Le Pontormo (1494-1557)
Jacopo Curucci connu sous le nom de Pontormo naquit en 1494 à Pontormo, territoire rattaché à Empoli ; il était le fils d’un certain Bartolomeo di Jacopo di Martino Carucci, peintre florentin de l’école de Ghirlandaio, dont on ne sait rien. Son père mort précocement en 1494, puis sa mère en 1504, il fut confié à sa grand-mère qui lui fit donner une première éducation à Pontormo, le plaçant ensuite à l’âge de treize ans à Florence sous la tutelle du magistrat en charge des pupilles. On ne saurait s’étonner que Jacopo, accablé de tant de deuils, ait été un adolescent mélancolique et solitaire. Il n’eut pas beaucoup de chance avec ses maîtres, car, en l’espace de quatre ou cinq ans, il en changea quatre fois. Mais ce furent des maîtres dont l’influence ne pouvait manquer de s’exercer, bien que dans de sens différents : Léonard de Vinci, Mariotto Albertinelli, Piero di Cosimo, Andrea del Sarto. Il passa très peu de temps auprès de Léonard, mais le contact avec une personnalité de cet ordre dut compter pour un adolescent aussi sensible que Jacopo ; cependant, l’enseignement déterminant sera celui d’Andrea del Sarto, auprès de qui il ne fit pas non plus un long séjour. La formation de Pontormo eut lieu sous la République (1494-1512), puis le Pontormo devint l’un des représentants de la « manière » florentine élaborée à Florence au début du XVIe siècle, dans la période de grande fertilité artistique qui suivit le retour des Médicis (1512) et l’élection du pape mécène Léon X de Médicis, fils de Laurent le Magnifique.
Après de petits travaux pour l’église Santissima Annunziata (considérable chantier à cette époque-là) la visite de Léon X à Florence, en novembre 1515, offrit au jeune Pontormo une précieuse occasion de manifester son talent : on l’employa pour certaines structures éphémères et, à la décoration de la chapelle papale à Santa Maria Novella. Entre deux hauts piliers portant des inscriptions latines à l’antique, la petite mais puissante Véronique exhibe le voile où s’imprime l’image divine ; le bras se replie sur la poitrine par un mouvement de torsion qui évoque la Sibylle delphique de Michel-Ange. Les échos romains de cette œuvre font penser à un voyage d’études de Pontormo à Rome, selon une hypothèse de plusieurs historiens. En 1512, le Pontormo peignit avec le Rosso la prédelle de l’Annonciation qui fut achevée par Andrea del Sarto et placée dans l’église San Gallo. Puis, en collaboration avec Andrea del Sarto, Franciabigio et le Rosso, il s’occupa des fresques de l’église Santissima Annunziata, cloître des Voti, et réalisa la Visitation (1516). Dans cette œuvre, pour laquelle il sera payé entre décembre de 1514 et juin 1516, les impressions rapportées de Rome semblent se dissoudre dans un contexte pleinement florentin, apparemment inspiré par Andrea del Sarto et Fra Bartolomeo, même si la grande rotonde et les marches de l’escalier sur lesquelles les figures elles-mêmes créent l’espace sont un écho du Raphaël de la Madone au baldaquin et surtout de l’Ecole d’Athènes dans la Chambre de la Signature du Vatican.
Cette fresque fut commandée par Jacopo de’ Rossi, prieur du couvent de l’Annonciation. C’était aussi le protecteur et le commanditaire de Rosso Fiorentino qui avait peint en 1514 l' »Assomption de la Vierge ». L’œuvre de Pontormo conclut le cycle des scènes de la vie de la Vierge, sur lequel Andrea del Sarto et Franciabigio avaient également travaillé. Dans cette « Visitation », Pontormo prend pour modèle les grands retables de Fra Bartolomeo ; en particulier, il emprunte au Retable Pitti (Florence, galerie de l’Accademia), le portique en demi-cercle et les quelques marches qui servent de scène et de plateau aux personnages. Mais, ici, la symétrie statique qui caractérise les compositions de Fra Bartolomeo connaît une animation inattendue, grâce à « une manière vive, enlevée » soulignée par Vasari. Le « putto » nu aux jambes écartées répondant symétriquement à une jeune femme « anonyme » indique que le peintre ne se satisfait pas des équilibres d’Andrea del Sarto. La culture classique se manifeste cependant dans le double cortège évoquant la tradition florentine en même temps que les exemples romains de Raphaël. Le contraste calculé entre les personnages et l’ample mise en scène dans l’espace architectonique font de l’œuvre de Pontormo la première démonstration florentine d’une rhétorique théâtrale proche de celle qui s’épanouissait dans les récentes œuvres d’art romaines ; il s’en écartera pourtant très vite et s’engagera sur le chemin d’une recherche absolument originale.
