Jan van Eyck : Données biographiques
D’après son nom, Jan va Eyck, serait né à Masseyck, à une trentaine de kilomètres de Maastricht entre les frontières de deux provinces : les Pays-Bas et la principauté de Liège. Cependant, les documents font défaut pour définir avec précision sa date de naissance ; tout au plus peut-on supposer qu’il est né entre 1385 et 1395. Quant à sa formation, elle reste énigmatique. Probablement il est passé à Liège comme certains travaux permettent de l’imaginer. La première mention documentaire date de 1422 et renseigne Jan van Eyck peintre et valet de chambre au service de Jean de Bavière, comte de Hollande, pour lequel il s’occupe de la décoration du château.
Après cette fonction, en 1425, nommé peintre et valet de chambre de Philippe le Bon, duc de Bourgogne et comte de Flandre, Van Eyck réside à Lille. On sait qu’il épouse une femme, dont on ignore presque tout sauf qu’elle s’appelait Marguerite, et qu’ils ont eu deux enfants. À plusieurs reprises, Van Eyck a accompli des « voyages secrets » pour son maître. Le premier l’amène en Aragon, en 1426-27 : il s’agit d’une mission de négociations pour solliciter la main d’Isabelle, fille de Jacques, comte d’Urgell. Si le projet est un échec, lors de son retour, Van Eyck est accueilli chaleureusement par le magistrat de Tournai. Une deuxième ambassade, en 1428, sous la direction de Jean de Roubaix, est envoyée au Portugal, à fin de demander la main d’Isabelle, la fille du roi Jean Ier. Cette fois, un accord est conclu et le mariage sera célébré à Bruges en 1430. Ces voyages, riches en expériences, ont permis à Van Eyck, de passer dans diverses contrées, dans la péninsule Ibérique, en Aragon, en Castille… et partout, il a noté, dessiné, croqué des éléments de paysages, des fragments d’architectures dont il se souviendra plus tard en élaborant ses compositions picturales. Il donnera ainsi la preuve qu’il connaît, par exemple, la végétation méditerranéenne.
À partir de 1430, Jan van Eyck s’établit à Bruges, et il est nommé peintre de cour. Peintre illustre en son temps, il a droit par exemple, pour sa maison, à la livrée ducale et peut défiler, lors des cérémonies, derrière les hauts dignitaires. Il reçoit des commandes de portraits ainsi que des panneaux ou des retables. Le plus célèbre d’entre eux, le Polyptyque de l’Agneau mystique, inauguré à Gand en 1432, première œuvre documentée. Inscrit dans la culture humaniste, Jan van Eyck a conscience de sa fonction. Il signe ses tableaux d’une façon savante et il a une devise Als ich chan (Du mieux que je peux). Homme de son temps, peintre curieux, il s’intéresse à la géométrie, l’alchimie, la littérature, la théologie, l’anatomie et la perspective. On note par exemple dans le tableau de 1434, Les Epoux Arnolfini, ce goût pour les lois optiques : le miroir au fond du tableau renvoie l’image des protagonistes de la scène. Le miroir deviendra d’ailleurs un des thèmes iconographiques de la peinture flamande.
Le miroir concave reflète la chambre et le couple vu de dos, ainsi que ceux qui sont devant la porte d’entrée. Van Eyck était intensément intéressé par les effets de lumière : la technique de la peinture à l’huile lui a permis de la dépeindre avec une grande subtilité.
