Naples : foyer de l’art européen
Si la contribution apportée par la maison royale napolitaine, au XVe siècle, à la constitution en Europe de la culture humaniste fut essentielle, la portée historique des forces artistiques que la cour aragonaise sut rassembler et développer à Naples fut tout aussi importante. En effet, Naples fut, surtout pendant la seconde moitié du quattrocento, un foyer de l’art européen, une plaque tournante des grandes innovations qui ont ponctué l’histoire de la peinture.
Tout naturellement tourné vers l’Espagne, Alphonse V, roi de Naples entre 1443 et 1458, a appelé à sa nouvelle cour des artistes catalans comme le sculpteur et architecte Guillem Sagrera, qui travailla au Castel Nuovo, le sculpteur Pere Joan, ou le peintre Jacomart qui reçut le titre de familiaris, de même que le peintre Leonardo da Besozzo, mais il fut plus sensible encore à l’art flamand. La collection d’œuvres de peintres flamands qu’Alphonse possédait était la plus importante de son temps. L’œuvre de ces peintres qu’avait influencée déjà la peinture catalane influença à son tour les peintres locaux comme Colantonio, dans son célèbre tableau Saint Jérôme dans son cabinet d’étude, fasciné par le rendu illusionniste des accessoires, et Antonello da Messina. Le zèle que Colantonio mettait à copier les œuvres de Jan van Eyck se trouvant à la cour de Naples, prouve aussi bien la popularité croissante de la peinture flamande, mais aussi son accession au statut de norme artistique dans le Naples de la Renaissance. Les préférences du roi en tant que collectionneur ont incontestablement contribué à ce phénomène.
Le « Saint Jérôme » a toujours été salué comme l’œuvre la plus éminente et peut-être le témoignage le plus éloquent des échanges fertiles que connurent les arts à partir de la fin des années 1430. Ce panneau qui n’est que l’un des éléments d’un polyptyque dispersé aujourd’hui entre multiples collections – a été peint à la demande d’Alphonse V, comme l’indiquent les armoiries de ce dernier et le thème du tableau célébrant la prescription de pauvreté de l’ordre franciscain. Alphonse le Magnanime avait été, en effet, pour beaucoup dans la canonisation de Bernardin de Sienne, le Franciscain peut-être le plus influent du XVe siècle ; au demeurant, Alphonse suivrait de près, dans sa politique culturelle officielle, la doctrine professée en matière d’art par les ordres mendiants (à Sienne, les peintres Sano di Pietro, Sasseta, entre autres). Les différents volets de ce polyptyque témoignent d’une véritable virtuosité dans l’emploi non seulement de la tradition flamande-provençale, mais aussi d’un répertoire stylistique et formel issu, à parts égales, d’influences septentrionales et méridionales.
Cette primauté qu’Alphonse V donnait aux artistes des Pays-Bas, remonte du reste à une époque antérieure à son arrivée en Italie. Alphonse le Magnanime avait une prédilection particulière pour l’art flamand, puisqu’il acquit une collection considérable comprenant des tapisseries et quelques œuvres importantes de Rogier van der Weyden et, surtout, de Van Eyck. Le chancelier et écrivain humaniste Giovanni Pontano, actif à la cour des rois de Naples, dans son traité de morale De Splendore (1493-1494), souligne l’ambition d’Alphonse le Magnanime de surpasser l’exemple du duc de Berry en tant que patron des arts. Et lorsque ce même Pontano s’intéresse au Saint Georges terrassant le dragon de Van Eyck – dont on sait qu’il figura de bonne heure dans la collection royale – en parlant de « maître Jean, le grand peintre de l’illustre duc de Bourgogne », ceci vise à rehausser le prestige du peintre, de son œuvre et de son propriétaire, prestige induit par la référence à Philippe le Bon. C’est bien la preuve que cet intérêt pour le peintre flamand ne lui était pas venu avec la conquête définitive du royaume sud-italien, mais datait de l’époque où le roi résidait encore en Espagne. On présume que l’Aragonais avait rencontré Jan van Eyck en 1427, à Valence, où une délégation bourguignonne, dont faisait partie le peintre, préparait le mariage de Philippe le Bon avec Isabelle d’Urgell, nièce d’Alphonse – le mariage finalement se réalisera avec Isabelle de Portugal. C’est vraisemblablement à cette époque qu’Alphonse incorpora dans sa collection le portrait du duc de Bourgogne que Colantonio devait copier par la suite à Naples. On sait aussi, que le triptyque peint par Jan van Eyck pour le marchand génois Battista Lomellini passa en 1444 au roi Alphonse d’Aragon à Naples sans la moindre adaptation ou modification : il était considéré comme digne d’un roi. Les tapisseries, achetées en 1456, représentant des scènes de la Passion de Rogier van der Weyden, et auxquelles s’ajoutaient vraisemblablement d’autres œuvres du maître, font elles aussi la démonstration de cette prédilection pour l’art flamand dont Alphonse V donna l’exemple et dont il fut peut-être le premier et le plus efficace initiateur en Italie. La présence en Sicile d’œuvres flamandes est avérée ; l’humaniste et écrivain Jacopo Sannazzaro semble avoir possédé un tableau de Petrus Christus.