Les Histoires de Joseph, quatre panneaux de cassoni peints pour les noces de Pier Francesco Borgherini, ont été immédiatement très admirées et disputées par les collectionneurs. Il s’agit presque d’une déclaration de principes, d’un manifeste anti-classique où l’on peut, cette fois, parler de « retour au gothique » : l’espace mal mesurable du Joseph en Égypte, le groupement des visages superposés, l’élongation des figures et leur fréquent déhanchement sont, à cette date, un retour volontaire à des formules archaïsantes. Mais il y a plus ici qu’un simple archaïsme ; Pontormo affirme « l’ambiguïté » comme source d’expression et de plaisir : escalier « impossible » et parcouru, statues qui semblent animées, personnages inexplicables ou caricaturaux, brusques changements d’échelle, Pontormo invente un vocabulaire nouveau par lequel l’image doit acquérir une dimension spécifique, irréductible à la simple narration d’une histoire. On est à l’opposé des idéaux classiques proposés moins de quinze ans plus tôt.
Il s’agit du dernier panneau exécuté par Pontormo pour la chambre nuptiale de Pier Francesco Borgherini, des Histoires de Joseph, tirées de la Genèse. La figure de Joseph y reparaît quatre fois : on le reconnaît à son vêtement de couleur ocre, son manteau tirant sur le violet, et son couvre-chef rouge. À gauche, au premier plan, Joseph présente au Pharaon son père Jacob, lequel porte un vêtement bleu et s’agenouille sur les marches. En bas à droite, assis sur un char, Joseph distribue les vivres au peuple d’Égypte, pendant qu’un messager lui apporte la nouvelle de la maladie de son père. Sur l’escalier de l’édifice cylindrique, Joseph accompagne ses deux fils, Manassé et Ephraïm, qui doivent recevoir la bénédiction de leur grand-père mourant. En haut de l’escalier, probablement son épouse, accueille les enfants, alors que le personnage vêtu de rouge ne semble pas un personnage biblique, mais un contemporain peut-être lié aux commanditaires de l’oeuvre. En haut à droite, Jacob bénit Ephraïm.
Pontormo à vingt-quatre ans et signe avec le Retable Pucci son manifeste maniériste, en mettant en œuvre « cette liberté qui n’est pas de règle, mais qui s’exerce selon la règle » dont nous parle Vasari. Lequel soutient que « le retable est le plus beau tableau jamais peint par cet artiste si rare », alors que le tableau peint à la même date par Rosso sur un thème voisin à l’intention du directeur de l’hôpital de Santa Maria Novella (Madone entre quatre saints) fait l’objet de sévères critiques. Le retable de Pontormo, peint un an à peine après la Madone des Harpies, d’Andrea del Sarto, démontre une maîtrise et un esprit de recherche supérieurs à ceux d’Andrea : l’image abonde en références, mais elles sont immédiatement retournées car le peintre veut faire surgir plus nettement encore une expressivité dont l’ambiguïté se condense dans l’opposition entre les sourires des enfants et l’inquiétude inexpliquée des vieillards ; la variété des émotions est renforcée par la multiplicité des directions indiquées par la gestuelle des personnages. Pourtant c’est dans ce retable que se manifestent clairement des tendances opposées à l’esprit classique et à celui de la Renaissance et les toutes premières indications d’une méditation personnelle sur les estampes de Dürer.
Selon le témoignage de Vasari, le commanditaire du retable fut Francesco Pucci, gonfalonier de la République et partisan des Médicis qui, dans son testament de 1517, allouait une somme de 500 florins pour la construction d’une chapelle « dédiée à son bien-aimé saint Joseph ». L’œuvre représente une Sainte Conversation, dramatique et inquiétante. Elle marque une rupture par rapport au style Renaissance d’imitation classique, harmonieux, avec une perspective très élaborée.