Les comptes de la Maison du comté de Flandre le citent encore en 1435, 1436, 1439. En 1441, le peintre meurt à Bruges ; le duc accorde une rente à sa veuve et à ses enfants. Peintre apprécié à la cour de Bourgogne, sa gloire devient européenne. Les collectionneurs italiens, les Médicis, par exemple, ont possédé très vite des œuvres de Van Eyck. En 1456, Bartolomeo Fazio, humaniste proche d’Alphonse V d’Aragon, qui règne sur Naples, distingue en Europe quatre peintres méritant les plus grands éloges : Jan van Eyck, Rogier van der Weyden, Pisanello et Gentile da Fabriano. Florence, plus hautaine que Naples, ne peut que reconnaître elle aussi, le talent de Van Eyck. Giorgio Vasari, peintre et historien d’art florentin, alla jusqu’à lui attribuer, dans ses « Vies » d’artistes (1550 et 1568), l’invention de la peinture à l’huile, une légende ne reposant sur aucun fait avéré, mais qui l’on tint pour vraie, enjoliva et colporta pendant des siècles.
Ce portrait fait suite, à une distance de près d’un an, au portrait du cardinal Albergati, mais les deux œuvres se distinguent par leur caractère respectivement officiel et privé. Dans le portrait de Bruges, l’épouse de Van Eyck, dirige son regard hors de l’image, cherchant ainsi la confrontation directe avec le spectateur. L’inscription sur le cadre d’origine, qui atteste l’identité de la femme du peintre, ajoute également une note intime : « Mon époux Jan m’a achevée le 17 juin de l’an 1439, mon âge est trente-trois ans ». L’hypothèse selon laquelle Jan van Eyck aurait été marié à une fille de la petite noblesse à l’instigation de Philippe le Bon est étayée par le vêtement distingué de Margareta sur ce portrait, quoique ce genre d’habillement eût tendance à s’imposer dans l’élite bourgeoise. Après le décès de Jan van Eyck, Margareta vécut encore à Bruges pendant une petite dizaine d’années avant de vendre la maison du peintre. Elle dirigea sans doute l’atelier brugeois avec le frère de Jean, Lambert van Eyck, comme cela était d’usage pour les veuves des peintres inscrits dans les guildes.
L’Agneau mystique
Le monumental retable gantois de l’Agneau mystique est l’exemple le plus ancien de la peinture flamande dont la datation soit certaine. C’est en même temps la charnière entre l’œuvre connue de Jan van Eyck – en fait ses œuvres de maturité – et une œuvre de jeunesse totalement inconnue. Selon l’inscription sur l’encadrement, Jan aurait achevé le polyptyque commencé par son frère Hubert (mort en 1426), que l’on présume être l’aîné. Elle mentionne également le donateur, Jodocus Vijd, et, dans un chronogramme, l’année où le retable fut terminé et installé : 1432. Jodocus Vijd, échevin de la ville de Gand et sa femme Elisabeth Borluut auraient commandé le retable pour être installé dans l’église collégiale des deux Saints Jean, devenu plus tard la cathédrale Saint Bavon. Il s’agit d’une œuvre fondamentale de la Renaissance flamande, composée de douze panneaux, avec une iconographie complexe comprenant des figures et des scènes sacrées, de fausses statues en grisaille, des portraits et des paysages.
Lorsque le polyptyque est ouvert, le spectateur se trouve face à un paysage panoramique inouï, inondé de lumière, se déployant sur les cinq panneaux du registre inférieur. Dans un décor où des falaises inhospitalières jouxtent une fertile végétation méridionale et de grasses prairies, le cortège formé par les chevaliers du Christ, les juges intègres, les bienheureux, les saints ermites, les pèlerins, etc., se dirige, des quatre points cardinaux, vers l’Agneau de Dieu. Pour la première fois dans l’histoire de la peinture, lumière et ombre se distinguent l’une de l’autre ; l’artiste a fait usage du principe de la perspective atmosphérique pour donner l’illusion d’une profondeur au paysage et le rendu des nuages est fidèle à la nature. Sur la médiane verticale, dans le bas, coule la Fontaine de Vie décrite par saint Jean dans l’Apocalypse, dont l’eau menace de déborder du cadre du retable : on ne peut guère plus s’imaginer, de nos jours, l’impact que dû avoir un tell illusionnisme sur les contemporains. Le registre supérieur montre, dans le rendu des vêtements, des bijoux et des instruments de musique, un réalisme inconnu à l’époque. Un nouveau langage formel à été utilisé. La « sphère céleste » pèse lourdement sur le « paysage terrestre » paradisiaque : au centre, le groupe de la Déèsis, monumental, flanqué de part et d’autre de chœurs angéliques puis d’ancêtres de l’humanité représentés après la chute – Adam et Eve, nus et presque grandeur nature. Jean van Eyck avait la vision statique des corps. Son Adam et son Eve sont des copies parfaites de modèles dévêtus et au repos. Ils n’ont pas l’allure vivante des formes de Masaccio, qui avait la vision dynamique.
