L’art à Florence vers 1480

La peinture florentine aux environs de 1480

Les environs de 1480 sont pour Florence des années de relative stabilité politique. Étouffés par la dure répression de 1478 les derniers sursauts anti-médicéens représentés par la conjuration des Pazzi, le régime personnel de Laurent le Magnifique s’affirme dans le consentement populaire et dans l’absence absolue de personnalités politiques capables de freiner l’évolution lente et inéluctable de la forme de gouvernement républicain en une véritable seigneurie, néanmoins respectueuse des magistratures et des institutions traditionnelles. En outre à cette période Florence connaît une intense activité artistique. Même si désormais elle n’est plus l’unique centre italien à exprimer l’art le plus progressif et le plus haut qualitativement (des centres comme Urbino et Mantoue sont en plein développement, alors que Venise avec les Bellini se prépare à sa plus grande saison, le XVIe siècle, et qu’à Rome les papes, mécènes de la fin du siècle, commencent ses entreprises artistiques qui feront de la ville le centre absolu de l’art italien au siècle suivant), elle est encore indubitablement le milieu où les débats artistiques sont les plus vifs. Après la disparition en 1466 du dernier représentant de la dernière génération des artistes de la Renaissance, Donatello, et la mort en 1469 du peintre le plus intéressant, Filippo Lippi, qui avait promu une forme picturale plus illustrative et ornée, Florence connaît l’activité d’Alessio Baldovinetti (1425-1499), d’Andrea del Verrocchio (1425-1488), d’Antonio (1432 env.-1498) et de Piero (1441-1496) Del Pollaiuolo, de Domenico Ghirlandaio (1449-1494), pour ne citer que les principaux.

Baptême du Christ, vers 1480, Andrea Verrocchio et Léonard
Baptême du Christ, détail des anges, vers 1480, Andrea Verrocchio et Léonard
(Florence, musée des Offices)

Le prestige incontestable de l’atelier de Verrocchio ont certainement pesé sur la décision de sieur Piero, le père de Léonard, d’y mettre son fils à apprendre l’art de la peinture. Ici les méditations de Léonard trouvèrent les instruments les plus adéquats pour leur représentation figurative. Il réalisera en effet son premier essai pictural dans l’espace mis à sa disposition dans le « Baptême » de Verrocchio.

Alesso Baldovinetti avait essayé d’introduire timidement à Florence la manière rigoureuse de Piero della Francesca dont il n’a cependant conservé que la solide structure géométrique dans la construction des figures. Pour le reste c’est un peintre plutôt délicat, proche de Filippo Lippi par son goût de la couleur et la réussite de ses motifs décoratifs. Les frères Del Pollaiuolo apportent à la peinture florentine une expression d’énergie et de force qu’ils rendent dans des figures athlétiques (comme l’Hercule et Antée de Offices et ses Nus dansants de la villa La Gallina près de Florence). Mais aussi quand ils peignent des œuvres de sujet religieux (le Retable des trois Saints à San Miniato al Monte), ils savent infuser au sujet une impression générale de vitalité. On retrouve ces caractéristiques dans leur sculpture et dans les rares exemples de leur orfèvrerie (comme le panneau de la Naissance de l’autel en argent de Saint-Jean-Baptiste) qui témoignent de leur versatilité artistique. Domenico Ghirlandaio a, au contraire une autre personnalité, illustrateur et narrateur savant, portraitiste habile, il est influencé par la veine naturaliste des flamands, représentés à Florence par l’Adoration des Bergers (ou Triptyque Portinari, aujourd’hui aux Offices), d’Hugo van der Goes, arrivée à Florence en 1478. Dans ses cycles de fresques (Vie de la Vierge et de saint Jean-Baptiste à Santa Maria Novella ; Vie de saint François à Santa Trinita) il nous introduit avec maîtrise dans la vie des plus illustres familles florentines de son époque et dans le milieu de la ville. Dans les retables, spécialement dans la l’Adoration des Bergers de Santa Trinita, l’influence flamande est évidente, dans la lumière limpide du fond, dans les paysages cristallins, dans certaines préoccupations réalistes de la physionomie des bergers. A côté de ces maîtres travaillent et s’imposent les jeunes artistes de la dernière génération du XVe siècle : Botticelli (né en 1455), Filippino Lippi (né en 1457), travaillant tous les deux dans l’atelier de frères Del Pollaiuolo; ils élaborent par la suite un style très personnel, plein d’une beauté formelle unie à une certaine mélancolie le premier, à des inventions fantastiques et complexes le second. Et enfin, Léonard de Vinci. Tel est donc le milieu varié et articulé dans ses personnalités et dans ses expressions artistiques que Léonard trouve à Florence quand il fait ses premiers essais d’artiste à l’école d’Andrea del Verrocchio.

