Le gothique international en Italie

Les influences venues d’ailleurs

Après les grandes conquêtes du XIVe siècle, l’art italien absorbe lui aussi d’autres cultures artistiques, en grande partie grâce aux voyages des peintres, engagés par les nombreuses cours qui foisonnent dans toute l’Europe. Le gothique international réunit en Italie de nombreuses personnalités, la multiplicité des foyers artistiques étant sans égale dans aucun autre pays. Dans nombre de cas, les seigneurs des petites cités et les dynasties qui dominent les villes majeures affirment leur prestige par des initiatives artistiques et culturelles de grande ampleur. Entre 1422 et 1425, Pisanello entamait son activité, longue et discontinue au service des Gonzaga de Mantoue. Une place privilégiée revient à Gentile da Fabriano par la complexité et la qualité élevée de son style ainsi que par sa culture aux multiples aspects. C’est à Florence qu’il peint L’Adoration des Mages, où l’on retrouve tous les éléments de sa formation – siennoise, française et lombarde – qui convergent pour donner à sa forme poétique sa pleine mesure. Jusqu’au milieu du XVe siècle, les règles de la perspective et de l’art humaniste de la Renaissance sont appliquées presque exclusivement à Florence (le Quattrocento florentin). Dans tout le reste de l’Italie prévaut encore le goût pour le style gothique tardif, qui, à la rigoureuse définition de l’art florentin, oppose la floraison de l’ornementation et l’ostentation du luxe jusque dans le choix des matériaux, comme, en peinture, le dispendieux fond d’or et encore le plus coûteux bleu outremer tiré du lapis-lazuli.

L'Adoration des Mages, détail, 1423, Gentile da Fabriano
L’Adoration des Mages, détail, 1423, Gentile da Fabriano
(Florence, musée des Offices)

Un esprit aristocratique imprègne l’interminable cortège des Mages qui serpente dans un paysage féerique et irréel fourmillant de détails empruntés à la nature. Les étoffes représentées ne sont pas seulement d’une grande valeur, elles sont aussi peintes avec un art consommé ; les techniques les plus diverses de dorure, de gravure et d’application des couleurs ont été employées. Gentile se comporte ici comme un maître de cérémonie : la richesse des habits est adaptée à l’importance des figures et aux règles du cérémonial de cour. Viennent s’ajouter à la scène, pour le plus grand plaisir de tous les courtisans et du spectateur, les faucons, les guépards de chasse et les singes de la ménagerie seigneuriale.

La large circulation de la culture, la grande mobilité des artistes dans les réseaux internationaux jouèrent donc un rôle primordial. Il faut souligner aussi l’importance des commanditaires des petites cités comme le prince-évêque de Trente, Georges de Lichtenstein, et celui de Valerano, régent du marquisat des Saluces. Les cycles de fresques commandées pour leurs châteaux, témoignent de l’étendue de leurs horizons culturels : ils entretinrent des rapports étroits avec des territoires divers et fort éloignées, rapports qui profitèrent aussi aux artistes. Les modèles empruntés à Milan, à la Bohème et à la France furent utilisés sur le plan iconographique et stylistique, mais en le transformant de manière originale. Le panorama artistique florentin fut durablement bouleversé par le séjour de Gherardo Starnina en Catalogne. À son retour, vers 1404, le style international s’imposa rapidement aussi bien dans la peinture que dans la sculpture.

Mois de Janvier, vers 1400, Château du Buonconsiglio
Mois de Janvier, vers 1400, artiste anonyme
(Trente, Château du Buonconsiglio)

Le grand calendrier illustré au Château du Buonconsiglio, commandé par le prince-évêque George de Liechtenstein fut réalisé par un artiste bohémien inconnu, illustre les activités des paysans et les distractions de la noblesse au fil des saisons. Les représentations des mois se déroulent sur les murs d’une salle de la Tour de l’Aigle, une ancienne construction transformée par l’évêque en demeure privée. Le sujet nous renvoie aux Riches heures du duc de Berry. Le maître du Cycle des mois à réussit à donner l’illusion de « réalité » en utilisant un système bien différent de celui de la perspective scientifique, l’ensemble de règles mathématiques mises au point par Filippo Brunelleschi à Florence quelques années plus tard.