La distance prise par rapport aux modèles classiques que le peintre admire se marque également dans le décor de la villa médicéenne de Poggio a Caiano (1519-1521) : supprimant toute narration, la histoire de Vertumne et Pomone devient presque une scène de genre où culmine le traitement naturaliste des figures paysannes, arbitrairement rapprochées d’ignudi adolescents ou enfantins, profondément ambigus, et dont l’expression est aussi forte qu’indéterminée. Dans les fresques de l’Histoire de la Passion de la chartreuse de Galluzzo (1523-1525), Vasari identifie un style alla tedesca : par le recours à Dürer, Pontormo veut dépasser le classicisme et inventer une peinture où la culture picturale serait un instrument permettant au créateur d’exprimer su propre personnalité et ses tourments spirituels.
Cette prestigieuse commande venue des Médicis, amena Pontormo, juste âgé de vingt-cinq ans, à collaborer avec Andrea del Sarto et Franciabigio, à la décoration du salon de la villa Médicis de Poggio à Caiano. À cause de la mort, en 1521, du commanditaire principal, Léon X, l’entreprise ne fut pas menée à terme et Pontormo n’exécuta qu’une lunette, avec « Vertumne et Pomone » (1520-1521). La dernière restauration a mis en évidence la différence dans la texture picturale, fondue sur les visages, vaporeuse sur les cheveux, posée à petites touches sur les étoffes, tandis que la lumière fait ressortir certains détails des figures et des objets, comme le chien à la robe pommelée ou le panier du jeune garçon assis à gauche.
Cette scène réalisée à la chartreuse de Galluzzo, s’inspire en partie des gravures de l’artiste allemand Albrecht Dürer. L’immobilité absorbée des gestes, l’abandon dans les rythmes, la variété des plans, la mosaïque de coloris extraordinaires constituent un pont entre les œuvres exécutées autour des années vingt et celles de la fin de la décennie.
La chapelle Capponi à Santa Felicità
En 1525, Ludovico Capponi, important homme d’affaires et banquier de la Chambre apostolique, commanda au Pontormo la décoration de la chapelle qu’il venait d’acheter à l’église Santa Felicità de Florence devant accueillir ses dépouilles et celles de sa famille et qui avait été réalisée un siècle plus tôt d’après un projet de Filippo Brunelleschi. Entre 1526 et 1528, Pontormo travailla à la décoration de cette chapelle. Il s’entoura du plus grand secret, et interdit l’accès du chantier, comme il le fera plus tard à Castello et à San Lorenzo, sans permettre même au commanditaire, de suivre le cours des travaux. La destruction de la voûte, où Pontormo avait « représenté Dieu le Père, avec, autour de lui, quatre Patriarches de toute beauté », a ôté la possibilité de procéder à une lecture globale de cette décoration qui conférait à toute la chapelle une circularité thématique et formelle voisine de celle de la chapelle Chigi due à Raphaël. Surtout, s’en trouvent altérées probablement la signification de l’Annonciation, et sûrement celle du retable d’autel. Le retable avec la Déposition est l’œuvre où Pontormo réussit sans doute le mieux à démontrer les possibilités expressives et spirituelles de l’intellectualisme maniériste. La scène représente la Mère au moment où on l’éloigne du corps de son Fils avant le transfert au sépulcre. Il n’y a absolument aucun décor. Les personnages, disposés en « grappe », semblent suspendus, presque sur un rythme de danse, dans un espace qui a perdu la « mesure » rationnelle de la perspective géométrique, mais qui présente les mêmes distorsions qu’une vision onirique. Les couleurs claires et acidulées, propres à la palette de cet artiste, semblent tout à fait abstraits et irréelles. Le peintre ne donne à voir qu’un groupe vivant, en menant à un terme imprévu la recherche entreprise par Léonard et Michel-Ange à Florence au début du siècle (Bataille d’Anghiari et Bataille de Cascina).
