Ercole de’ Roberti (Ferrare vers 1456 – 1496)
Troisième des grands peintres ferrarais du XVe siècle, l’activité d’Ercole de’ Roberti se mêle à celle de Francesco del Cossa à Bologne où il fut un remarquable assistant de ce dernier dans des fresques et des œuvres sur bois. De’ Roberti provenait lui aussi de Ferrare où il avait reçu sa première formation et où il avait très probablement travaillé aux côtés de Cossa dans le Salon de Schifanoia.
Nous ne connaissons pas sa date exacte de naissance. Un acte du 13 novembre 1476 cite « Hercules de Roberti, peintre du quartier de la Sainte Croix ». Dans une lettre adressée au duc le 19 mars 1491, Ercole de’ Roberti dit « la moitié de ma vie s’en va ». D’où l’idée, tout à fait pertinente du point de vue critique, de situer la naissance du peintre autour de 1456, à un ou deux ans près. Dès les années soixante-dix, avec la réalisation de la prédelle du polyptyque pour Floriano Griffoni et du retable pour les Canonici Lateranensi de San Lazzaro à Ferrare (détruit à Berlin en 1945), Ercole de’ Roberti s’était affirmé comme l' »alternative » la plus originale à Cosmè Tura, capable d’utiliser le lexique du maître en le déclinant dans un registre plus serein et lumineux. Entre 1477 et 1486 prennent place les fresques (détruites) de la chapelle Garganelli à San Pietro de Bologne où Ercole propose une relecture formelle des œuvres de Mantegna, relecture qui se traduit par un enchaînement expressif sensiblement différent de celui qui occupait le vieux Tura au cours de ces années. Grâce à Ercole, quelque chose d’important se précise entre Bologne et Ferrare ; il n’y a rien d’équivalent pendant ces dix années aux fresques de San Pietro, au moins à en juger par l’écho qui en est parvenu. Le déférent enthousiasme marqué par Vasari est certainement inspiré par Michel-Ange, qui passa plusieurs mois de 1494 à Bologne et avait déclaré que l’ouvrage d’Ercole de’ Roberti valait « une moitié de Rome ». Par Bologne, l’art ferrarais va entrer en communication avec d’autres centres, en particulier avec la peinture florentine ; l’un de ceux à qui l’on doit attribuer un rôle dans ces nouvelles alliances est Lorenzo Costa, l’une des dernières étoiles de la peinture ferraraise.
Après avoir rejoint Cossa à Bologne, Ercole dû s’occuper de terminer la prédelle et les pilastres du polyptyque Griffoni à San Petronio. « En complétant le polyptyque Griffoni, Ercole eut l’élégance de rendre hommage à l’esprit ancien et de céder sur quelques détails pour ne pas détruire l’unité de l’œuvre commencée par Cossa ; ainsi le paysage de la prédelle paraît rétrograde en regard des lointains évanescents de la pala berlinoise (retable Lateranensi détruit à Berlin en 1945) et il s’accorde très bien avec le fond imaginé par Cossa dans les grands panneaux ».
La participation d’Ercole de Roberti à la réalisation du retable est attestée par Lamo (1560) et Vasari (1550-1560). L’ensemble de la prédelle illustre les miracles du saint et représente successivement la guérison de la femme estropiée, la résurrection d’une juive, l’extinction de l’incendie, le sauvetage d’un garçon en danger et la résurrection de l’enfant tué par sa mère enceinte et devenue folle.
Ces deux panneaux étaient placés à l’origine dans deux des douze niches situées entre les piliers latéraux du grandiose « Polyptyque Griffoni ». C’est Longhi qui eut l’intuition d’attribuer ces œuvres au Polyptyque de la famille Griffoni après les avoir observées dans le cadre de l’exposition sur la peinture ferraraise de la Renaissance organisée à Ferrare en 1933. En raison des influences de Cosmè Tura – reconnaissables dans le ton aristocratique des figures -, mais aussi de Mantegna et de Giovanni Bellini.
Ces deux médaillons se trouvaient entre les deux compartiments latéraux du Polyptique Griffoni avaient été attribués à Cosmè Tura ou à un maître bolonais disciple de Marco Zoppo. En 1934, Roberto Longhi pressentit le lien qui rattachait les deux médaillons au Polyptyque Griffoni et proposa don de l’attribuer à Cossa, attribution confirmée par une grande partie de la critique. Plus récemment, Benati et « compte tenu du rendu minutieux, presque minéral du drapé de l’ange, mais aussi d’une syntaxe moins monumentale que celle de Cossa » a attribué ces deux médaillons à une intervention d’Ercole de’ Roberti dans le cadre du Polyptyque Griffoni.
Cette petite peinture sur bois a été attribuée par Longhi à Roberti et la critique la situe presque unanimement à la période où le maître exécutait les fresques de la chapelle Garganelli à Bologne (aujourd’hui détruites). Saint Michel archange est représenté ici avec ses attributs de chef de la milice céleste, c’est-à-dire avec son armure et son bouclier. Il est le patron des chevaliers et des métiers liés aux armes.