Mois de Juillet, vers 1400, artiste anonyme
Mois de Juillet, vers 1400, artiste anonyme (Trente, Château du Buonconsiglio)

Extraordinaire représentation des activités humaines et la noblesse du monde paysan : en particulier le travail de l’homme – représenté par les multiples activités des agriculteurs, des chasseurs, des artisans et forestiers – sans pareil dans la peinture médiévale en Europe.

La décoration du château de La Manta près de Saluces en Piémont est un exemple des échanges artistiques et intellectuels à travers la France et l’Italie. Pendant son séjour à la cour de France, le père du commanditaire, le marquis Tommaso III de Saluzzo avait écrit le roman de chevalerie allégorique du Chevalier errant, dans lequel il réunissait tous les thèmes qui passionnaient alors la société aristocratique, entre autres l’histoire des neuf héros (respectivement trois héros de l’Antiquité païenne, trois de l’Antiquité juive et trois héros chrétiens) et des neuf muses. Dans la salle d’armes, son fils fit peindre ce cycle de personnages avec les vers correspondants du livre. Le parfum aristocratique de cet ensemble, le souffle chevaleresque qui a présidé à sa conception, la rare distinction des seigneurs et des dames, leur grâce aussi, ont depuis longtemps fait supposer que les peintures pouvaient être d’une main française, à Jacques Iverny d’Avignon.

Cinq héroïnes, attribuée à Jacques Iverny
Cinq héroïnes, fresque, vers 1420, attribuée à Jacques Iverny (attesté 1411-1435) (Piémont, près de Saluces, château de La Manta, salle d’armes)

Cinq des héroïnes sont ici représentées dans un cadre antique conçu comme un monde exotique et féerique. Il s’agit de femmes légendaires comme la reine Sémiramis (la deuxième en partant de la droite) ou l’amazone Penthésilée. Elles ont toutes des armes, mais se présentent comme des femmes de cour plutôt qu’en héroïnes. Elles sont debout dans une prairie parsemée de fleurs comme une tapisserie. À droite de chacune d’entre elles, on peut voir suspendus aux arbres des écus avec des armoiries imaginaires. Elles portent des habits somptueux – brocarts d’or, hermine, joyaux, couronnes d’or ou de fleurs – qui sont déjà à eux seuls d’un effet fantastique.

Cinq héroïnes, attribuée à Jacques Iverny, détail

Ce cycle de fresques est un des rares exemples d’art profane et d’illustration du monde imaginaire appartenant à une culture de cour française engluée dans ses propres conceptions au début du XVe siècle. De fait, ces nobles personnages sortent tout droit des miniatures des « Très Riches Heures du duc de Berry » des frères Limbourg .

La Fontaine de jouvence, vers 1420, Giacomo Jaquerio
La Fontaine de jouvence et détail, vers 1420, attribuée à Giacomo Jaquerio (Saluces, province de Coni, Piémont, château de la Manta, Grande Salle).

Le centre de la composition est la fontaine gothique, très Limbourg, aux formes raffinées, dont les eux miraculeuses rajeunissent tous ceux qui s’y baignent. Des vieillards épuisés et décrépites s’avancent péniblement vers la fontaine : après si être plongés, ils en ressortiront prodigieusement rajeunis et revigorés.

La Fontaine de jouvence, vers 1420, Giacomo Jaquerio, détail

La fresque traduit sur un plan monumental le monde fabuleux typique des miniatures du gothique international tardif. Le peintre piémontais traite la silhouette des personnages avec un graphisme d’une sèche linéarité.