Apparition de la Vierge à saint Bernard, 1486, Filippino Lippi
Apparition de la Vierge à saint Bernard, 1486, Filippino Lippi (Florence, La Badia)

Fils de Filippo Lippi et de Lucrezia Buti, Filippino suivi son père à Spolète en 1467-69 ; celui-ci, mourant, le confia à Fra Diamante. En 1472, il œuvrait avec Botticelli à Florence, d’où il ne bougea plus si ce n’est pour une période de travail à Rome de 1488 à 1493. Ses premières œuvres semblent très proches de celles de Botticelli. Vers 1484-85, il termina les fresques de la chapelle Brancacci al Carmine qui se conforment à la concision plastique de celles réalisées par Masaccio et révèlent aussi une heureuse veine de portraitiste. Une seconde phase de sa production commença en 1484 (le rapprochement avec Botticelli étant désormais terminée) qui se caractérise par une veine sentimentale plus chaleureuse, unie à un style descriptif alerte, tandis que les couleurs deviennent chaudes et profondes sous l’influence flamande. Dans l’Apparition de la Vierge à saint Bernard, Lippi expérimenta le rapport entre l’espace et les personnages sans l’intermédiaire des cadres architecturaux.

Dispute avec Simon le magicien et Crucifixion de saint Pierre, Filippino Lippi
Dispute avec Simon le magicien et Crucifixion de saint Pierre, 1481-1482, Filippino Lippi (Florence, Santa Maria del Carmine, chapelle Brancacci)
Autoportrait Filippino Lippi, Florence, fresques Brancacci
Autoportrait, 1481-1482,
Filippino Lippi
(Florence, Santa Maria del Carmine)

Les scènes représentées ici par Filippino Lippi correspondent aux deux derniers épisodes de la vie de saint Pierre peinte par Masaccio dans les années 1420 sur les murs de la chapelle Brancacci. A l’époque des premiers remaniements de la chapelle, lorsque Lippi fut chargé d’achever et de restaurer le cycle, aurait reproduit ces scènes sur l’unique paroi encore disponible. Parmi les personnages peints par Filippino Lippi citons : l’autoportrait de Filippino (visage tourné en direction du spectateur, à l’extrême droite de la fresque); des trois personnages figurant debout entre saint Pierre et Néron, le premier à droite serait Antonio del Pollaioulo. Enfin, dans la scène de la « Crucifixion de saint Pierre », c’est Botticelli qu’il faudrait reconnaître dans le personnage quasiment de face, parmi les trois hommes debout sur la droite.