La texture de la matière est rendue avec une beauté surprenante : les cheveux châtains des anges, étroitement serrés par diadèmes d’or aux joyaux multicolores, ondulent librement sur les épaules.
On observe une différence de style sur les panneaux extérieurs : le registre inférieur, celui des donateurs et des saints représentés dans des niches, est tout différent du registre supérieur avec la scène de l’Annonciation, qui prend manifestement place dans une tour. Par ces changements de modes de représentation, qui illustrent aussi des différences hiérarchiques, le polyptyque met en œuvre une composition historiée complexe dont l’interprétation continue de poser de sérieuses difficultés aux spécialistes. Mais celles-ci sont secondaires en comparaison de la question, encore sans réponse à ce jour, de savoir quelles parties de l’ouvrage ont été commencées par Hubert et lesquelles achevées par Jan. Car, bien évidemment il serait d’un intérêt capital, pour comprendre la filiation artistique de Jean, de savoir comme il peignait son frère. Mais il n’existe aucune œuvre, en dehors du retable gantois, que l’on puise attribuer à Hubert. Aucune preuve historique ne vient étayer l’hypothèse pourtant plausible selon laquelle Jan aurait été formé par Hubert ; les frères, que l’on pense originaires de la région mosane, auraient exercé son métier ensemble – peut-être à la cour du prince évêque de Liège – avant que leurs routes ne se séparent.
Jan van Eyck: tableaux sacrés tableaux profanes
La plupart des œuvres que nous connaissons aujourd’hui de Jan van Eyck, principalement des représentations mariales et des portraits, furent exécutées entre 1432 et 1441. Certaines portent encore une date sur le cadre d’origine ainsi que le nom du peintre et parfois sa devise : ALC ICH XAN. Van Eyck est ainsi le premier peintre des Pays-Bas à manifester sa paternité artistique par une inscription. La signature en lettres pseudo grecques témoigne du souci d’érudition et de la fierté personnelle du peintre, mais elle servait peut-être aussi déjà à prouver aux contemporains l’authenticité des tableaux du peintre de la cour ducale. Malgré ces inscriptions, la chronologie de l’œuvre de Jan s’avère extrêmement problématique. Le double portrait daté de 1434, Les Époux Arnolfini, avec son intérieur somptueux qui rappelle des scènes d’Annonciation, ne connaît pas d’équivalent dans la peinture des primitifs flamands. La composition très similaire d’un tableau représentant une femme à sa toilette, que nous connaissons par une copie flamande du XVe siècle, remonte également à Van Eyck. Les deux œuvres donnent une vague idée d’un aspect très mal connu de Van Eyck : ses tableaux profanes, dont la présence dans plusieurs collections italiennes au XVe siècle est attestée. Dans la série de portraits de Van Eyck, on dispose de certains points de repère pour sa chronologie. Ainsi l’Homme au chaperon bleu, le plus ancien portrait de Van Eyck qui nous soit parvenu a très certainement été achevé avant l’Agneau mystique. En 1428 il peint le portrait de l’infante Isabelle. Portrait d’un type nouveau: la princesse est représentée en buste, s’inscrivant dans une fenêtre de pierre sur le rebord de laquelle elle appuie sa main gauche. Le portrait est aujourd’hui perdu, mais l’œuvre nous est connue par la photographie d’un dessin. Le dessin laisse deviner que le fond a été modelé par des effets d’ombre et de lumière pour faire percevoir plus nettement la profondeur de l’espace. Cette formule, le peintre la reprendra plus tard, en 1439, pour faire le portrait de son épouse, Margareta van Eyck.