Les poses étudiées et l’élégance extrême des drapés donnent un support à la fois raffiné et dramatique à l’instabilité générale en instaurant une triangulation vivante et artificielle d’un espace presque abstrait. Échappant à toute saisie ordonnée mais en évoquant un ordre sous-jacent, la couleur contribue à l’effet : le grand triangle renversé des bleus semble s’encastrer dans un rythme de jaunes et de rouges, les rappels multiples décomposant et restructurant sans cesse la composition, tandis qu’un corps, un bras ou une juxtaposition de tissus rapprochent le rouge devenu rose acide et le bleu tendant vers le blanc. L’image supprime tout signe extérieur permettant de nommer les personnages de l’histoire. On reconnaît bien sûr le Christ et Marie, ainsi que Marie-Madeleine – par ses cheveux – tendue vers la Vierge, et sans doute saint Jean, incliné au-dessus d’elle. Aucune auréole, aucun attribut ne sortent de l’anonymat les autres participants ; à droite, isolé derrière un éventuel pli du terrain, un problématique Joseph d’Arimathie a peut-être pris les traits du peintre lui-même, tandis que les deux jeunes gens qui portent le corps du Christ ont la présence et l’émotion mystérieuse d’anges sans ailes ni nimbes.
Groupement vivant de corps entrelacés et pourtant mouvants, la Déposition accumule les paradoxes pour appeler le spectateur à l’émotion et à la piété. Mais elle compte aussi pour ce qu’elle indique des choix formels du peintre maniériste. Dans la carrière de Pontormo, c’est la première grande affirmation claire d’une « bella maniera » qui se réclame des grands exemples de Michel-Ange et de Raphaël. Du point du vue iconographique, le thème est le même que celui du Christ mort du Rosso, également situé au-dessus d’un autel, et d’une date proche. L’image de Pontormo correspond en effet au moment où, le culte de l’Eucharistie est exalté avec une conscience aiguë du péché, originel et contemporain. Du Rosso à Pontormo pourtant, l’idée et l’impact ont changé : ce qui était perversion presque cynique est ici appel à la foi et à la charité chrétienne, condensées au premier plan dans le mouvement de Madeleine qui, suprême paradoxe, nous fait entrer dynamiquement dans l’œuvre en nous tournant le dos.
La réussite formelle et la profondeur spirituelle de la Déposition on les retrouve dans la Visitation de Carmignano. Tout invite à penser que Pontormo a représenté deux fois les deux mêmes femmes ; pas au même moment cependant car, signe distinctif, Marie et Élisabeth n’ont pas d’auréoles quand elles nous regardent, alors que leur échange impénétrable, où le profil nous cache les yeux, est comme éclairé par la présence divine intérieure, signifié par la fine ligne d’or qui encercle leur tête. Pontormo peut dès lors créer un espace irréel et paradoxal – maquette de rue florentine qui juxtapose deux figurines masculines aux immenses silhouettes féminines -, il peut donner à ses personnages la configuration cultivée de la figure amphore dansante ; il peut rapprocher audacieusement les tons les plus difficiles.
Peinture presque musicale, au sens où le mouvement de la ligne est organisé selon une conception non descriptive mais eurythmique, bien visualisée dans la position dansante donnée aux pieds des deux personnages principaux. La « bella maniera » se confirme comme recherche d’une grâce ornementale ; elle est pourtant ici, en accord avec le thème glorificateur, orchestré sur le mode de la grandeur : la disposition perspective fait surgir les figures dans une monumentalité à la fois fragile et héroïque.
Interrompus parfois par des peintures de chevalet, ces travaux pour Santa Felicità marquent une coupure entre la phase des œuvres de jeunesse et celles de la maturité, à peu près à l’époque du siège de Florence de 1529-1530, où l’on verra Pontormo exécuter de nombreux portraits, intenses, de conception inhabituelle et d’une luminosité hardie, et d’importantes commandes pour les Médicis, qui consolidaient leur pouvoir depuis leur retour à Florence. En fait, Pontormo deviendra leur peintre officiel, ce qui ne lui évitera pas d’être souvent contesté. Il n’est pas un courtisan, ne prend aucun engagement, et se trouve lié à des personnages considérables mais parfois suspects, en quoi il est bien différent de Bronzino, qui sera à ses côtés, et de Vasari, lequel aspire à s’imposer à la cour et ne cache pas l’agacement que lui cause une personnalité charismatique qui lui reste incompréhensible. La chapelle Capponi est la dernière grande décoration de Pontormo qui subsiste, puisqu’on a détruit toutes les autres décorations dont il s’est chargé dans les vingt-cinq dernières années de sa vie. Les fresques (perdues) du chœur de l’église San Lorenzo furent l’une de ses dernières œuvres. Inspirées du Jugement dernier de Michel-Ange, à la fois d’un point de vue stylistique et doctrinal, elles furent achevées par Bronzino après la mort de Pontormo, en 1557. Les fresques furent endommagées et finalement détruites lors de la réfection des murs de l’église, entamée en 1738. On peut reconstituer le cycle détruit grâce aux descriptions anciennes, à une trentaine de dessins autographes et aux rares indications fournies par le Journal. Ces dessins peuvent se rapporter aux différentes parties de l’œuvre. Ils s’échelonnent sur la période de dix ans correspondant à la durée des travaux et forment un document précieux pour reconstituer l’iconographie et le style de cette considérable et ultime entreprise de Pontormo.