Antonio Pollaiuolo et la représentation du nu en mouvement

De 1465 à 1480, l’activité artistique de Florence se trouve dominée par deux grands ateliers: celui des frères Pollaiuolo et l’autre, est l’atelier d’Andrea Verrocchio. Le premier d’entre eux est l’atelier de Piero et Antonio del Pollaiuolo, dont les œuvres se confondent souvent. Peintre et sculpteur, orfèvre et graveur, Antonio Benci, dit Pollaioulo où Pollaiolo (Florence vers 1431 – Rome 1496) réalise portraits, médailles et statues pour les Médicis et les grandes familles florentines, exécute fresques et cartons de broderie pour les églises et tombeaux pour les papes. Marquées par Donatello et Andrea del Castagno, ses œuvres s’orientent vers l’expression de l’effort musculaire et la recherche de mouvement. Il travaille la précision du modelé, s’attache à reproduire les tourments du corps et affectionne les motifs saccadés. En revanche, il semble influencé dans ses peintures par la peinture flamande, déployant sur le fond de ses compositions des paysages qui s’ouvrent en vastes horizons. Vers 1489, il passe, au dire de Lorenzo de Médicis, pour être « le principal maître de la cité et, selon les esprits éclairés, le meilleur sans doute qui ait jamais existé ». Si les artistes adaptaient leurs moyens aux commandes, les commanditaires pouvaient faire évoluer leur goût. L’année après avoir commandé sa petite chapelle à Gozzoli, Pierre de Médicis choisit un type de sujet différent pour une spacieuse salle du palais : trois grandes toiles représentant les travaux d’Hercule. Elles furent commandées à Antonio del Pollaiulo et, bien qu’elles soient perdues, on estime qu’elles sont fidèlement reflétées, sinon copiées, dans deux petits panneaux de l’artiste. Les nus anguleux de Pollaiuolo, aux membres noueux et tendus, sont placés devant des vues de la vallée de l’Arno. Le sujet est mythologique, dans un style probablement considéré alors comme néo-païen. Gozzoli et Pollaiulo ne sauraient guère différer davantage par le style, mais Pierre de Médicis savait que différents buts et différents lieux non seulement suscitaient, mais exigeaient des réponses artistiques différentes. Pollaiulo fut un novateur dans la représentation du nu masculin en action, notamment dans sa gravure « La Bataille des dix nus ». Avec Andrea Mantegna, il fut l’un des pionniers de l’art de la gravure en Italie, genre qui se situait dans le prolongement logique de sa formation d’orfèvre.

Hercule et Antée, années 1470, Antonio del Pollaiuolo
Hercule et Antée, années 1470, Antonio del Pollaiuolo,
(Florence, musée du Bargello)

Fort de son passé d’orfèvre, Pollaiuolo était apte à répondre à la mode des trente dernières années du siècle relative aux bronzes de petite taille. Les statuettes, souvent patinées pour ressembler aux bronzes antiques, étaient destinées aux connaisseurs. Le bronze « Hercule et Antée » prouve sa connaissance de l’anatomie (il pratiquait la dissection) et son habilité à représenter la violence physique et émotionnelle. Le groupe était déjà célèbre du vivant de l’artiste : Léonard de Vinci l’étudia et Michel-Ange en inséra un croquis sur une feuille illustrant la fonte du bronze. C’est l’une des premières apparitions d’un sujet mythologique en ronde bosse. L’artiste a placé les personnages face à face en un combat mortel, non pas comme dans l’art antique, mais tels qu’ils sont décrits dans la « Pharsale » de Lucain. La figure d’Hercule était importante pour les Médicis, en particulier pour Laurent, car il protégeait les pommes d’or du Jardin des Hespérides, assimilées aux « palle » (balles), emblèmes de la famille. La statuette figure dans l’inventaire de 1495 des Médicis.

Antonio del Pollaiuolo travailla à Florence au moment où l’on y approfondit les recherches sur le corps humain, que l’on explore par l’anatomie et que l’on représente de façon naturaliste dans sa tension émotive et dynamique maximale. Dans son œuvre picturale, Pollaiuolo rendit avec une rigueur formelle exceptionnelle, grâce à une ligne nette et tendue qui « anatomise » les corps et en détermine l’intégration dans l’espace, ses motifs préférés de mouvement, de lutte en de tension. Il faut voir, en ce sens, par exemple, le Martyre de saint Sébastien et les célèbres Travaux d’Hercule, réalisés en 1460 pour Pierre de Médicis, perdus mais dont il reste trace dans deux petits tableaux à Florence (Offices) et dans le petit bronze d’Hercule et Antée (Florence, Musée du Bargello). Les portraits sont également tendus et incisifs, par exemple le très beau Profil de femme de Musée Poldi Pezzoli de Milan.

