Luca Signorelli
Luca Signorelli (Cortone vers 1445-1523), fils du peintre Egidio di Ventura Signorelli, le jeune Luca fait son apprentissage auprès de Piero della Francesca à Urbino. Sans doute a-t-il également recueillit les conseils du Florentin Andrea del Verrocchio, dans l’atelier duquel passèrent Léonard de Vinci, Sandro Botticelli, Domenico Ghirlandaio, Lorenzo di Credi et Pietro Perugino. C’est en tant qu’assistant du Pérugin que Luca Signorelli réalise à la chapelle Sixtine sa première œuvre attestée, Testament et mort de Moïse.
Entre cette fresque peinte vers 1482 et une Immaculée Conception conçue en 1523 s’est déroulée pendant quarante années une carrière des plus fécondes : ponctuée de nombreuses commandes émanant à la fois de confréries et de particuliers aussi illustres que les Vitelli, les Della Rovere ou les Médicis, elle a conduit l’artiste de Rome à Cortone, de Città di Castello à Florence ou de Sienne à Orvieto. C’est là, dans la cathédrale de cette ville, dans la Cappella Nova, qu’il exécute entre 1499 et 1504 son cycle de fresques le plus célèbre, consacré au Jugement dernier. C’est là qu’il témoigne d’une grande invention spatiale et formelle, d’une extraordinaire maîtrise technique, d’une puissance du modelé des corps soumis à des torsions et à des raccourcis saisissants. Aujourd’hui restaurée, la Cappella Nova révèle au mieux la force créatrice de Luca Signorelli.
Luca Signorelli comprenait que l’exemple de Piero della Francesca et la culture pleine de variété d’Urbino lui fournissent l’occasion de se livrer à des créations dénuées de préjugés, à une rhétorique efficace, voire à des trouvailles théâtrales. Et c’est en effet une impression théâtrale que produit la décoration de la Sacristie de la Cure à laquelle Signorelli travailla entre 1477 et 1480. Les influences stylistiques sont nombreuses et rappellent Bramante, le Pérugin, le Verrocchio, mais l’ensemble de la représentation est animé par une incroyable emphase dramatique ouvertement théâtrale.
Luca Signorelli et le cycle de Monteoliveto
Le cycle de fresques représentant des Épisodes de la vie de saint Benoît qui se trouve dans le cloître de Monteoliveto Maggiore s’agit d’un groupe de dix épisodes que Signorelli, aidé par son atelier, réalisa entre 1497 et 1498, presque tout de suite avant les fresques d’Orvieto. Le peintre fut appelé à Monteoliveto par l’abbé des Olivétains, fra Domenico Airoldi, lequel, lorsqu’en 1505 il fut réélu supérieur du monastère, confia à Giovanni Antonio Bazzi dit Sodoma le soin d’achever le cycle. Les parties les plus extraordinaires de ce cycle sont les moins combles de personnages, ou encore certains détails naturalistes. Comme pour exemple l’épisode qui se trouve à l’arrière-plan du Saint Benoît évangélisant les habitants de Montecassino et représente une kyrielle de moines occupés à abattre les idoles, dans un intérieur dont la perspective précise rappelle Piero della Francesca. Le chef d’œuvre de la série est le célèbre épisode des deux moines qui, ayant pris un repas hors du monastère, seront reconnus par saint Benoît et subiront les reproches de celui-ci pour avoir enfreint la règle. Dans cette scène Luca Signorelli donne libre cours à son extraordinaire veine de réalisme descriptif.
L’intérieur de l’auberge où les deux moines, servis par de belles domestiques, consomment leur repas interdit avec une satisfaction évidente, est décrit avec une précision et en même temps une poésie dignes d’un grand peintre. C’est une vraie cuisine italienne, vaste et sombre, avec sa porte entrouverte sur la chaleur de l’été et la silhouette d’un jeune homme oisif qui se détache dans la lumière entre les battants mi-clos.