À Bologne, Giovanni da Modena (activité documentée à partir de 1398) développe le style libre et inventif de la grande tradition bolonaise du trecento. Dans ces fresques de 1410, de l’église San Petronio à Bologne avec l’Histoire des Rois mages, il fait preuve d’une veine fraîche, pleine d’esprit et de fantaisie, et un grand déploiement d’épisodes et de détails. À Urbino, les frères Salimbeni da Sanseverino peignent à fresque les Scènes de la vie de saint Jean-Baptiste dans l’oratoire San Giovanni, qui figurent parmi les créations les plus remplies de fantaisie et les plus libres du gothique international.

Vie de saint Jean-Baptiste, 1416, Lorenzo et Jacopo Salimbeni
Vie de saint Jean-Baptiste, 1416, frères Salimbeni, détail
Scènes de la vie de saint Jean-Baptiste, fresque, 1416, Lorenzo et Jacopo Salimbeni (Urbino, oratoire de San Giovanni)

Réalisées par Lorenzo Salimbeni, peut-être avec la collaboration de son frère Jacopo, ces fresques constituent le fondement d’une distinction stylistique entre les deux frères.Lorenzo fut influencé par la miniature et par le langage raffiné et « courtois » de son compatriote Gentile da Fabriano, mais capable également d’une touche vive et colorée, inspirée par la réalité mais tendant à la transformer en formes souples et gracieuses. Ses scènes rappellent les tapisseries françaises et dénotent un goût populaire et aristocratique. Le choix des couleurs et des costumes est plein de fantaisie.

La visite des Rois, vers 1420, Giovanni da Modena
La visite des Rois mages à Bethléem, vers 1420,
Giovanni da Modena (Bologne, église San Petronio)

Dans ces fresques, l’observation naturaliste se fait jour (milieux marchands locaux), mais sans se traduire comme en Lombardie par une préciosité aristocratique. Il s’agit plutôt d’une force populaire, rustique, qui recherche moins une tonalité douce et nuancée que l’accentuation du trait, poussé presque jusqu’au grotesque. Le récit en ressort vif et attrayant, plein de notations, d’accents vigoureux et amusants.

Gherardo Starnina

À Florence, l’habile et précieux Gherardo Starnina (Florence, seconde moitié du XIVe siècle – avant 1413), fut le promoteur de l’ouverture européenne, surtout vers l’Espagne (de 1398 à 1401). Il s’agit là d’un maître de premier plan, dont l’importance se lit en filigrane depuis la disparition du célèbre cycle du Carmine (1404) grâce à quelques panneaux et fragments de fresques. Starnina, prédécesseur immédiat de Masolino, exerce également un certain ascendant sur le premier Ghiberti qui pratiquait sans doute aussi la peinture. Starnina, protagoniste du gothique international tardif, centre ses recherches sur une composition monumentale aux rythmes linéaires fluides et arrondis, jumelée à l’extrême délicatesse des couleurs et à la puissance d’expression des attitudes. Tout cela bien souligné par Vasari qui loue « l’abondance d’idées dans les attitudes des personnages », rappelant l’énorme succès des Histoires de saint Jérôme au Carmine de Florence « en raison de la vivacité avec laquelle il avait su rendre des sentiments et des attitudes qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait exprimées. » L’autorité de Starnina explique la survivance de certains traits stylistiques que l’on retrouve chez Lorenzo Monaco, Ghiberti, Masolino et le jeune Paolo Uccello. C’est dans ce contexte, dans ce choix stylistique « moderne » à l’intérieur des meilleurs courants du gothique tardif local, que se situe le jeune Uccello, dans l’atelier de Ghiberti, au lendemain de la convention de 1401 pour la porte nord du Baptistère.

Thébaïde, vers 1410, Gherardo Starnina
Thébaïde, vers 1410, Gherardo Starnina, détail
Thébaïde et détail, vers 1410, Gherardo Starnina (Florence, musée des Offices)

Cette peinture avait été attribuée pendant longtemps à divers artistes, parmi eux, Fra Angelico. L’iconographie de Thébaïde prouve qu’elle a été commandée par un ordre mendiant. Elle dépeint la vie d’un saint et la vie dans le désert d’un certain nombre d’ermites. Toute la surface de l’œuvre est occupée par de nombreuses petites scènes et par les activités de petites figures. Le premier plan est occupé par la mer, alors que le fond se compose de rochers qui divisent la peinture vers le haut en plusieurs compartiments. D’après Vasari, Starnina joua un rôle important dans l’introduction du style international à Florence et dans la formation de plusieurs artistes, dont Masolino.

