Le Brun et L’Académie

Un groupe de peintres et sculpteurs réunis par Charles Le Brun proposèrent de former une Académie royale de peinture et de sculpture, dont les membres seraient collectivement exemptés de l’autorité de la Maîtrise, guilde des peintres instituée au Moyen Âge. Le chancelier Séguier et la reine mère, Anne d’Autriche soutinrent ce projet et un Décret du Conseil d’État inaugura la nouvelle Académie à la fin de mois de janvier 1648 en désignant comme directeur Charles Le Brun. L’animosité traditionnelle entre l’Académie et la Maîtrise (elle fonde une école de dessin et la nomme « Académie de Saint-Luc ») dura quelques années, et seule l’intervention de Colbert en 1663 permit de mettre fin à cette situation. La fondation de l’Académie de France à Rome (1666) témoigne de l’importance accordée sur le plan culturel à l’Italie et à la tradition antique. À l’Académie s’enseignaient les règles jugées nécessaires au maintien d’une tradition artistique de qualité. Le Brun rédigea un traité sur l’expression des émotions. L’artiste y était exhorté à se référer aux meilleurs modèles, surtout aux antiques, mais aussi à Raphaël et Poussin. L’Académie, devient un instrument de domination qui impose les principes du classicisme dans tous les secteurs de l’art. Avec l’absolutisme de Louis XIV et la présence de Colbert, les principes de l’art français se répandent au-delà des frontières.

Fils d’un sculpteur, Charles Le Brun naquit à Paris en 1619. Comme il montrait un talent précoce, on l’envoya d’abord étudier avec Perrier, puis avec Vouet. Alors qu’il était encore très jeune, il fit un dessin de Louis XIII à cheval qui fut montré au chancelier Séguier. Celui-ci l’invita à vivre dans sa propre maison. Peu après, Le Brun fut présenté à Richelieu, pour qui il peignit Hercule et les chevaux de Diomède (v. 1640). On rapporte que Poussin admira ce tableau. Le Brun accompagna ce dernier à Rome en 1642 et y étudia pendant quatre ans grâce au soutien financier de Séguier. Un somptueux portrait équestre témoigne de la reconnaissance de Le Brun envers son premier protecteur.

Exécuté pendant le séjour de l’artiste à Rome, le tableau avait été attribué à Poussin. Coclès (507 av. J.-C.), neveu du consul Marcus Horatius Pulvillus apparaît dans la tradition romaine lors de la guerre qui opposa le roi Lars Porsenna, un Étrusque ami de Tarquin le Superbe qui va l’aider à remonter sur le trône de Rome. Il est seul à défendre le pont Sublicius donnant accès a la ville de Rome, en attendant que ses concitoyens s’affairent à saboter le pont. L’artiste souligne ici l’importance stratégique de ce pont en ajoutant à la scène de bataille le dieu fleuve étendu au premier plan. « Père Tibre, je te supplie respectueusement de recevoir ces armes et ce soldat dans un flot bienveillant » s’écrie Coclès.

Association professionnelle, l’Académie était en même temps conçue comme un forum ouvert aux débats historiques et surtout, comme une école pour la formation de jeunes artistes. La peinture d’histoire étant fondée sur l’étude du nu, des cours de dessin de modèles vivants furent mis en place. On y enseignait aussi l’anatomie et la perspective. Ainsi, le dessin et la théorie relevaient de la l’Académie, tandis que la peinture ou la sculpture continuaient à être enseignées dans les ateliers d’artistes particuliers, comme le voulait la tradition de l’apprentissage. La première note apparaissant dans le registre de l’Académie est signée du jeune Charles Le Brun (1619-1690), qui à vingt-neuf ans se retrouvait à la tête d’une institution dont les membres fondateurs étaient pour la plupart beaucoup plus âgés que lui : Philippe de Champagne, les frères Le Nain, La Hyre, Jacques Stella ; même Le Sueur et Bourdon étaient de trois ans ses ainés.

Le sujet est tiré des Métamorphoses d’Ovide. Dans la mythologie grecque, Polyxène fut une princesse troyenne aimée d’Achille lors de la guerre de Troie. Le tableau représente la fin malheureuse de Polyxène, immolée par les grecs à la mort de son époux. En haut, à gauche, le peintre a représenté le tombeau d’Achille. Achille et Polyxène fut aussi la dernière tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully, surintendant de la musique de Louis XIV.

Le Brun n’avait pas grand-chose en commun avec les artistes de l’atticisme parisien. Après une initiation à la manière de Vouet, il était directement parti à Rome – contrairement à la plupart de ces artistes -, et devait trouver un peu provinciaux les styles de La Hyre et de Le Sueur. Il ne partageait surtout pas leur quiétisme. Par ailleurs, son expérience directe des méthodes de Poussin et une étude minutieuse de Raphaël, que les autres ne connaissaient qu’à travers des gravures, durent lui conférer une certaine autorité : il était capable de peindre des toiles à la manière de Poussin, comme Le Frappement du rocher (1648-1650), qui dût paraître d’une « modernité » impressionnante. Ce sujet avait déjà été peint par Poussin, que Le Brun imite dans ce tableau exécuté peu après son retour de Rome.