Un homme d’âge moyen en buste, légèrement tourné vers la gauche, se détache sur un fond sombre. Le gilet de fourrure, porté par-dessus une chemise noire, et le chaperon noué autour de la tête signalent l’appartenance à l’aristocratie. Dans sa main droite, l’homme tient un anneau ; sa main gauche reposait sans doute sur le cadre original du tableau, aujourd’hui perdu. La bague, présentée avec ostentation, ne fait pas référence, comme c’est le cas pour le portrait de l’orfèvre Jan de Leeuw (1436 à Vienne), à la profession du portraituré, mais témoigne de la fonction première du tableau, qui est un portrait de fiançailles. L’exécution de tels portraits faisait partie des tâches du peintre de la cour de Bourgogne.
Le tableau est une copie – en mauvais état – du panneau disparu de Van Eyck. Les analogies avec le célèbre double portrait des Arnolfini sont indubitables. Elles ne concernent pas seulement l’intérieur et la position des figures dans l’espace : des motifs comme le miroir convexe, dressoir, lit, socques et même le chien apparaissant pratiquement au même endroit sur les deux tableaux. Grâce à la description, entre autres, faite par Bartolomeo Fazio (1456) on sait que Van Eyck aurait peint un Bain des femmes appartenant à Ottaviano della Carda.
La Vierge au chanoine Van der Paele, un panneau de grand format, et le Triptyque Giustiniani, qui révèle presque de la miniature, s’ils ont été réalisés quasiment à la même époque, ils obéissent à des conceptions différentes de l’espace et des figures totalement différentes. Cela ne fournit aucune argumentation péremptoire pour la datation d’autres représentations mariales, telles que La Vierge au chancelier Rolin ou La Vierge de Lucques. Et si la date de 1439 est attestée pour La Vierge à la Fontaine, la datation de sa magistrale Vierge dans une église reste discutée. Car le peintre renoue d’une part, avec cette Madone délicatement stylisée, avec l’art de cour franco-flamand du tournant du XVe siècle, mais reproduit d’autre part la structure spatiale complexe d’une cathédrale gothique baignée de lumière.
Lorsqu’il doit représenter deux personnages, comme La Vierge au Chancelier Rolin, Van Eyck les met en face l’un de l’autre, à la même échelle, et ménage comme centre de résistance, un espace vide, où il montre un paysage large et clair, peint avec un pinceau très fin, ce qui montre encore de pratiques de la miniature. Le paysage scintillant, le jardin avec ses fleurs et ses paons, les petits personnages cocasses penchés sur le parapet, les ailes duveteuses de l’ange et la couronne aux fantastiques ciselures rehaussées de joyaux, tout exprime ici une jubilation exubérante, non l’austérité.
Cette Vierge de Lucques, appelée ainsi en raison de sa provenance, est unanimement reconnue comme une œuvre autographe de Jan van Eyck. On ignore la fonction et la destination initiales de cette peinture, peut-être motivée par une commande italienne, mais il pourrait s’agir d’un tableau servant à la dévotion privée ; en choisissant de représenter la Vierge nourrissant son enfant (Maria lactans), Van Eyck s’inspire ici de la légendaire Vierge de Cambrai.