Saint Hugues de Lincoln exorcise un possédé, Gherardo Starnina
Saint Hugues de Lincoln exorcise un possédé, vers 1410, Gherardo Starnina
(Milan, musée Poldi Pezzoli)

Ce petit panneau fait partie de la prédelle d’un retable commandé pour la chapelle du cardinal Angelo Acciaioli à la Chartreuse de Florence.

Gentile da Fabriano

Gentile di Niccolò di Giovanni Massi (Fabriano vers 1370 – Rome 1427), connu sous le nom de Gentile da Fabriano, est originaire de Fabriano, une localité de la région des Marches. Sa formation et l’activité de sa prime jeunesse sont encore obscures et problématiques. Pendant ces années, un des pôles les plus fervents de la culture du gothique tardif, désormais « international », était représenté par la zone comprise entre Sienne, Orvieto et Pérouse, avec les ateliers locaux de miniatures, d’émaux, de gravures : c’est là que le jeune artiste pu, vers 1390, commencer ou compléter sa formation, documentée par un petit retable avec la Madone et les saints, aujourd’hui à Berlin. Par la suite, il quitta Fabriano et pendant toute sa vie voyagea entre les principaux centres de l’Italie centrale et septentrionale (Venise, Brescia, Florence, Sienne, Orvieto, Rome) où, pour des commanditaires de très haut rang, il peignit des tableaux et des fresques : ces dernières, malheureusement presque toutes perdues, constitua autant de références fondamentales pour les peintres lombards et vénitiens du gothique tardif. À Venise où il est documenté pour la première fois entre 1408 et 1414, les tableaux qu’il réalise pour le palais des doges feront sa célébrité. Un de ses élèves est Jacopo Bellini, qui deviendra lui-même un peintre de renom. Il n’est rien resté de l’œuvre vénitienne de Gentile, et rien non plus de celles qu’il réalisa pour les Malatesta à Brescia, pour le pape à Saint-Jean de Latran à Rome ou pour des commanditaires siennois. En 1427, il mourra en travaillant aux fresques de Saint-Jean de Latran. Son assistant et élève Pisanello poursuivra les travaux, il prendra la tête de l’atelier et assurera la succession artistique du peintre.

Adoration des Mages, 1423, Gentile da Fabriano
L’Adoration des Mages, détails, 1423, Gentile da Fabriano
(Florence, musée des Offices)

Gentile peignit cette somptueuse « Adoration des Mages » pour la chapelle familiale du banquier Palla di Nofri Strozzi, dans la sacristie de la Santa Trinità, à Florence; Nous voyons Palla et son fils Lorenzo au centre du tableau, juste derrière le plus jeune roi. Alors que Lorenzo est coiffé d’un chapeau de fourrure rouge et regarde le spectateur hors du tableau, Palla porte un riche vêtement orné de fourrure et se concentre su l’adoration. Il a sur le poing un faucon, son emblème personnel.

L'Adoration des Mages, Gentile da Fabriano, détail

Pour la première fois dans l’art florentin, le donateur se fait représenter à l’échelle du tableau, juste derrière les rois mages, une idée qui fur reprise d’une manière un peu différente quelque temps plus tard par la famille Médicis, grande rivale des Strozzi, dans le tableau du même sujet peint par Botticelli. Cette intégration directe du donateur dans l’événement annonce une nouvelle prise de conscience de soi et va à l’encontre de l’humble subordination des donateurs du temps passé.