Parmi les diverses suggestions sur l’identification du personnage du portrait, celle qui a obtenu le plus de succès, c’est l’identification du modèle avec Alexandre de Médicis, fils naturel du cardinal Giulio de Médicis, futur pape Clément VII.
Diverses propositions ont été faites à propos de l’identité du personnage, comme celle qu’il pourrait s’agir du jeune Cosme de Médicis. Dans la peinture, le jeune hallebardier est représenté en train de défendre le rempart défensif qui se trouve à l’arrière-plan. Comme dans d’autres œuvres de Pontormo, la lumière intense qu’investit le devant de la peinture, contraste fortement avec le fond noir et insiste sur la couleur des vêtements du jeune homme : le beige de la veste, le blanc de la chemise, et le rouge vif du pantalon et béret. Une habilité artistique remarquable est perceptible dans le rendu des différents objets : le métal poli de la garde d’épée, le cuir du ceinturon, le grain très fin de la hallebarde en bois, l’or de la légère chaîne suspendue à son cou, le médaillon sur son béret avec les figures mythologiques d’Hercule et Antée.
Le journal de Pontormo
Jacopo Carucci da Pontormo nous a laissé deux documents autographes qui nous renseignent sur sa conception de l’art. Ces écrits – une lettre et un journal – nous offrent une vision concordante de sa personnalité. Le journal dont l’original n’a été trouvé qu’en 1902, s’agit d’un livret composé de deux fascicules de seize feuillets, qui est actuellement à la Bibliothèque nationale de Florence. Pontormo note, au jour le jour, sobrement et sans aucune recherche de style, parmi les indications de caractère traditionnel sur son état de santé, quelques détails concernant sa nourriture, ses rencontres, voire parfois ses querelles avec ses amis et collaborateurs, ainsi que les étapes de l’exécution des figures de sa fresque, dont il trace en marge de rapides esquisses. On souligne que ce journal fait ressortir les obsessions d’un malade imaginaire, d’un vieil homme solitaire, susceptible et mélancolique. Pourtant, ce qui apparaît essentiellement dans ces notes, c’est une personnalité attentive à la réalité, qui n’est ni enfermée dans sa solitude, ni indifférente à de petites joies. On voit revenir fréquemment les noms des amis avec lesquels Pontormo va dîner ou bavarder : Bronzino, Benedetto Varchi, Luca Martini, un érudit, Vincenzo Borghini, recteur de l’hospice des Innocents, Giovan Battista Gelli, un cordonnier qui est aussi un lettré et Battista Naldini, le disciple auquel Jacopo Pontormo est maladivement attaché.
« Ce jour, le 20, le temps a commencé à s’éclaircir avec un bon vent et à s’améliorer, et cela a duré huit jours pleins ; auparavant, il y avait eu, au contraire, un mois où chaque jour il avait plu un peu ou beaucoup, avec, comme conséquence, un gonflement des portes et un accroissement de l’humidité dans les murs comme je n’en avais pas vu depuis longtemps. » De telles observations ce sont des préoccupations raisonnables chez un peintre qui travaille à fresque et n’ignore rien des risques de cette technique : « Mercredi, j’ai eu bien de la peine avec l’intonaco (il s’agit d’un enduit pour la fresque) et je ne pense pas m’en tirer. »
C’est précisément la destination totalement privée de ce journal qui nous donne l’assurance qu’il s’agit bien d’un portrait sans artifice de son auteur. Ce portrait, d’ailleurs, concorde souvent avec celui que l’on doit à Vasari, source essentielle et digne de foi de notre information sur Pontormo, parce qu’il écrit, dix années après sa mort, qu’il l’a connu personnellement et qu’il s’appuie, entre autres, sur le témoignage direct de Bronzino, l’ami dévoué.