Dans la Vierge dans une église, Van Eyck visualise l’assimilation, fréquente en théologie de la mère de Dieu à l’Ecclesia tout en peignant l’une des représentations d’intérieur parmi les plus ambitieuses et les plus modernes de toute la peinture primitive flamande. Il y autant d’arguments étayant la thèse de l’œuvre de jeunesse que celle de l’œuvre de maturité. La seule constance est la qualité exceptionnelle de la technique, tout le reste – traitement du paysage et de l’espace, volumes et plans, stylisation et réalisme – semblant se soumettre aux visées et à la fonction du tableau et donc résulter en partie de l’intention du peintre. Il se peut que l’Annonciation de Washington ait été la seule œuvre conservée a avoir été exécutée pour Philippe le Bon ; outre par le contenu complexe, cette thèse est également étayée par le fait que ce panneau fut transféré de Dijon à Paris avant 1819, et qu’une description de la chartreuse de Champmol près de Dijon (1791) mentionne dans la chapelle ducale une Annonciation au format vertical. Dès lors, cette œuvre serait le seul exemple encore existant des activités de Van Eyck à la cour.
Alors que les peintres italiens de la perspective représentent des portiques classiques et des édifices aux lignes orthogonales, Jan van Eyck décrit l’intérieur d’une cathédrale gothique à l’architecture plus complexe. La Vierge Marie est disproportionnée par rapport à l’édifice qui l’abrite, mais cette différence de taille ne produit pas un effet dérangeant. Le thème de la Vierge trônant dans le chœur d’une église est repris dans le minuscule et ravissant Triptyque Giustiniani ou Triptyque de Dresde, avec sur les volets saint Michel, présentant un donateur non identifié, et sainte Catherine.
La chronologie des tableaux de la Passion, dont aucun n’est daté, pose problème. À l’exception du polyptyque de L’Agneau mystique et de Sainte Barbe, un dessin tardif sans équivalent dans son œuvre, on reste dans l’incertitude en ce qui concerne la datation du Portement de Croix de Budapest, dont l’original est perdu, ou du panneau Les Trois Marie au tombeau, considérés généralement comme des œuvres de jeunesse. Le postulat selon lequel le petit diptyque couplant une Crucifixion et un Jugement dernier – œuvre dont la paternité et la datation sont controversés – serait une des premières œuvres de Jan van Eyck est dès lors problématique. Des récentes découvertes sur le plan de la technique picturale, attestent qu’il pourrait s’agir d’une des dernières œuvres de Van Eyck et de son atelier, dont Pétrus Christus aurait repris la composition vers 1450, à Bruges, pour une commande espagnole. Les réminiscences – tant au niveau des personnages que du paysage – de la partie interne de l’Agneau mystique ne prouvent pas nécessairement la concomitance des deux œuvres.
Ce tableau qui pose de problèmes de datation est considéré comme une œuvre de jeunesse du peintre, par ses similitudes stylistiques avec l’Agneau mystique. Le tableau montre les trois Maries dans un paisible paysage ; assis sur le cercueil ouvert il y a un ange, qui dit aux femmes que Jésus crucifié a ressuscité d’entre les morts. Les soldats qui auraient dû veiller sur le tombeau se sont endormis. Se reflétant dans la brillante armure de l’un d’eux nous voyons la campagne. À l’horizon est représentée la ville de Jérusalem.
Le fondateur de l’ordre franciscain est agenouillé devant l’apparition d’un crucifix ailé, les stigmates apparaissent déjà sur ses mains et ses pieds tandis que la plaie au côté reste invisible. À droite du saint, son confrère Léo s’est endormi, assis devant une masse rocheuse d’où jaillit une source. À l’arrière-plan, au centre, on distingue une ville au bord d’un fleuve ; sur la gauche s’élève un paysage de collines qui s’étend jusqu’au premier plan du tableau. La composition de Van Eyck est sans doute la première représentation de ce sujet dans la peinture des Pays-Bas, sans aucun lien avec la tradition picturale italienne initiée par Giotto, très populaire en Europe méridionale. Des emprunts de motifs, présupposant une bonne connaissance de la composition eyckienne et témoignant du formidable impact de la peinture flamande sur les artistes italiens, se retrouvent dans les années 1470 à Florence dans les paysages en arrière-plan des tableaux de Verrocchio, Botticelli et Filippino Lippi ainsi que dans l’œuvre du peintre vénitien Giovanni Bellini.