Les servantes, non dénuées d’une coquetterie rustique, l’enfant qui tient un récipient et avance à petits pas afin de ne pas le renverser, les femmes à l’arrière-plan qui vaquent à leurs occupations, sont des épisodes d’un réalisme remarquable qui n’a guère d’égal dans la peinture italienne de cette époque.
Giorgio Vasari dans les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes fait l’éloge de Signorelli avec ces mots: » Par sa science du dessin et en particulier des nus, par sa virtuosité dans l’invention et la composition, c’est lui qui ouvrit à la plupart des artistes la voie de la perfection suprême. » Le style de Signorelli est le fruit de méditations sérieuses sur les deux grandes composantes de l’art de l’Italie centrale du XVe siècle, le dynamisme florentin des contours et les doux effets de profondeur lumineux de Piero della Francesca. Les fresques d’Orvieto, dans l’exaltation des volumes et de l’énergie du corps humain, à l’intérieur de compositions sévèrement dramatiques, représentent un précédent capital pour la peinture de Michel-Ange.
Les fresques de la Chapelle de San Brizio à Orvieto
C’est à Orvieto, le plus grand exploit de Luca Signorelli, l’œuvre qui lui vaudra la célébrité dans le monde entier. L’enduit des épisodes du grand cloître de Monteolivetto était encore humide que déjà, le 5 avril 1499, Luca signait avec l’œuvre de la Cathédrale le contrat pour l’achèvement des deux voûtes de la Chapelle de San Brizio, une vaste chapelle gothique construite vers 1408. Luca devait porter à terme l’ouvrage laissé inachevé par Fra Angelico aidé de Benozzo Gozzoli vers 1447. La décoration fut donc projetée et menée à bien par Signorelli de 1499 à 1502, en trois ans à peine, une performance qui n’a pratiquement pas d’égal dans l’histoire de l’art italien. Les sources littéraires auxquelles puisa Signorelli pour ses scènes de fin du monde furent probablement, outre l’Évangile, l’Apocalypse de saint Jean et la Légende Dorée, le livre des Révélations de sainte Brigide, imprimé en 1492 à Lubeck, ainsi que probablement de gravures allemandes, comme celles de l’Apocalypse de Dürer. Il est fort probable que l’on trouve dans la Prédication de l’Antéchrist une allusion à Savonarole, le moine dominicain qui fut pendu et brûlé à Florence le 23 mai 1498. L’identification de Savonarole avec l’Antéchrist est plausible dans une ville “papale“ comme l’était Orvieto et venant d’un peintre qui, comme Signorelli, avait été le protégé des Médicis et se considérait en quelque sorte comme politiquement persécuté par le gouvernement démocratique florentin.
Dans cette scène, Signorelli a saisi et représenté l’atmosphère sinistre et étonnante qui émane des prophéties évangéliques. Devant un paysage immense et désolé, dominé sur la droite par un édifice classique de dimensions insolites et à la perspective déformée, le faux prophète porte dans le monde son œuvre de mensonge et de dévastation. Les personnages qui l’entourent et ont accumulé des dons au pied de son piédestal sont visiblement déjà corrompus par les iniquités dont parle l’Évangile.
Nous voyons en effet en partant de la gauche, la description d’un atroce massacre, puis une jeune femme recevant des mains d’un vieux marchand l’argent pour lequel elle s’est prostituée, et encore des hommes représentés dans des attitudes d’insolente arrogance. À l’arrière-plan de la Prédication ont lieu des horreurs et des prodiges. Sur la gauche, au second plan, l’on voit l’Antéchrist tombant du ciel, abattu par l’Ange, et ses disciples mis en déroute et exterminés par la colère divine. Signorelli lui-même se rendit sans doute compte qu’au moins quant à l’originalité et à l’évocation fantastique, cette scène constituait le chef-d’œuvre du cycle tout entier, puisqu’il se représenta à gauche au bord de la composition, aux côtés d’un moine (dont la tradition veut que se soit Fra Angelico). Coiffé d’un béret et vêtu d’un manteau noir, comme il sied à un peintre de son rang, Luca Signorelli nous apparaît comme un homme de cinquante ans à la splendide prestance, exactement comme Vasari le décrit.