La Présentation au Temple, retable Strozzi, 1423, Gentile da Fabriano
La Présentation au Temple, élément de la prédelle du retable Strozzi, 1423, Gentile da Fabriano (Paris, musée du Louvre)

La plus tardive des œuvres de Gentile encore conservées constitue un document historique et religieux très intéressant dans le domaine du pèlerinage. Elle montre au spectateur le pèlerinage au tombeau du saint à Bari, la popularité des lieux, mais aussi une guérison miraculeuse, celle de l’homme au premier plan à gauche. Il s’agit en même temps d’une vue sobre et objective : Gentile observe toutes les formes d’exaltation religieuse ; on ne décèle pas la moindre trace de présence ou d’intervention divine.

Pèlerins au tombeau de saint Nicolas, 1425, Gentile da Fabriano
Pèlerins au tombeau de saint Nicolas, 1425, Gentile da Fabriano (Washington, National Gallery of Art)

Cette peinture fait partie de la prédelle du Polyptyque Quaratesi de San Niccolò à Florence. Avec une précision historique surprenante, Gentile représente dans l’abside de l’église une mosaïque du XIIe siècle, sous laquelle on aperçoit, dans un style ancien, les cinq scènes de la vie du saint apparaissant sur la prédelle de l’autel de Florence. L’obscurité de la vieille église est rendue aussi fidèlement que l’icône de la mère de Dieu, sur le mur latéral de l’abside de gauche. Gentile a donc contribué à stimuler la prise de conscience de l’évolution historique, qui est l’une des grandes performances du XVe siècle humaniste. On en vint à une distinction plus claire des époques, ce qui posa les conditions d’un retour délibéré à l’Antiquité.

Gentile est celui qui a achevé ce que les peintres siennois avaient voulu atteindre dans la première moitié du XIVe siècle. Il a créé un art extrêmement attirant au point de vue tactile et optique par son traitement des ors, la plénitude et la richesse chromatique de ses scènes et la structure des surfaces. Cet art était remarquablement adapté aux portraits dans lesquels les seigneurs et princes de l’époque pouvaient exprimer leur amour de la magnificence et du luxe. Ses contemporains le considèrent comme le maître des maîtres et il l’a peut-être été pour les peintres de sa génération. Dans le contexte de l’histoire de l’art, il traite la lumière, par exemple, de manière inhabituellement moderne ; le fond doré est vu comme une source de lumière, dont les rayons se poursuivent dans l’environnement ou jettent des ombres. Gentile sera aussi l’un des premiers artistes à utiliser le dessin libre pour des études suivies ou des esquisses.

Pisanello

Antonio di Puccio Pisano, dit Pisanello (Pise avant 1395 – Rome (?) 1455). Le père de Pisanello était Pisan, sa mère originaire de Vérone. À l’époque de sa naissance, les deux villes sont gouvernées par les Visconti de Milan. Pisanello reçoit une formation dans la partie lombarde, mais nous ne savons rien de précis. Les sources le mentionnent pour la première fois avec Gentile da Fabriano qu’il aide à décorer le palais des Doges à Venise. Peut-être a-t-il été auparavant l’élève de Gentile ? En tout cas, une collaboration étroite entre les deux hommes est documentée par la suite. On pense que Pisanello a participé à l’Adoration des Mages des Offices (retable Strozzi), il a sans doute peint les chevaux et les autres animaux. Il a sûrement travaillé avec Gentile aux fresques de Saint Jean de Latran à Rome et les a achevées après la mort soudaine de son compagnon. L’observation des nombreux dessins que nous ont laissé Pisanello et Gentile, nous apprend toute la conception artistique de son œuvre : l’étude intensive de la nature, un intérêt nouveau pour l’Antiquité, par la réalisation de copies de reliefs de sarcophages romains ou de statues. Mais on trouve aussi des dessins des œuvres de l’époque, par exemple celles des novateurs toscans tels que Donatello, Luca della Robbia et Fra Angelico. Les commanditaires de Pisanello sont les potentats de l’Italie septentrionale, les Gonzaga de Mantoue, les Este de Ferrare, les Malatesta de Rimini et aussi le roi Alphonse de Naples, mais l’artiste saura toujours sauvegarder son indépendance. Ses contemporains louent par dessus tout son approche fidèle de la nature. Cette estime ne faiblira pas quand la nouvelle orientation venue de Florence définira les nouveaux critères de l’art et fera autorité.