Le père de l’Église, un lion – son attribut – à ses pieds, lit assis à une table sur laquelle se trouvent des instruments d’écriture, un sablier et une lettre. Le cabinet su savant est fermé à l’arrière par un placard protégé par une tenture bleue. Sur les étagères, on aperçoit des livres, des documents, ainsi qu’un astrolabe et d’autres objets. La lettre posée devant le saint est adressée au cardinal titulaire de Santa Croce in Gerusaleme de Rome, de sorte que saint Jérôme pourrait être un portrait de Niccolò Albergati : effectivement, l’astrolabe indique la date de la paix d’Arras, à laquelle contribua le légat pontifical. Cette référence au cardinal, qui fut sans doute le premier propriétaire du tableau, incite à penser que l’œuvre ne fait qu’un avec le saint Jérôme de Van Eyck mentionné dans l’inventaire de Laurent de Médicis en 1492. Elle a dû arriver à Florence avant 1480, date à laquelle Ghirlandaio et Botticelli (Saint Augustin dans son cabinet d’études de 1480), réalisèrent leurs fresques d’Ognissanti inspirées de cette composition du même sujet.
Le réalisme eyckien
Considéré comme le créateur d’une nouvelle manière de peindre, Jan van Eyck est l’héritier du Maître de Flémalle et peut-être aussi de son frère Hubert van Eyck. Le réalisme de Van Eyck est très différent de celui de Robert Campin : il est plus raffiné, et en même temps plus savant. Son approche de la réalité s’appuie d’abord sur une lumière subtile et génératrice d’une perception de l’espace. Son coloris est fondé sur des harmonies précieuses. Van Eyck abandonne le gothique international élégant et compliqué. Ses recherches le conduisent à construire des espaces rigoureux, des formes fermes et à accumuler des détails pittoresques délicieusement observés. Initiateur d’une nouvelle approche de la réalité, il est, en tout cas, resté étranger aux nouveautés introduites en Italie au XIVe siècle. Les espaces peints ne sont pas l’application rationnelle d’un système de perspective mathématique comme se pratique en Italie, mais sont le fruit de recherches et d’observations empiriques. La profondeur est davantage suggérée par une perspective atmosphérique, préférant la modification des couleurs, passant des tons soutenus à l’avant-plan, à des tons légers, presque transparents à l’arrière-plan. Jan van Eyck peint avec précision chaque détail, il joue avec les reflets et l’intensité lumineuse. La nouvelle utilisation de la peinture à l’huile permet d’obtenir des modelés délicats, des couleurs éclatantes et des atmosphères lumineuses. Ayant perfectionné cette technique, il l’applique d’une manière méthodique. C’est la parfaite maîtrise des moyens techniques qui permet au peintre de rendre avec précision les matières comme la fourrure, les différents tissus, les brocarts, les bijoux. Ses portraits occupent une place importante : non seulement des portraits de donateurs dans les compositions religieuses mais aussi des portraits isolés. Ici, les détails anecdotiques disparaissent pour permettre à l’artiste de saisir la psychologie de son modèle.
La fenêtre es ouverte sur un jardin d’où jaillit la lumière qui éclaire la scène; des fruits sont déposés sur une table basse. Jan van Eyck non seulement réussit, entre les formes, l’espace, la lumière et la couleur, une harmonie que lui-même ne surpassera jamais, mail il démontre comment le principe du symbolisme déguisé peut abolir les frontières entre le portrait et la scène narrative, entre l’art sacré et l’art profane.