Le Brun, peintre et Valet de chambre

Après son séjour de quatre ans à Rome, en 1647 Le Brun entre au service de Louis XIV comme « peintre et valet de chambre ». En 1660, il peint pour le roi Les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre qui vaut à l’artiste sa réputation de génie français de la peinture. En 1664, le monarque nomme Le Brun son Premier peintre. Il accumulera dès lors commandes et honneurs royaux. Alexandre, guerrier légendaire, qui fut le modèle du monarque au même titre que la figure du dieu romain Apollon, occupe une place centrale à la cour du roi. Comme tant d’autres artistes qui doivent mettre son talent au service de la propagande royale, les compositions de Le Brun ne sont uniquement de rappels de quelques épisodes célèbres de l’Antiquité, mais elles participent à la propagande d’État qui glorifie la monarchie et l’image du souverain. Les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre, dit aussi La Tente de Darius que Le Brun peignit à Fontainebleau à la demande de Louis XIV, est aussi son tableau le plus célèbre. Le roi en personne se rendait régulièrement dans son atelier après le souper pour suivre l’avancement du tableau, nouant ainsi une relation qui allait s’avérer précieuse ; Le Brun devait en fait toujours conserver un rapport personnel avec Louis XIV, jusque dans les dernières années de sa carrière qui, pour d’autres raisons furent difficiles. Les partisans de Le Brun virent dans Les Reines un véritable événement artistique : le jeune André Félibien composa même un livret (1663) pour en faciliter la lecture.

Le tableau représente la mère, la femme et les filles de Darius agenouillées devant Alexandre le Grand après sa victoire sur le roi de perse. Leur désarroi est d’autant plus grand que, trompées par sa robe rouge, elles se sont prosternées par erreur devant Héphestion, le compagnon d’Alexandre, et craignent d’avoir offensé le conquérant ; mais il leur pardonne cette méprise avec magnanimité.

Chacune des figures principales incarne une émotion ou une passion particulière – la crainte, l’étonnement, l’inquiétude, etc. – ce que Le Brun confirmera plus tard lors de sa célèbre conférence sur l’expression des passions à l’Académie, illustrée par plusieurs têtes tirées des Reines de Perse aux pieds d’Alexandre. En accordant cette méticuleuse attention aux passions, Le Brun considérait sans doute son tableau comme un manifeste : une démonstration de ce qui devait être la peinture d’histoire.

Le succès de cette toile incite le peintre à entreprendre un cycle monumental sur la vie d’Alexandre : L’Entrée d’Alexandre dans Babylone, Le Passage du Granique, La Bataille d’Arbèles et Alexandre et Porus. Les quatre peintures, de format monumental, furent présentées au Salon de 1673 et Louis XIV les intégra à ses collections.

Charles Le Brun : Les grands décors

Toujours grand et profond comme son siècle, dans le registre héroïque Le Brun avait peint les décorations de l’ambitieuse galerie d’Hercule à l’hôtel Lambert, remarquable par ses perspectives illusionnistes. Il bénéficiait toujours du soutien de son premier protecteur, le chancelier Séguier, et commença en 1658 à travailler pour un autre ministre de Mazarin, le surintendant de finances Nicolas Fouquet dans la décoration du château de Vaux-le-Vicomte qui vient de construire Louis Le Vau. Il dirige l’ensemble du chantier, fournissant des dessins pour les meubles, pour les tapisseries ou les statues. Dans le plafond du salon des Muses, son art se révèle bien dans les voussures, moins repeintes que le compartiment central : plus poétique qu’Annibal Carrache, moins glorieux que Pietro da Cortona. En 1661, la disgrâce de Fouquet n’empêche pas Louis XIV de garder à son service la brillante équipe réunie par le surintendant : Le Brun, La Fontaine, Le Nôtre.

Les décors de ce salon proviennent des deux plafonds peints pour l’hôtel de l’abbé La Rivière, place Royale (aujourd’hui place des Vosges). Il s’agit des plus anciens décors conservés du peintre.

Le décor de Versailles dans les années 1670, permet à Le Brun de montrer toute l’ampleur de son génie. Dans l’escalier des Ambassadeurs (1674-1678), il déploie un sens remarquable de la mise en scène, avec un plafond à la gloire de roi et des murs ornés d’un décor complexe de colonnades et de balcons en trompe-l’œil, dans lequel Le Brun représenta des visiteurs de tous les pays, admirant à la fois la véritable cour à leurs pieds et le plafond peint au-dessus d’eux. Malheureusement, nous ne pouvons nous représenter ce grand ensemble que d’après les dessins, les cartes et gravures de l’époque, car Louis XV le fit démolir en 1752.