Madone à la caille, vers 1420, Pisanello
Madone à la caille, vers 1420, Pisanello
(Vérone, Musée de Castelvecchio)

Quoique encore jeune au moment de l’exécution de l’œuvre, l’artiste fait déjà preuve d’un solide style de tendance gothique courtois pour la description détaillée et raffinée des fleurs, des animaux, des orfèvreries, des étoffes précieuses, des fourrures (notamment la doublure d’hermine du manteau de Marie), ainsi que pour un type de composition élégante privilégiant les courbes.

Saint Georges et la princesse 1434-1436, Pisanello
Saint Georges et la princesse, 1434-1436, Pisanello
(Vérone, église Sant’Anastasia)

Pisanello représente l’épisode où saint Georges s’apprête à affronter le dragon pour délivrer la princesse : elle n’a guère les caractères d’une image de dévotion, mais elle correspond aux idéaux aristocratiques et chevaleresques de l’époque. Le détail macabre des deux pendus résulte certainement d’observations minutieuses faites sur le vif. Le sujet de cette fresque l’a souvent fait mettre en relation avec la Ballade des pendus de François Villon, l’une des œuvres les plus intenses et les plus dramatiques de la poésie européenne du XVe siècle. Les personnages à l’allure exotique, dignitaires imaginaires de la cité de Trébizonde, sont dépeints avec un souci aigu de précision anthropologique. La curiosité pour les populations et les terres lointaines ne cesse de se développer tout au long du XVe siècle et elle trouve satisfaction à l’époque suivante des grandes découvertes géographiques.

La Vision de saint Eustache, vers 1435, Pisanello
La Vision de saint Eustache, détails, vers 1435, Pisanello
(Londres, National Gallery)

Selon la légende, Eustache était un chevalier romain. Au cours d’une chasse, il rencontra un cerf dont il suivit les traces. Après une longue poursuite, l’animal sauta sur un rocher abrupt et demeura immobile. Entre ses bois apparut un crucifix qui s’adressa à Eustache et l’exhorta à se convertir. Ce tableau est complexe, et même énigmatique. Le chasseur est habillé à la mode de l’époque avec une coiffe aux allures de turban et un long habit bordé de fourrure, et non pas multicolore comme c’est l’usage : l’or assombri rappelle l’éclat d’un habit de cour, mais aussi l’or de l’art sacré. L’ensemble du tableau est d’ailleurs plongé dans une semi obscurité sans que la cause en soit le vieillissement des pigments ou la pénombre de la forêt ; la lumière crépusculaire confère une tonalité mystérieuse à ce tableau. Pisanello a rendu fidèlement les différentes races d’animaux qui prennent part à l’action.

L'apparition de la Vierge à saint Georges, vers 1445, Pisanello
L’apparition de la Vierge à saint Georges, détail, vers 1445, Pisanello, (Londres, National Gallery)

Dans cette représentation du saint chevalier (modèle des vertus chevaleresques), Pisanello se soustrait au propos sacré. Par sa forme et par le rendu du matériau, le chapeau très « mode » de Saint Georges, est un bel exemple de virtuosité artistique, mais il ne peut remplacer le nimbe.

La Toscane

A Sienne, le gothique international se prolonge jusque vers la moitié du XVe siècle, Sassetta qui puisse ses sources de la peinture siennoise du début du XIVe siècle, dans son Adoration des Mages (Sienne, collection Chigi Sarracini) ou dans le Retable de la Madone des Neiges (1430-32) il met son art merveilleux au goût du jour par le contact avec les orientations du gothique international et par la nouvelle culture florentine ; Giovanni di Paolo, dont la personnalité fantasque et tourmentée, s’exprime dans ses paysages géométriques vus à vol d’oiseau. À Florence, Lorenzo Monaco est le représentant le plus important de gothique international. La délicate élégance de ses rythmes, la splendeur de ses couleurs comme du verre et de l’émail, l’enchantement de ses paysages lunaires, les courts récits, précis et nets, de ses prédelles, font songer, mais avec une stylisation plus accentuée, aux formes de Lorenzetti et de Simone Martini. Pendant les dernières années de sa vie, c’est à Florence aussi qui peignait Gentile da Fabriano, créant quelques-uns de ses chefs-d’œuvre. À la même époque, à Florence se développa une importante production d’artisanat artistique : les coffres de mariage « cassoni« , des (plateaux d’accouchée nommés « desco da parto », dans lequel les différents thèmes de la littérature courtoise et classique y sont représentés.