Œuvres d’atelier
L’organisation et les méthodes de travail de l’atelier de Jan van Eyck, ne devaient guère se différencier de celles d’autres ateliers. Comme ailleurs, on y avait constitué une réserve d’anciens dessins et modèles, que l’on pouvait réutiliser et à laquelle eurent probablement accès d’autres peintres brugeois, en tout cas après la dissolution de l’atelier. Ce recours par l’atelier de Van Eyck à d’anciens modèles est évident dans le cas de la Vierge au chartreux, qui fut achevée dans l’atelier de Bruges en 1442-1443, après la mort du maître. On s’était rendu compte depuis longtemps que cette œuvre était un pastiche de motifs eyckiens. La Fontaine de vie de Madrid, peinte vers le milieu du XVe siècle, probablement sur commande du roi de Castille, puis transportée en Espagne, où elle fut abondamment copiée, s’avère être l’œuvre d’un collaborateur d’atelier. Ce peintre puisa entre autres dans l’abondante réserve de dessins préparatoires que son défunt maître avait dessinés en préparation de l’Agneau mystique pour produire une œuvre personnelle de haute qualité. On sait aujourd’hui que certaines miniatures que l’on croyait eyckiennes sont en réalité de la main de collaborateurs ou de successeurs qui, tout comme cela se faisait pour la peinture sur panneau, se sont basées sur des dessins existants du maître. La magnifique Crucifixion du manuscrit du Livre d’Heures de Turin-Milan, par exemple, repose sur la même composition – dont l’original est perdu – qu’un tableau d’un assistant de l’atelier copié encore au XVe siècle par un peintre de Padoue. Les miniatures du Livre d’Heures de Turin jouèrent un rôle essentiel dans les études consacrés à l’atelier brugeois des Van Eyck et de leurs successeurs.
Vierge debout avec sainte Barbe et sainte Élisabeth de Thuringe, et vénérée par Jan Vos, prieur de la chartreuse de Genadel, près de Bruges. Dans ce tableau de conception grandiose, l’immobilité des figures contraste avec la lancée des arcs espacés, qui mettent en valeur, sans le limiter, un vaste paysage.
Il y a une subtile disharmonie dans les proportions de l’architecture. Toutes les surfaces, surtout les visages, pareils à de la porcelaine, sont trop lisses. La triple couronne portée par sainte Élisabeth n’a pas la même finesse scintillante que les autres travaux d’orfèvrerie eyckiens. La moitié droite du paysage reproduit d’une façon un peu mécanique un certain nombre de détails empruntés à la Vierge au chancelier Rolin.
Devant l’imposante vue de Jérusalem, dont les vastes murailles fortifiées, le temple et les maisons occupent le plan central de la composition, Marie et l’Évangéliste entourent le Christ mort sur la Croix. Un peu plus loin, on distingue sur la gauche des femmes éplorées, tandis qu’à droite des cavaliers s’apprêtent à quitter le mont Golgotha. Le coloris, le foisonnement des détails et la qualité de l’exécution semblent confirmer qu’il s’agit de l’œuvre d’un peintre flamand ayant travaillé dans l’atelier de Jan van Eyck et qui avait accès aux modèles du maître.
L’œuvre, citée explicitement comme tableau flamand dans l’acte de donation, avait été offerte au monastère de Nuestra Señora del Parral (Ségovie) par le roi Enrique IV de Castille. La Fontaine de vie est, avec le Triptyque de la Vierge de Van der Weyden offert par Jean II de Castille à la chartreuse de Miraflores, l’un des premiers tableaux flamands dont la présence en Castille est avérée.
Après la mort de Jan van Eyck en 1441, l’atelier, qui ne comptait possiblement qu’un nombre restreint de peintres, poursuivit manifestement ses activités pendant quelques années. Il est probable qu’il ne fut définitivement dissous que vers le milieu des années 1450, quand la veuve de Jan van Eyck, Margareta, vendit sa demeure brugeoise et quitta la ville. Qu’est-il advenu des assistants et de Lambert van Eyck ? Ils ont sans doute rejoint d’autres ateliers à Bruges ou dans des villes voisines, à moins qu’ils ne se soient expatriés. La renommée de Jan van Eyck s’était déjà répandue en Europe à l’époque et ses œuvres étaient recherchées.