La plus grande réalisation à Versailles de Le Brun fut sans doute le plafond de la galerie des Glaces (1679-1684). Le plafond permet de célébrer les actions militaires du roi dans sept grands panneaux, et les bienfaits de son gouvernement dans les médaillons. Il s’agissait de célébrer explicitement les triomphes du roi, depuis le début de son règne jusqu’à son apogée, culminant avec la paix de Nimègue (1678). Il choisit de mêler de figures réelles et allégoriques, combinaison qui n’est pas sans rappeler la série de tableaux peints par Rubens autour de la vie de Marie de Médicis, bien que les toiles de Le Brun sont plus sobres dans leur narration, et ne traitent que de la vie publique du monarque. Une utilisation savante du langage de l’allégorie permet une évocation directe des faits dans cette apologie qui est moins celle de Louis XIV que de la royauté. La galerie des Glaces est entièrement l’œuvre de Le Brun, depuis le dessin des torchères, l’utilisation des miroirs, jusqu’aux peintures de la voûte. Démontrait à quel point Le Brun maîtrisait non seulement l’art de la peinture mais aussi chaque aspect du décor.

Le Roi gouverne par lui-même fut projeté par Le Brun lorsque le projet initial représentant Hercule avait été refusé. Le Brun obéit au roi et abandonna la métaphore : il représente Louis XIV en personne mais sans renoncer à la richesse de la composition, alliant allégories et dieux. Le roi est au centre, assis sur son trône, tenant la barre de l’État dans sa main droite. Les trois Grâces autour de lui symbolisent les talents que le Ciel lui a accordés. Le visage du roi se reflète dans le bouclier de Minerve : Le Brun a donc habilement associé le symbole de la Prudence (le miroir) à la déesse tutélaire de cette vertu, Minerve, qui représente la sagesse royale. Elle montre au roi assis sur un nuage et lui tend la couronne d’immortalité : un cercle d’or surmonté d’étoiles. Il est également désigné par Mars, le dieu de la guerre, compris ici comme la valeur royale, démontrant que la gloire susceptible d’être obtenue par le roi « ne peut être obtenue que par sa sagesse (symbolisée par Minerve) et par son courage (symbolisé par Mars) ».

Les tapisseries du roi Soleil

Dès avant leur achèvement, les tapisseries destinées à l’usage et à la jouissance exclusives du roi en ses châteaux deviennent des idées platoniciennes dont toutes sortes d’images. Émanées d’elles, vont répandre l’influence auprès du public français et européen. Comme l’écrira en 1670 André Félibien : « Un des plus grands avantages que nous ayons aujourd’hui sur les Anciens, en ce qui regarde les arts, est celui de l’imprimerie et des graveurs. Ce sont des moyens merveilleux pour multiplier à l’infini un même discours, et faire voir l’image d’une même chose en divers lieux. » Félibien lui-même, membre de la Petite Académie et historiographe des Bâtiments et Manufactures du roi publie en 1665 « Les Quatre Éléments peints par M. Le Brun et mis en tapisseries pour Sa Majesté », description des cartons de Le Brun avec les devises latines qui figurent dans les bordures. Dès 1667, une nouvelle édition paraît encore augmentée cette fois de madrigaux, composés pour la plupart par Charles Perrault.

La réalisation de tapisseries est encouragée par d’importantes initiatives culturelles : la Petite Académie, entre les académies fondées ou revivifiées par Colbert, sans compter plusieurs institutions royales liées à la Surintendance, comme la manufacture des Gobelins, la Bibliothèque du roi et L’Imprimerie royale, installée au Louvre. La Petite Académie (qui avait pour secrétaire le principal collaborateur de Colbert, Charles le Brun) conçut le programme iconographique et littéraire de tapisseries à la gloire du roi ; Charles Le Brun, premier peintre du roi, directeur de l’Académie de peinture et de la manufacture des Gobelins (active à partir de 1662), s’est chargé de traduire ces « desseins » de lettrés en dessins d’artiste, que des peintres ont ensuite transposés en cartons ; les liciers des Gobelins ont exécuté les tapisseries. La technique de la tapisserie est assez raffinée pour parvenir à transposer le classicisme dans les draps moelleux du tissu.

---

Bibliographie

Chastel, André. L’art français III : Ancien régime. Flammarion. Paris, 1994
Fumaroli, Marc. L’École du silence. Flammarion. Paris, 1998
Gareau, M. Charles Le Brun, premier peintre du roi Louis XIV. Paris, 1992
Collectif. Charles Le Brun (1619-1690). Lienart, 2016
Thuillier, Jacques. La peinture française au XVIIe siècle. Skira. Genève, 1992