Le retable de Ravenne
Avec Ercole, la peinture à Ferrare s’oriente vers « l’italianisation du style », sans renoncer pour autant à la qualité d’invention et à l’apport de l’imagination ; Ercole de’ Roberti avait saisi les possibilités nouvelles avec une force imaginative supérieure à celle des Vénitiens, en particulier dans la « pala » exécutée pour Santa Maria in Porto à Ravenne, où la grande sainte en rouge à gauche, située sur la plate-forme du trône, se découpe sur le ciel avec une autorité nouvelle. Dans ce retable sous un pavillon inspiré de Bellini un tabernacle monumental autour duquel s’amassent les figures des saints, douces et résignées, une lumière dorée effleure l’architecture et les personnages, tandis que sur le fond, la ville semble sombrer dans la mer en tempête. L’apport vénitien est assimilé par le peintre avec une finesse et une élégance qui le rapprochent du Pérugin, de Francesco Francia et de Lorenzo Costa. Ainsi, « vers 1480, l’art ferrarais parvint grâce à Ercole à s’unir à ce tournant italien fondamental, qui avait accompli une première unité nationale – un premier accord entre Nord, Centre et Sud – dans l’entrevue d’Antonello da Messina et de Giovanni Bellini sur la base des « modules synthétiques » de Piero della Francesca » (R. Longhi). Rarement un peintre exploita autant ses propres trouvailles et les données d’un genre. Cette œuvre témoigne de l’importance toute particulière de la « pala » dans le milieu ferrarais au cours des années 1475-1485.
Cette vaste composition est une « Sacra Conversazione ». La Vierge et l’Enfant apparaissent sur un trône entre sainte Anne, mère de Marie, et sainte Elisabeth, mère de saint Jean-Baptiste. Les personnages sont placés devant un « tempietto » à baldaquin, orné de panneaux représentant diverses scènes évangéliques se rapportant à l’enfance du Christ. À gauche, entièrement vêtue de rouge, sainte Anne offre à l’Enfant Jésus un chardonneret (symbole de la Passion) tandis qu’à droite, sainte Élisabeth est agenouillée. En dessous, on peut voir à gauche l’évêque saint Augustin, le plus grand théologien de l’Église catholique ; à droite, le bienheureux Pietro degli Onesti, dit le pécheur.
Au centre, un bloc octogonal particulièrement original, avec une plate-forme soutenue par des colonnettes dont le nœud coïncide avec la ligne d’horizon du paysage étiré, laisse entrevoir des villes foisonnantes d’édifices aux multiples tours et de clochers d’églises. Un pont sur la rivière relie la ville à une sorte de forteresse. Le paysage est inséré, à mi-hauteur, entre le plateau du trône et la base massive où chaque pan représente une scène directement empruntée au répertoire des prédelles, avec de gauche à droite, le « Massacre des Innocents », l' »Adoration des Mages » et la « Présentation au Temple ».
Ce panneau fut peint par Ercole de’ Roberti pour l’église de Santa Maria in Porto de Ravenne, et qui demeure à ce jour, la seule œuvre documentée de l’artiste. Comme dans le retable de Brera (Vierge à l’Enfant avec des saints) de Piero della Francesca, Ercole de’ Roberti atteint ici la maturité de son langage pictural, qui atténue le caractère « tourmenté » typiquement ferrarais de ses premières œuvres. L’extraordinaire force expressive de cette peinture est concentrée dans la figure intense et frêle de saint Jean-Baptiste qui se dresse, isolée et monumentale, sur un éperon rocheux et se découpe sur l’arrière-plan marin délimité à l’horizon par une crête rocheuse.
Avec plus de légèreté, la même qualité de lumière caractérise les Portraits de Giovanni et de Ginevra Bentivoglio de Washington et celui présumé de leur fils Annibale, encore enfant (Collection particulière). Cette manière de représenter les choses, à la fois sereine et imaginative, qu’adopteront plusieurs artistes (dont une personnalité importante, l’anonyme « Vicino da Ferrara »), correspondait bien au nouveau cours de l’histoire de Ferrare où Ercole d’Este, qui était enfin monté sur le trône après la mort de son demi-frère (1470), remettait en question les alliances traditionnelles et instaurait un cérémonial dévot, apposé au cérémonial d’inspiration impériale voulu par Borso.
Au milieu du XVe siècle, la famille Bentivoglio conquiert le pouvoir à Bologne avec Sante (1445-1462) et Giovanni II (1462-1506). Cette période est l’une des plus florissantes de la ville, avec la présence de célèbres architectes et peintres dans ses murs, qui transforment Bologne en une véritable ville italienne de la Renaissance. Le règne de Giovanni II se finit en 1506 lorsque les troupes papales de Jules II assiègent et pillent la ville. Ce double portrait figurant Giovanni II et sa femme Ginevra Sforza, fut exécuté par Ercole de’ Roberti vers 1480 et il s’inspire du célèbre double portrait des ducs d’Urbino, Federico de Montefeltro et Battista Sforza, réalisé par Piero della Francesca avant 1472. C’est sans aucun doute le plus beau portrait en diptyque de tout le XVe siècle italien après celui de Piero. Ercole adopte pour le profil un fond sobre, habitude prédominante à Ferrare depuis les célèbres exemples du gothique « courtois » (portrait de Leonello d’Este par Pisanello).