Le peintre devait mettre à profit, pour sa description de l’Apocalypse, l’espace réduit qui s’offrait à lui des deux côtés du portail d’entrée de la chapelle, et il fut obligé de diviser l’épisode en deux groupes narratifs. À droite son représentés les premiers symptômes de l’Apocalypse. Les astres pâlissent, des incendies et des tremblements de terre dévastent la terre, des guerres et des homicides se multiplient partout. Dans le ciel désormais sombre voltigent des démons, semblables à de monstrueuses chauves-souris, qui criblent la terre de dards de feu, et les derniers survivants tombent les uns sur les autres comme des mannequins désarticulés.
Ensuite dans les trois grands épisodes, la Résurrection de la chair, les Damnés et les Élus, et deux plus petits, qui représentent le Paradis et l’Enfer, Signorelli a donné libre cours à ses trouvailles les plus extraordinaires, et lui valent aujourd’hui encore une place de tout premier plan dans notre monde figuratif. En dépit de ses représentations sans nul doute alambiquées et de ses expédients purement rhétoriques et de son goût pour les astuces théâtrales, il faut pourtant reconnaître que jamais auparavant on n’avait assisté dans la peinture italienne a un déploiement aussi inoubliable de trouvailles figuratives. Dans les fresques d’Orvieto, il faut en isoler les détails pour comprendre tout le génie de créateur et d’illustrateur de Signorelli. Michel-Ange pourrait avoir vu dans la Chapelle de San Brizio un précédent iconographique utile et aussi, pour une certaine partie, un éventail de trouvailles aussi rares qu’étonnantes.
Reprenant une idée déjà mise à profit par Pinturicchio dans l’Appartement Borgia à Rome (1494), Signorelli paracheva les fresques de la chapelle par un haut socle à la base des murs, orné de grotesques, de bustes de philosophes et de poètes, et de camaïeux illustrant la vie de ceux-ci. Il est possible que les bustes des philosophes et des poètes soient des symboles de la raison et de la moralité, les seuls instruments dont l’homme dispose pour gouverner l’animalité tumultueuse de sa nature et accéder aux plus hautes sphères de l’esprit. Loin d’utiliser le répertoire décoratif jusque-là connu, Signorelli déploie toute sa fantaisie dans les grotesques, avec bonheur et une admirable aisance qui n’a d’égal que les réalisations de Filippino Lippi, dans la Chapelle Strozzi de Santa Maria Novella à Florence.
Sandro Botticelli, peintre florentin
Sandro Botticelli né à Florence en 1445 où il meurt en 1510, – à l’écart et dans le silence – écrit Vasari. Vers 1464, il entre dans l’atelier de Filippo Lippi et probablement en 1470 il ouvre son propre atelier. Il peint, pour le tribunal de Commerce, sa première œuvre importante « La Force ». En 1478 environ, il peint pour la villa des Médicis de Castello ces deux célèbres tableaux Le Printemps et La Naissance de Vénus, tous deux inspirés par ce milieu florentin où l’humanisme tend vers des images symboliques et où domine la personnalité du philosophe Marsile Ficin. Au mois de septembre de 1481, Botticelli est appelé à Rome par le pape Sixte IV pour peindre des scènes de l’Ancien Testament à la Chapelle Sixtine, en même temps que Rosselli, Ghirlandaio et le Pérugin. De retour à Florence, il réalise plusieurs prestigieux tableaux de commande ; en 1486 il exécute les fresques pour la Villa Lemmi. L’hypothèse qui ferait de lui un proche de Savonarole n’est pas étayée. Il est néanmoins certain que les prédications du moine eurent une influence profonde sur ses sentiments religieux dont l’écho se perçoit clairement dans ses dernières œuvres.