Hercule et Hydre, vers 1475, Antonio del Pollaiuiolo
Hercule et Hydre, vers 1475, Antonio del Pollaiuolo (Florence, musée des Offices)
Bataille des dix hommes nus, vers 1470, Antonio del Pollaiuolo
Bataille des dix hommes nus, vers 1470, Antonio del Pollaiuolo
(Washington, National Gallery)

Antonio fut aussi un des premiers graveurs ; dans cette célèbre estampe il représente une des nombreuses et complexes allégories mythologico-morales dont la culture intellectuelle néo-platonicienne florentine est riche. Son style, déterminé surtout par la ligne, semble particulièrement mis en valeur par la nouvelle technique.

Portrait de dame, vers 1470, Piero del Pollaiuolo
Portrait de dame, vers 1470, Piero del Pollaiuolo (Milan, Museo Poldi Pezzoli)

Ce portrait réalisé vers 1470 appartient à une série de portraits réalisés par l’atelier des frères Antonio et Piero Pollaiuolo, aujourd’hui dans différents musées. Le modèle est une jeune femme montrée de profil, suivant la tradition antique de l’art du portrait. La tête est mise en valeur par une mince rangée de perles que lui descend jusqu’au front, alors que la coiffure très élaborée, est tournée légèrement vers le spectateur pour créer un effet plus sculptural. Les effets de lumière, qui est réfléchie sur les cheveux, les perles et la peau de la dame, créent une impression translucide soigneusement étudiée et indiquent l’influence de la peinture flamande. L’opulence vestimentaire et les bijoux indiquent que la dame doit avoir appartenu à l’aristocratie florentine du XVe siècle. D’ailleurs, une inscription qui a été effacée lors d’une restauration ancienne a identifié le modèle avec l’épouse du banquier florentin Giovanni de’Bardi.

L’atelier de Verrocchio

Le second atelier qui marque profondément les orientations artistiques de cette partie du siècle est celui de Andrea di Cione dit Andrea Verrocchio (1435-1488) qui tient son surnom, selon un usage de l’époque, de son premier maître, l’orfèvre Giuliano Verrocchio. Il travaille d’abord dans l’atelier de Donatello et devient rapidement le sculpteur attitré des Médicis. Pour eux, il réalise, en 1472 le tombeau de Pierre et Jean de Médicis, un sarcophage de bronze et porphyre, et reprend les motifs qu’on fait la célébrité de Donatello en traitant en 1476 David, réalisé en bronze, et, trois ans plus tard le Génie ailé, placé aujourd’hui sur la fontaine du Palazzo Vecchio. Le David de Verrocchio est fait pour être contemplé sous tous les angles et n’a pas la complexité anatomique ou le contenu psychologique de celui de Donatello. Élégamment vêtu, le David de Verrocchio est à l’opposé de la sensualité du David de Donatello, nu et vulnérable. La main droite tenant fermement une dague, la main gauche posée ostensiblement sur la hanche, il domine la tête de Goliath et fait partager son triomphe au spectateur. L’atelier de Verrocchio participe donc à ce climat poétique et naturaliste de l’académie de Careggi, où tous les arts sont d’abord influencés par la sculpture. A la vigueur tourmentée des frères Pollaiuolo, Verrocchio préfère l’équilibre des allures rêveuses de son David, le recours à l’ornement pour créer la solennité dans le monument des Médicis, ou encore la finesse pour traiter en terre cuite peinte, vers 1470, la Résurrection. Dans le domaine de la sculpture, son atelier rayonne au-delà de Florence. Il participe à la réalisation du Monument funéraire de cardinal Fortaguerri à Pistoia et, surtout, Verrocchio lui-même gagne le concours organisé pour le Monument équestre de Bartolomeo Colleoni, qui est seulement achevé et inauguré en 1496 par Alessandro Leopardi, et où tout est mis en mouvement. Avec le départ de Verrocchio et les frères Pollaiolo, la sculpture quitte Florence pour Rome après avoir été livrée à toutes les tendances de la fin du XVe siècle.

La Résurrection, vers 1470, Verrocchio
La Résurrection, vers 1470, terre cuite peinte, Andrea del Verrocchio, (Florence, Museo Nazionale del Bargello).