Ce petit tableau est peint sur les deux faces : au recto, on reconnaît sur de fond bleu un buste de jeune homme de profil, vêtu d’une veste rouge et d’une tunique noire ; le verso présente en revanche l’esquisse « sur l’arrêt de blanc de céruse voilé d’ambre » (Longhi 1934) d’un buste féminin peint de profil. Il est probable que le peintre a commencé l’œuvre en peignant le portrait féminin sur l’une des faces du panneau, qui demeura cependant inachevé. Il sera intervenu sur l’autre face du panneau dans un deuxième temps pour y peindre le profil masculin.
Placée dans l’église des Carmélites consacrée à saint Jérôme, cette grande toile présente un cadre architectural solide qui contribue à exalter la valeur plastique des figures et leur conférer de la puissance, ce qui rappelle la facture de certaines images votives, telle la fresque de « Sainte Marie Madeleine » de Piero della Francesca à Arezzo. L’artiste Vicino de Ferrara nom donné par Longhi à un maître anonyme et qui signifie littéralement « Proche de Ferrara », fait preuve d’un technique particulièrement sophistiquée : il utilise habilement les pigments sur la toile à fin d’obtenir de magnifiques effets de luminosité.
Ercole de’Roberti, peintre de cour à Ferrare
L’élégante simplicité de la Dernière Cène d’Ercole de’Roberti traduit l’esprit des manifestations spectaculaires, au cours desquelles le nouveau marquis Ercole d’Este, instaurant un cérémonial dévot, lavait les pieds des pauvres de la ville et leur donnait à manger dans son palais (Jeudi saint). L’époque d’Ercole d’Este correspond à un déclin graduel du modèle humaniste et à la remise en vigueur de coutumes qui semblaient destinées à disparaître : au moment de son départ pour un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle en 1487 (qu’il interrompra d’ailleurs à Milan), le marquis se fit représenter en grand appareil sur un des murs de Belfiore, entre l’image de l’Éléphant offert par les marchands de Chypre et des scènes de chasse aux panthères et aux canards. En 1486 Roberti est rentré à Ferrare où il dévient peintre de cour pour Ercole I d’Este et il y reste jusqu’à sa mort en 1496. De cette période datent nombre de travaux éphémères comme des chars de triomphe et des fanions. Il avait également décoré pour Isabelle et Beatrice d’Este ses coffres de mariage. Il a réalisé nombre de travaux séculaires comme le cycle de fresques (aujourd’hui détruites) pour la villa Belriguardo. Le petit tableau La femme d’Hasdrubal et ses Enfants date probablement de cette période, bien que presque tous ses travaux de cette époque soient de petites compositions religieuses. Dans la Récolte de la manne au désert par les Israélites vers 1490, (Londres, National Gallery) qui faisait probablement partie d’une prédelle, Roberti reprend le mystérieux paysage désolé de la prédelle du polyptyque Griffoni, tandis que dans les figures, les motifs paisibles, les attitudes recueillies prouvent une puissance d’assimilation des peintures de Venise et même d’Antonello da Messine. La première période de l’école de Ferrare se conclut avec Ercole de’ Roberti ; les artistes de la nouvelle génération subirent son influence non seulement à Ferrare, mais également dans les autres centres de l’Emilie.
Tableau appartenant à la dernière phase du maître, lorsqu’il travaillait à la cour sous les yeux d’Ercole I et de son fils, le jeune Alfonso. La noble simplicité de l’architecture, et aussi la délicatesse d’une lumière presque d’intérieur qui tombe obliquement sur les pilastres et le mur du fond, ainsi que les acteurs de drame sacré avec leurs allures de platoniciens inquiets et décadents, il s’agit peut-être de la méditation la plus profonde sur la Cène avant Léonard » (R. Longhi).
Général carthaginois (146 av.J-C.), Hasdrubal soutint un long siège dans Carthage. S’étant retranché dans un temple, il s’y défendit longtemps, mais quand il se vit sans espoir, il s’évada et alla se rendre à Scipion, général romain. Sa femme, indignée de sa trahison, égorgea ses enfants à ses yeux, puis se précipita dans les flammes.Ce tableau qui fut attribué par Venturi (1856-1941) à Mainieri, montre « par ces mouvements précieux et déliés qui appartiennent au seul Ercole » (R. Longhi).
Ce petit panneau faisait partie d’un « cassone » (coffre nuptial destiné à contenir le trousseau de mariage). La scène illustre l’un des épisodes de l’histoire des Argonautes dans les « Métamorphoses » d’Ovide. Les Argonautes étaient des héros grecs qui, sous la conduite de Jason, allèrent au pays fabuleux de Colchide conquérir la Toison d’Or. Le panneau présente le bateau « Argos », avec les protagonistes de l’histoire abandonnant la terre ferme. Le peintre utilise des couleurs chaudes pour souligner les élégants et sophistiqués habits de ses petits personnages.