Ce panneau de Saint Georges terrassant le dragon par Pedro Nisart est peut-être le reflet de l’œuvre de Van Eyck traitant le même sujet, qui appartint à Alphonse le Magnanime. On sait qu’il avait ordonné à son bailli général à Valence, Berenguer Mercader, de lui en trouver un tableau de Van Eyck. Le sujet importait peu : le roi, comme Isabelle d’Este à la fin du siècle, voulait simplement posséder une œuvre de ce grand maître. Mercader chargea par conséquent un marchand de Valence d’en acheter un en Flandres. Celui-ci trouva un « Saint Georges et le dragon » en vente à Bruges et le fit expédier à Barcelone, d’où il fut envoyé à Naples en 1444. Depuis lors, le tableau a été perdu, mais ses qualités suscitèrent l’enthousiasme de Pietro Surmonte, écrivain du XVIe siècle, dans une célèbre lettre de 1524. Le sujet du tableau convenait bien à Alphonse : sa chapelle funéraire catalane, construite vers 1442 au monastère de Poblet (Tarragone), panthéon des rois catalans, était dédié au saint, qu’il avait adopté comme protecteur lors de sa campagne napolitaine.
Entre les peintres qu’Alphonse le Magnanime amène à Naples, figurent Jaume Baço, dit Jacomart, et Joan Reixac, tous les deux originaires de Valence. L’activité de Jacomart (de 1410 à 1461) s’inscrit dans le mouvement de circulation des œuvres et des artistes en Méditerranée, se déroula entre Valence et Naples, où Alphonse d’Aragon l’avait appelé en 1440 et où il réalisa, entre autres, un retable (perdu) pour Santa Maria della Pace. On tend à supposer à Jacomart une formation d’origine flamande, même s’il faut tenir compte du milieu napolitain dans lequel il évoluait et où la Renaissance italienne et l’influence du Nord se rejoignaient. Joan Reixac fut un représentant de l’école de Valence et un disciple de Jacomart Baço. Il tenta de concilier le goût décoratif de la tradition aragonaise avec le naturalisme flamand. Le nom de Joan Reixac est associé parfois avec le Maître de Porciúncula (activité documentée vers 1450-1474). Un magnifique panneau attribué à ce maître est conservé a couvent des Capucins de Castellón. Il semble inspiré directement des Saint François de Turin ou de Philadelphie de Van Eyck.
La représentation de saint François recevant les stigmates était extrêmement populaire dans la péninsule Ibérique et en Italie. En outre, l’ordre franciscain était particulièrement important en Aragon. Cette œuvre se rapproche d’un « Saint François recevant les stigmates » de Jan van Eyck, dont on connaît deux versions, l’une à Philadelphie et l’autre à Turin. Quelques différences peuvent être relevées entre les modèles eyckiens et l’œuvre du Maître de Porciuncula. Le saint est représenté ici avec une auréole et tend les mains vers le crucifié. Certains éléments ont été déplacés, par exemple l’arbre situé à gauche chez Van Eyck ; il figure à droite dans la version de Valence. Le livre ouvert ne se retrouve pas dans la composition originale. Par contre, le Maître de Porciuncula a maintenu les éléments principaux du paysage.
Joan Reixac, peintre catalan, fut un représentant de l’école de Valence où son activité s’est déroulée, et un disciple de Jacomart. Il tenta de concilier le goût décoratif de la tradition ibérique avec le naturalisme flamand.