Pour l’ordonnance et le dessin des figures d’anges, la disposition et la forme du paysage, Verrocchio semble s’être inspiré de la « Résurrection » de Luca della Robbia au tympan de la porte de la sacristie de Santa Maria del Fiore. Mais chez Verrocchio, la puissance du réalisme est saisissante.

Putto avec dauphin, 1470, Andrea Verrocchio
Putto avec dauphin, 1470,
Andrea Verrocchio
(Florence, palais de la Seigneurie)

Cette sculpture qui permet de multiples points de vue, fut réalisée par Verrocchio pour une fontaine de la villa Médicis de Careggi. C’est un exemple précoce de la réapparition des fontaines antiques, où l’eau jaillit d’un tuyau placé dans la gueule du dauphin. Le putto décrit une arabesque précaire mais gracieuse au sommet d’une sphère incomplète, le corps en léger « contrapposto ».

Les portraits de femmes de Verrocchio glorifient des qualités différentes de celles des hommes et des enfants, mais obéissent en général aux mêmes règles. Ils portent rarement une signature, une date ou un nom, montrant par là qu’on n’éprouvait pas le même besoin de conserver le souvenir des femmes pour la postérité. Néanmoins, leur présence augmentait indéniablement le prestige de la famille. Bien que représentant un retour aux coutumes antiques, ces bustes n’ont pas grand chose de classique. Les femmes sont en général idéalisées et juvéniles (avant que le caractère n’ait façonné leur visage), vêtues à la dernière mode florentine. Leur front rasé, leurs sourcils épilés et leurs coiffures aux boucles délicates couronnées de diadèmes leur confèrent un air aristocratique et une plus grande uniformité que leurs homologues masculins. Vers 1470, tandis que le portrait peint de profil évoluait en une vue de trois-quarts, Verrocchio continuait à transformer le buste sculpté (Portrait de femme). Son modèle tient un petit bouquet de fleurs contre son sein ; représenté plus bas que la taille, les deux mains apparentes, elle semble communiquer avec le spectateur. Cette innovation radicale n’échappa manifestement pas à Léonard de Vinci, qui en exploita les possibilités et la luminosité dans ses portraits peints. Il existe une ressemblance prononcée entre cet portrait et la Ginevra de Benci de Léonard conservé à Washington : yeux écartés et mélancoliques, expression volontaire. Ginevra, épouse délaissée, qui possédait ces traits, écrivait des poèmes à l’humeur sombre et évoluait dans les cercles néo–platoniciens de Laurent de Médicis.

Portrait, Ginevra de Benci, Andrea Verrocchio
Portrait de femme (Ginevra de Benci?), 1475-1480, Andrea Verrocchio
(Florence, musée del Bargello)

Le tour de force technique du « Portrait de femme » est son drapé diaphane, en partie redevable à l’étude des drapés mouillés antiques et équivalent aux robes des trois grâces de Botticelli dans le « Printemps », exécuté à peu près à la même époque (l’une des grâces arbore une coiffure presque identique). En bref, le buste dépeint la beauté florentine idéale à la fin des années 1470. De tous les bustes de femmes, il est celui qui s’approche le plus de la gravité des portraits romains. La sculpture peut être aisément appréciée sous différents angles et les mains lui confèrent un caractère tridimensionnel que développera la Haute Renaissance.

L’œuvre et l’influence de Verrocchio, ne se résument pas toutefois à la seule sculpture. Son atelier qui forme deux des plus grands peintres de la fin du XVe siècle, Lorenzo di Credi et Leonardo da Vinci, agit profondément sur l’art italien. Vers 1470-1480, il peint le Baptême du Christ, où Leonardo da Vinci, pour la première fois, introduit la figure des deux anges qui tranchent, par leur modelé, avec le contour du Christ et de saint Jean-Baptiste. L’élève dépasse déjà le maître en intégrant de façon parfaite la forme dans l’espace et en inventant le lointain, porteur de rêve. Alors que Lorenzo di Credi ne parvient pas à dépasser les formes périmées du Quattrocento, poursuivant la recherche du fini, des couleurs lises et des formes polies, Leonardo da Vinci multiplie les expériences en participant aux travaux de la bottega où il acquiert une formation polytechnique. C’est en 1481 qu’il reçoit sa première commande – la seule grande peinture conservée de l’époque florentine -, l’Adoration des Mages pour les moines de San Donato à Scopeto. Appelé à la cour lombarde par Ludovico il Moro, Leonardo quitte Florence cette année-là pour Milan, où il s’établit. Son départ de la cité du Lys marque un tournant dans l’histoire de l’art italien.

