres qui, comme cette Pietà, ont annoncé une ère de tourments et de désarroi sont fort peu nombreuses. La Pietà de Viterbe est un aboutissement majeur (et l’un des moins connus du grand public) de l’art du Cinquecento.
Le Retable de Viterbe achevé, Sebastiano se voit confier les travaux de décoration à San Pietro in Montorio. L’église, reconstruite au début des années 1480 et assignée à l’ordre franciscain dès le pontificat de Sixte IV, était placée sous la tutelle de la couronne d’Espagne et, au début du Cinquecento, Bramante avait édifié dans le cloître le célèbre Tempietto. Le marchand florentin Pier Francesco Borgherini, qui a acquis la première chapelle à droite, s’adresse à Sebastiano et celui-ci paraît bien décidé à se mettre à l’ouvre immédiatement, ainsi que l’indiquent les lettres que Leonardo Sellajo envoie de Rome à Michel-Ange (qui a quitté la ville en juillet 1516 et désire certainement être tenu au courant de cette entreprise) le 30 août, il est dit que « Bastiano commencera dans quinze jours », le 22 septembre que « Bastiano fait le carton », et le mars 1517 que « Bastiano est plein de courage et, demain, il commencera la chapelle ». Sebastiano avait délaissée la décoration à San Pietro in Montorio pour la réalisation de la Résurrection de Lazare que le cardinal Giulio de’ Medici, lui avait demandée en même temps qu’il demandait à Raphaël la Transfiguration. Le 19 janvier 1517, Sebastiano a déjà reçu l’argent pour acheter le panneau en bois (dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la peinture sera transférée sur toile) et, le 29 décembre 1519, il informe Michel-Ange de ce qu’il a achevé la peinture: « Je veux vous dire que j’ai fini la peinture et que je l’ai portée au Palais où, aussitôt, elle a davantage plu que déplu » (Michel-Ange, passant par Rome, avait pris le temps de voir le tableau tout juste commencé: « II suffit que vous ayez vu l’ouvrage entamé. ») Dans l’esprit de Sebastiano, cette commande est l’occasion de se mesurer à Raphaël et, il le dit à plusieurs reprises, un véritable défi.
Enfin, le 6 septembre 1521, Sebastiano fait part à Michel-Ange de son souhait de peindre à l’huile la Flagellation sur le mur de la chapelle Borgherini à San Pietro in Montorio et, le 24 mars 1524, Leonardo Sellajo peut finalement annoncer à Buonarroti, qui est à Florence, que la décoration est terminée. Les travaux à San Pietro in Montorio posent derechef la question de savoir dans quelle mesure Sebastiano dépend des modèles de Michel-Ange. Celui-ci a probablement fourni quelque dessin, comme tend à le prouver la feuille sur laquelle figure une Flagellation, conservée au British Museum à Londres. Le succès que rencontre la Flagellation parmi les contemporains est attesté par plusieurs copies. Parallèlement à ces travaux, Sebastiano se lance dans une production de portraits, devenus célèbres. A quelques années du sac de la ville par les troupes impériales, il fait montre de ses capacités de synthèse psychologique dans le Portrait d’Andrea Doria (Palazzo del Principe, Gênes) et dans le Portrait de Clément VII (Museo di Capodimonte, Naples) : excepté la frise classique dans le bas du portrait de l’amiral génois, les deux œuvres, peintes à la même période, sont caractérisées par une absence d’éléments extérieurs qui permet à l’attention de se focaliser sur les personnages représentés et, surtout dans le portrait du pape, par une utilisation de la lumière totalement novatrice, au moins pour Rome.
L’épilogue de Michel Ange : Le Jugement dernier
Bien que le Jugement dernier ait été peint entre 1530 et 1541 sous le pontificat de Paul III, toutes les études voient en lui une œuvre totalement définie dans les derniers temps du règne de Clément VII et le rattachent au climat de désarroi généralisé qui touche l’Église après le sac de la ville en 1527. Au lendemain de ce désastre, la curie vaticane tente de résoudre une série de questions qui ont trait aux relations difficiles avec la cour impériale et les cours de Paris et de Londres. Le 24 février 1530, à Bologne, Charles Quint est sacré empereur dans l’église San Petronio par Clément VII (ce sera le dernier couronnement d’un souverain du Saint Empire romain par un pontife). Deux ans plus tard, le pape obtient que Florence soit restituée aux Médicis, élevée au rang de duché et confiée à son neveu Alexandre; en cette même année 1532, Clément VII retourne à Bologne où il rencontre de nouveau Charles Quint et discute avec lui, sans grands résultats, de la diffusion des idées de Luther et de la convocation éventuelle d’un concile visant à réformer l’Église. À l’occasion d’un autre voyage diplomatique — le pape se rend à Marseille pour traiter avec François Ier —, Clément VII s’arrête à deux reprises, le 22 septembre 1533 puis en décembre, à San Miniato al Tedesco, près de Florence, où il rencontre Michel-Ange. Les études s’accordent à penser que c’est au cours de ces deux entretiens qu’ont été discutés les principaux aspects (à tout le moins) de la nouvelle entreprise picturale. Un autre témoignage précoce nous est donné par un agent de Mantoue qui, le 20 février 1534, mentionne dans une lettre que le pape « a tant fait qu’il a obtenu de Michel-Ange qu’il peigne dans la chapelle où, sur l’autel, on ferait la Résurrection, de sorte que le mur est déjà préparé ». La phrase, on le voit, n’est pas claire: s’agit-il de la « résurrection des corps », autrement dit du Jugement dernier, ou de la Résurrection du Christ, une scène traditionnellement exprimée sur les murs d’autel, alors que le Jugement dernier est généralement représenté sur le mur de la contre façade ? Il est donc difficile d’établir avec une certitude absolue que c’est au cours de ces deux entretiens que le projet a été véritablement défini.
Clément VII, qui est tombé malade en juin 1534, meurt le 25 septembre 1534, après avoir assisté au schisme définitif du royaume anglais. Lui succède, sous le nom de Paul III, le cardinal Alessandro Farnèse. Le nouveau pontife confirme immédiatement la commande passée à Michel-Ange (arrivé à Rome précisément à ce moment-là) et, de plus, il noue avec lui une relation étroite aux conséquences éclatantes : une année n’a pas passé que Michel-Ange est nommé, par deux brefs pontificaux du 1er novembre 1535, « architecte en chef, sculpteur et peintre de notre palais apostolique […] et l’un des nôtres », une position à laquelle s’attache une rente à vie de 1200 ducats annuels.