Ce tableau de la Vierge de Porciúncula provenant Albocàsser (Valence) et aujourd’hui conservé au Musée National d’Art de Catalogne, est la pierre de touche à partir de laquelle la critique a construit le catalogue du Maître de Porciúncula. Il faut souligner la personnalité remarquable de ce peintre anonyme, le rôle clé qu’il a joué dans l’évolution de la peinture à Valence et la surprenante richesse de sa culture eyckienne. La relation énigmatique de ce peintre avec Joan Reixach et l’idée que ce Maître était une simple ramification de celui-ci est rejetée aujourd’hui par les chercheurs.
L’irruption du nouveau langage flamand, avait été introduit en Catalogne par Lluís Dalmau peintre à la cour d’Alphonse à Barcelone. En 1431, Alphonse envoya ce peintre originaire de Valence aux Pays-Bas ; voyage qui était lié au projet du roi souhaitant fonder une manufacture de tapisseries. En collaboration avec Guillaume d’Ixelles – le tapissier flamand d’Alphonse -, Dalmau devait acquérir en Flandre le savoir-faire adéquat et engager du personnel. Le fait que Dalmau étudia alors certaines œuvres des primitifs flamands – dont le Retable de l’Agneau mystique de Van Eyck encore inachevé à l’époque – est attesté par sa Vierge des conseillers, exécutée en 1443-1445 pour les conseillers de Barcelone et qui fait référence au célèbre polyptyque. À l’instar d’Alphonse V envoyant Dalmau aux Pays-Bas en 1431, son fils et héritier Ferrante Ier allait suivre l’exemple de son père en envoyant Giovanni di Basilio, ou di Giusto, à Bruges (1469-1470) afin qu’il y apprenne le métier de peintre. Apparemment Ferrante estimait que la formation en Flandre était un exercice indispensable. Bartolomeo Fazio, l’un des humanistes qu’Alphonse réunissait pour des débats érudits autour de lui, loue dans son De viris illustribus (Des hommes illustres), Van Eyck (pictorum princeps), Van der Weyden, ainsi que Pisanello, et exalte la dignité et la difficulté créative de la peinture, capable d’évoquer les sentiments intérieurs : « C’est à exprimer ces propriétés des êtres que doit s’efforcer le peintre aussi bien que le poète, et c’est principalement là qu’on reconnaît le talent et la faculté de l’un et de l’autre ». Malheureusement, la plupart des tableaux commandés par Alphonse ont été perdus ou détruits. Les archives d’État furent dévastées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, si bien que de précieux documents concernant des commandes et des achats n’existent plus.
Niccolò Colantonio
Colantonio (actif à Naples entre 1440 et 1470 environ), travailla à Naples quand, sous le règne d’Alphonse d’Aragon, la ville était un lieu très actif de convergence d’artistes et d’œuvres aragonaises, provençales et flamandes. Dans une lettre adressée à Marcantonio Michiel en 1524, l’humaniste napolitain Pietro Summonte (1452-1496) évoque l’histoire de l’art de sa ville natale. Il y dit que Colantonio, mort jeune, fut le maître d’Antonello da Messina et aurait été le premier à s’approprier la technique flamande de la peinture à l’huile, initié par René d’Anjou en personne ; en outre, le peintre aurait étudié des tableaux de Van Eyck et les aurait parfois imités à la perfection. Les descriptions de Surmmonte ont permis d’identifier trois œuvres de Colantonio – le retable de saint François et sa prédelle avec Saint Jérôme dans son étude, sans doute directement inspirée de Van Eyck, La Descente de Croix de San Lorenzo ainsi que le Retable de saint Vincent Ferrier. Ces trois œuvres s’inscrivent dans le contexte de la souveraineté de la maison d’Aragon à Naples et illustrent parfaitement le rôle de Colantonio en tant que propagateur de la peinture flamande dans le royaume de Naples.
Cette « Descente » qui se trouvait à l’origine, à l’église San Domenico de Naples, est un exemple remarquable de la flexibilité et du pluralisme stylistique de Colantonio. L’œuvre, qui emprunte abondamment au style gothique international des années 1400, peut être rattaché de manière tout aussi convaincante à l’influence directe de Petrus Christus qu’aux tapisseries importées par le roi Alphonse pour le Castel Nouvo, aujourd’hui perdues, qui représentaient des « Scènes de la Passion » de Rogier van der Weiden. L’introduction singulière des deux échelles qui prennent appui symétriquement contre les bras de la croix, confère à la composition un équilibre et une solennité d’empreinte manifestement humaniste. Le sens de la mesure et de la sobriété transparaît également dans l’expression des personnages, et dans la retenue face au drame. À l’extrême gauche figure un personnage féminin qui essuie ses larmes avec un pan de son ample turban, attitude que l’on retrouve à droite dans la « Déploration du Christ mort » du Flamand Petrus Christus.