Baptême du Christ, Andrea Verrocchio et Léonard, Florence, Offices
Baptême du Christ, Andrea Verrocchio et Léonard
Baptême du Christ, vers 1480,
Andrea Verrocchio et Léonard
(Florence, musée des Offices)

Déjà dans son premier essai pictural, précisément l’ange de gauche et le paysage que lui sert de fond, Léonard montre une certaine maturité technique (c’est-à-dire la maîtrise des moyens expressifs, dans ce cas le dessin et la couleur) et formelle. Nous voyons en effet que ces deux détails se différencient considérablement du reste du tableau. Le palmier rigide et d’aspect presque métallique sur la gauche, la figure du Christ, celle de saint Jean-Baptiste n’ont rien en commun avec cet adolescent dont le profil est caressé et modelé par la lumière réfléchie aussi dans ses longs cheveux ondulés, ni avec le vaste paysage qui s’ouvre juste au-dessus de la tête des anges. Cette vision de la nature est beaucoup plus complexe que les paysages schématiques auxquels la peinture florentine du XVe siècle était habituée : une rivière serpentant dans une vallée ponctuée de cyprès et de peupliers stylisés. Là, chaque forme sert à mesurer l’espace qui devait être habité par l’homme, ici, il n’y a aucune limite et on sent la respiration d’une nature très étendue qui attend d’être étudiée et découverte. On doit par conséquent remarquer l’entière nouveauté de la peinture de Léonard en comparaison avec la manière de son maître et de ses collaborateurs.

Porté au Quattrocento par le mécénat des Médicis et du patriciat, l’art qui s’épanouit à Florence pour en faire le berceau de la Renaissance connaît à la fin du XVe siècle de nouvelles conditions. A la sérénité qui préside aux créations succède une crise fondamentale qui affecte autant le domaine politique que la pensée religieuse. Elle débouche sur l’expulsion des Médicis en 1494. Le centre de gravité de la culture passe de Florence à Rome qui redevient sous l’impulsion de Jules II « capitale du monde »; mais des villes comme Milan et Venise constituent des creusets privilégiés où se forme un nouveau style. Il doit beaucoup à des hommes comme Michel-Ange ou Léonard, ayant reçu leur éducation à Florence mais qui, par leurs choix artistiques n’appartiennent pas au XVe siècle.

L'Adoration des Mages, Léonard de Vinci
L’Adoration des Mages et détail de l’autoportrait présumé, 1481,
Léonard de Vinci (Florence, musée des Offices)

Ce tableau fut commandé à Léonard pour orner le maître-autel de l’église Saint-Donat de Scopeto, dans les environs de Florence. Cependant l’artiste ne termina jamais l’œuvre qui resta à Florence quand il partit à Milan en 1482. Autour de la Vierge et de l’Enfant la foule de ceux qui s’approchent de la Sainte Famille pour l’adorer est disposée en demi-cercle. Des types physionomiques de tous les âges y sont représentés et parmi ceux-ci de jeunes à cheval. Ces animaux, comme cela arrivera toujours plus souvent chez Léonard, semblent participer aux sentiments humains. Sur le fond, autour des ruines d’un palais dont les marches claires paraissent presque irréelles, se déroule un cortège de figures à pied et à cheval; à l’extrême droite il a représenté un combat équestre dont la signification reste cependant obscure. Les deux arbres au centre, le palmier et le chêne vert, sont comme les axes autour desquels se dénoue en spirale toute la représentation, qui apparaît insérée entre la figure d’un vieillard méditatif sur la gauche et celle d’un jeune homme (qui indique le groupe de la Vierge et de l’Enfant) à l’extrême droite.