L’introduction d’un jeune homme, peut-être Lorenzo di Pierfrancesco de Médicis, dans le cercle des Sept Arts figurés comme des Muses (un seul attribut, le scorpion de la Dialectique, les distingue), est représenté conformément à l’esprit des néoplatoniciens comme un acte solennel d’initiation accompli sous le patronage de Vénus.
Cette vigoureuse figure du Saint Augustin où l’on discerne l’influence d’Andrea del Castagno, fut peinte à la demande de la famille Vespucci (dont le blason est placé au centre de l’architrave), très liée elle aussi aux Médicis. Puisque cette figure constitue le pendant du Saint Jérôme peint par Ghirlandaio en 1480, elle peut être datée de la même année. L’énergie plastique d’Andrea est cependant canalisée par Botticelli dans un sentiment inquiet et conscient au même temps. Sur l’étagère, une horloge indique la première heure après le coucher du soleil. Sur la page du traité de géométrie, deux vers tournent en dérision l’escapade d’un moine inconnu. Ces lignes nous font imaginer Botticelli comme un homme ayant de l’humour « aimant jouer des tours » comme nous l’apprend Vasari.
Sandro Botticelli et les fresques de la Sixtine
En 1481, Botticelli est appelé à Rome pour réaliser les épisodes de la Vie de Moïse et du Christ dans la Chapelle Sixtine. Cela pour le compte du pape Sixte IV, l’adversaire de Laurent de Médicis avec qui le pontife s’était probablement réconcilié, puisque tant de peintres florentins, dot celui que nous pouvons appeler l’interprète officiel du mécénat médicéen, purent partir pour Rome. Il reste trois grandes fresques sur les murs de la chapelle papale, fruits du labeur de Botticelli. Elles représentent les Épreuves de Moïse, les Épreuves du Christ et Le Châtiment des Rebelles. À Rome, Botticelli prend conscience de l’importance tant symbolique que spatiale de l’architecture romaine antique, à laquelle aura recours, à partir de cette date, chaque fois que les exigences iconographiques de ses peintures requerront un contexte d’imposante solennité. L’Arc de Constantin, représenté dans le fresque Le Châtiment des Rebelles, est l’exemple le plus frappant, mais sans doute a-t-il également décrit sur la même fresque, le Septizonium, édifice célèbre de l’époque de Septime Sévère, qui existait encore en 1481. À la limpidité de la construction spatiale, rythmée par l’architecture, fait contrepoint l’agitation dramatique des personnages qui ont osé se rebeller contre l’autorité établie. Le sens politique de la scène est clair: ceux qui se sont rebellés contre l’autorité de Moïse dans l’Ancien Testament, ceux de la Papauté à l’époque contemporaine. Cependant, dans ces milieux romains, avec thèmes et dimensions si différentes de ceux auxquels il était habitué – Botticelli se trouva dépaysé et eut des difficultés pour exprimer son art avec plénitude. Après son retour à Florence il travaille avec une plus grande sûreté, mettant à profit des éléments figuratifs de son séjour romain (Pallas et le Centaure des Offices de Florence, Vénus et Mars, Londres, National Gallery).
Nombre des personnages de la scène sont des portraits de prélats et de familiers du pontife. Le jeune homme de profil, assis sur le banc de marbre, est revêtu d’un manteau bleu sombre orné de glands et de feuilles de chêne d’or, emblème de la famille du pape Sixte IV Della Rovere.
Les différents épisodes de la fresque ont un seul et même héros : Moïse, reconnaissable à sa tunique jaune et à son manteau vert, disposé sur plusieurs plans et plusieurs hauteurs, de façon à être aisément lisible. Pour exemple, en haut à gauche, il retire ses sandales (Botticelli s’inspire ici de la pose d’une statue antique célèbre : le Tireur d’Épine) et s’agenouille devant le buisson ardent. La figure du patriarche sert ainsi de fil conducteur à une narration ponctuée de portraits et de belles figures féminines.
La figure féminine portant un fagot sur la tête, est un exemple de beauté formelle qui anticipe la grâce que l’on retrouve dans Allégorie du Printemps.