Selon Summonte, Colantonio exécuta de nombreuses œuvres de Van Eyck, notamment le portrait de Philippe le Bon qu’Alphonse avait emporté d’Aragon ainsi qu’un Saint Georges qui se trouvait à Naples vers 1445. Les deux œuvres aujourd’hui perdues. La comparaison d’usage entre le Saint Jérôme de Colantonio et la représentation du même père de l’église par Van Eyck met en évidence le succès avec lequel Colantonio se mouvait dans ce nouveau langage. Colantonio était donc une sorte de vecteur des échanges artistiques, dont l’opportunisme constructif satisfaisait à la fois des désirs de ses commanditaires et son propre goût de l’expérimentation. La faculté d’adaptation de Colantonio hors du commun se manifestera jusque dans ses dernières œuvres, tel le Retable de saint Vincent Ferrier. Elle s’y traduit par l’application de loin la plus radicale du paysage eyckien en même temps que par le recours aux innovations de la Renaissance italienne et plus particulièrement à la perspective, qu’il avait vraisemblablement découverte par l’intermédiaire de Piero della Francesca.
L’influence de Van Eyck sur le Napolitain et son atelier est particulièrement manifeste dans les scènes de la vie du saint dominicain Vincent Ferrier. Le paysage crevassé du « Sermon » (deuxième à gauche) rappelle les paysages à l’arrière-plan de l' »Agneau mystique » ; même les personnages semblent inspirés de représentations flamandes. Comme déjà le « Saint Jérôme » avec sa description détaillée de l’intérieur du savant, l' »Apparition de la Vierge » (troisième à gauche) de Colantonio se réfère au Triptyque Lomellini (perdu) de Van Eyck, qui devait inspirer Antonello da Messina. Ce retable fut exécuté après la canonisation du dominicain de Valence par Calixte III en 1455, pour le compte de la reine Isabella Chiaramonte, l’épouse de Ferdinand Ier d’Aragon, représentée avec ses enfants sur la prédelle ; à sa mort en 1465, elle fut d’ailleurs inhumée devant le retable érigé dans une chapelle de l’église San Pietro Martire.
Ce tableau considéré généralement comme un portrait, a connu diverses attributions. Celle de Venturi, l’attribuant à Colantonio se fondait sur des analogies avec le « Saint Jérôme dans son étude » et certaines affinités avec la peinture flamande ainsi qu’avec des portraits d’Antonello da Messina. Aujourd’hui l’œuvre est considérée comme napolitaine ou provençale et constitue un exemple assez typique du style pratiqué dans le monde méditerranéen occidental d’après 1450 par les petits maîtres – synthèse complexe d’influences flamandes, provençales, espagnoles et sud-italiennes. Le contexte de sa création et sa fonction son également incertaines. Il est fort peu probable qu’il s’agisse d’un portrait autonome. Il paraît plus plausible qu’il ait fait partie d’une galerie d' »hommes illustres » comment cela se faisait à l’époque, notamment à Urbino où des « Uomini famosi » ornaient le palais de Federico da Montefeltro, œuvres dues à Joos van Wassenhove et à Pedro Berruguete.
Antonello da Messina
« Il arriva donc, les choses étant en ce point, qu’un Flamand nommé Jean de Bruges, peintre très estimé dans son pays pour la grande habilité qu’il avait acquis dans son métier… de jour en jour, aidé par l’expérience, fit plus grand et meilleur. La renommé de son invention se répandit peu après, non seulement en Flandre, mais encore en Italie et dans d’autres pays et inspira aux artistes un vif désir de savoir par quel moyen il donnait aux ouvrages tant de perfection. Quelques Florentins qui faisaient du commerce en Flandre et à Naples, ayant envoyé au roi Alphonse de Naples un tableau empli de figures et peint à l’huile par Jean, cette œuvre plut infiniment au roi, pour la beauté des figures et pour la nouveauté du coloris. Tous les peintres du royaume accoururent pour la voir, et lui donnèrent de grands éloges. » Giorgio Vasari, Vie d’Antonello de Messine (1568)
Selon Giorgio Vasari, l’invention de la peinture à l’huile par Jan van Eyck aurait été à l’origine de la renommée du peintre dans toute l’Europe. Il est typique de Vasari et de son patriotisme qu’il ait choisi les marchands florentins établis à Bruges pour relayer la notoriété de l’artiste (ils auraient fait résonner son nom jusque dans le Sud, au royaume de Naples). Florence resterait ainsi associée, fût-ce pour une part minime, à l’innovation sans doute la plus retentissante de l’histoire de la peinture ainsi qu’à la carrière européenne incomparable de Van Eyck.