Desco del Parto, Maître Anonyme
Desco del parto (plateau d’accouchée), vers 1410, Maître anonyme (New York, Metropolitan Museum of Art)

La scène de ce « Desco del parto » est tirée d’une comédie de Boccace « Commedia delle ninfe fiorentine » écrite vers 1342.

Adoration des Mages, vers 1450, Giovanni di Paolo
Adoration des Mages, Giovanni di Paolo, détail
Adoration des Mages, vers 1450, Giovanni di Paolo (Washington, National Gallery of Art)

Parfois nommé Giovanni del Poggio, Giovanni di Paolo (1403-1482) peintre et miniaturiste de l’école siennoise, né près de Sienne, à Poggio, fut l’un des plus importants peintres de l’école siennoise du XVe siècle, par sa précision du détail.Les œuvres de Giovanni di Paolo montrent l’influence des peintres du Gothique international, notamment de Gentile da Fabriano.

Le peintre Piero di Giovanni (Lorenzo Monaco) qui est documenté entre 1388 et 1422 à Florence et fut le maître de Fra Angelico, est né en 1370 probablement à Sienne. De tous les peintres siennois, Simone Martini aura la plus grande importance sur lui. Ses œuvres de jeunesse sont orientées sur l’art des successeurs de Giotto, par exemple Agnolo Gaddi. Même si cet aspect de son art se retrouve parfois à l’arrière-plan, il ne reviendra jamais aux stricts aplats de la vieille peinture siennoise. En 1390, il entre chez les camaldules, dans le couvent de Sainte Marie des Anges à Florence. En 1402, il adhère à la guilde des peintres florentins. Il semble à cette époque être sorti de l’étroite communauté monacale sans pour autant quitter sa robe de moine. En 1414, il loue une maison à proximité du couvent. Il réalise une série de miniatures pour son couvent. Aucun peintre de l’époque à Florence n’est allé aussi loin dans la stylisation de la forme et de la couleur. Lorenzo s’est en cela parfois éloigné de toute réalité. Pourtant, il ne serait pas juste de le nommer un artiste décoratif car il a mis à jour de nouvelles méthodes pour représenter de manière plausible le surnaturel et les visions célestes.

L'Adoration de mages, 1421-1422, Lorenzo Monaco
L’Adoration de mages, 1421-1422, Lorenzo Monaco, (Florence, Galleria degli Uffizi)

Le sujet de l’adoration des mages était très apprécié à cette époque. L’adoration du « nouveau roi des juifs » par trois rois venant des trois régions du monde alors connues et renvoyant aux trois âges de la vie, soulignait le rang du Christ comme roi des rois; d’où le nom de la fête du 6 janvier, Épiphanie (apparition du Seigneur). Le plus vieux, Melchior, représente l’Asie, le continent le plus noble, Jérusalem, centre du monde, se trouvant en Asie ; il apporte de l’or comme cadeau, symbole de la souveraineté du Christ. Le roi d’âge moyen, Gaspard, symbolise l’Europe et offre de l’encens en signe de la prêtrise du Christ. Balthazar, le plus jeune, représente l’Afrique et offre de la myrrhe comme signe de la passion du Christ et du sacrifice de la Croix.

Masolino da Panicale conserve des affinités étroites avec l’esthétique du gothique international en dépit de sa collaboration, dans la chapelle Brancacci (vers 1425, Florence, Santa Maria del Carmine), avec Masaccio, le créateur du nouveau style pictural, et les merveilleuses découvertes de la Renaissance humaniste du Quattrocento.