Fils d’un tailleur de pierre de Messine, Antonello séjourna à Naples entre 1445 et 1455 où il fut l’élève du peintre Colantonio. Les premiers travaux d’Antonello reflètent la nature éclectique et cosmopolite de la culture artistique de l’Italie méridionale, avec des éléments catalans et provençaux, mais surtout des éléments flamands, en particulier de l’art de Jan van Eyck. Par l’intermédiaire de son maître Colantonio, Antonello aurait eu accès aux œuvres que le roi Alphonse collectionnait du maître flamand. Le Saint Jérôme dans son étude montre déjà cette combinaison caractéristique de l’art d’Antonello entre technique et réalisme flamands et l’agencement de la perspective et de la configuration architecturale propres de l’art italien, qui sont ici excellemment résolus par le peintre. Plus tard à Venise, vers 1476, Antonello réalisa l’une des œuvres les plus importantes de sa carrière. C’est le Retable de San Casiano, où l’artiste met en évidence son style individualiste et sa technique novatrice de la peinture à l’huile. On ne connaît pas les œuvres qu’Antonello réalisa à Messine, dans les années 1460, mais les documents attestent une intense activité en pays sicilien et à Reggio Calabria. Il s’est rendu à Rome où il a pu connaître l’art de Piero della Francesca. Cette influence est attestée dans la Crucifixion de Bucarest (peut-être le plus ancien tableau d’Antonello remontant à la période avant son départ de Sicile), où la description minutieuse d’inspiration flamande est dépouillée et subordonnée à une conception de la perspective et de la lumière provenant de l’Italie centrale. Ses séjours à Venise eurent des conséquences fondamentales en histoire de l’art, car ils marquèrent le début de la synthèse lumineuse et spatiale de l’artiste de Messine avec la couleur tonale et lyrique de Giovanni Bellini. L’œuvre d’Antonello allait devenir incontournable pour Bellini, Carpaccio, Giorgione et Titien. En 1476, le peintre rentra à Messine où il mourut en 1479, laissant à son fils le soin de terminer sa Pietà, actuellement au Prado.
La datation de ce tableau oscille entre 1455 et 1475. Il représente saint Jérôme assis dans son cabinet de travail, qui est conçu comme une sorte d’estrade, avec deux murs garnis d’étagères, à l’intérieur d’une grande église gothique. À travers un faux portail situé au premier plan, le spectateur peut observer la scène qui est organisée rationnellement grâce à la perspective centralisée. On voit d’ailleurs très bien les lignes droites, gravées sur la surface du tableau, qui ont servi de basse à la composition de l’artiste.
La lumière chaude et solaire unifie l’ensemble et exalte en même temps les détails, suivant ce qu’Antonello avait appris de la peinture flamande. comme les paysages qu’on entrevoit à travers les fenêtres. L’artiste a réussi à créer certains effets de brillant et de transparence grâce à un usage savant de la technique à l’huile qui lui valut toute l’admiration de ses contemporains.
Sur ce tableau, on voit la Vierge en train de répondre à l’annonce d’un ange dont on doit imaginer la présence en dehors de la composition picturale. La figure de cette Vierge-enfant, portant un voile bleu sur un fond sombre, se réduit à une pure forme, à une sorte d’architecture plongée dans un espace tridimensionnel. Son manteau évoque la structure d’une pyramide tandis que son visage ovoïde se tourne vers l’extérieur du tableau. La main droite de l’Annoncée s’avance vers le spectateur et dépasse le bord saillant du lutrin. Autour de ses mains solides, construites avec de subtils jeux d’ombre et de lumière, on dirait que c’est l’air ambiant qui feuillette les pages du livre.
Antonello combine ici une calligraphie minutieuse du nord, visible dans le paysage en dans les cheveux du Christ, avec un traitement monumental de l’anatomie et le souci de volume et de perspective qui sont clairement du sud.