Katz et la peinture simplifiée
Alex Katz est un peintre et graveur new-yorkais contemporain, spécialisé dans les portraits et les paysages audacieusement simplifiés. Bien qu’influencé par les artistes de la Scène américaine et par divers éléments du modernisme européen et américain, il a évité de s’affilier à un groupe ou à un mouvement. En grande partie, l’œuvre de Katz réside dans le dialogue fascinant qu’il a développé entre le réalisme et les tendances plus abstraites du modernisme. Ses paysages à l’échelle héroïque et ses compositions figuratives rappellent les derniers Nymphéas de Monet, les compositions de l’expressionnisme abstrait et les panneaux de bord de route. Rendues dans des couleurs franches et plates avec peu de détails, ses toiles créent une double affirmation du motif et de la surface peinte. Sa technique doit beaucoup à la netteté de l’art commercial et de l’illustration, et cette caractéristique, ainsi que sa description sommaire de sujets contemporains, s’inscrivent dans le pop art. À l’instar d’Andy Warhol qui a fait d’une boîte de soupe Campbell un symbole immédiatement reconnaissable, Alex Katz a transformé le cercle de sa famille et de ses amis en icônes visuellement saisissantes. Son retour répété à des sujets qu’il affectionne, tels que sa femme Ada, les baigneurs au bord de la piscine et les paysages tranquilles du Maine, font de son œuvre une célébration sans fard du quotidien de l’Amérique de la classe moyenne.
Alex Katz affirmait que son art était une question de « surface », ce qui peut se comprendre à la fois par son penchant pour les aplats de couleurs et les lignes épurées, et par le fait que son imagerie n’est pas particulièrement complexe d’un point de vue psychologique. Les œuvres de Katz font le lien entre les traditions de l’abstraction et de la figuration. Par exemple, son choix d’une échelle monumentale intensifie les lignes, les contours, les couleurs, les formes et sa technique, de sorte que ces éléments formels équilibrent le sujet figuratif.
Alex Katz : Premières années
Alex Katz est né dans le quartier de Sheepshead Bay à Brooklyn en 1927 et a grandi à Saint-Albans, dans le Queens à New York. Il commence à dessiner dès son plus jeune âge avec son père, un homme d’affaires, et sait qu’il veut étudier exclusivement l’art lorsqu’il entre à la Woodrow Wilson High School. Bien que sa mère, une ancienne actrice, craignait qu’une carrière artistique ne mène à une vie difficile pour son fils, la famille d’Alex a encouragé ses aspirations. Nombre de leurs amis étaient des peintres et ils conservaient une collection de peintures abstraites de l’avant-garde russe. Au cours de ses études secondaires, Alex Katz étudie la création publicitaire, mais il préfère dessiner des moulages d’antiquités. Il visite le Musée d’art moderne de New York pour la première fois et se souvient d’avoir vu des peintures de Piet Mondrian : « J’ai beaucoup aimé Broadway Boogie Woogie. J’ai trouvé cela absurde la première fois que je l’ai vu, parce que pour moi, c’était comme du jazz ». En 1949, Katz reçoit une bourse pour étudier à la Skowhegan School of Art dans le Maine, où il apprend la peinture en plein air avec Henry Varnum Poor. La peinture en plein air apprend à Katz à peindre d’après nature et de façon spontanée, ce qui confère à son coup de pinceau une liberté et une immédiateté semblables aux qualités qu’il admire dans les compositions de Jackson Pollock. Ses premières peintures représentent des arbres sur un fond lumineux, mettant l’accent sur des sensations plutôt que sur un rendu exact du paysage. Ces œuvres ont été exposées lors de sa première exposition personnelle à la Roko Gallery en 1954, ainsi que lors d’une exposition conjointe avec Lois Dodd à la Tanager Gallery. Four Children (c. 1952) est l’une des premières incursions de Katz dans la peinture figurative. Il se soucie peu des détails, se concentrant plutôt sur la couleur et la forme. Les figures immobiles aux contours nets sont des formes simplifiées, presque abstraites. Grâce à ces expositions, Alex Katz est introduit dans le milieu artistique de la 10e Street Galleries (une coopérative de galeries d’art gérées par des artistes dans les années 50 à New York) et découvre les œuvres de Nell Blaine, Jane Freilicher et Larry Rivers. Impressionné par leur style figuratif « ouvert », Katz commence à peindre de la même manière. L’œuvre Four Children, s’inspire d’une photographie mais ne se soucie guère d’une représentation réaliste. Ce travail incite Katz à envisager le développement d’une approche moderne de la peinture figurative, qui est alors considérée comme démodée.
L’œuvre Art School, une étude à l’huile basée sur une photographie, représente Alex Katz (à droite) parmi des amis à l’école d’art de Skowhegan dans le Maine, où il a passé l’année académique 1949-50 et où il est revenu plus tard pour enseigner pendant les sessions d’été de 1963 et 1965. Représentative de la première période de figuration abstraite expressive de Katz, Art School révèle à la fois ses méthodes de travail et ses influences – notamment Milton Avery – tout en suggérant l’œuvre contemporaine de Richard Diebenkorn. Espérant trouver un équilibre entre le traditionnel et le contemporain, Katz décide de se concentrer sur le portrait et développe son style de peinture en combinant des techniques traditionnelles, sa formation moderniste et ses expériences de peinture directe.
Alex Katz et son modèle, Ada
En 1957, Alex Katz rencontre Ada del Moro lors d’un vernissage à la Tanager Gallery de New York. Ils se marient l’année suivante et Ada devient le sujet le plus fréquent de ses peintures. À cette époque, Katz a développé son style de maturité, peignant ses portraits en opposition directe à la peinture gestuelle de l’Action Painting. Peignant à la fois à New York et dans le Maine, ses sujets vont des portraits aux scènes de loisirs estivales, en passant par des motifs paysagers simplifiés, et présentent généralement une certaine planéité due à l’utilisation de blocs de couleurs et à l’apparition occasionnelle de lignes de contour visibles. Les collages, commencés en 1955, accentuent encore la distance entre son propre style et l’expressionnisme abstrait en utilisant un format étonnamment petit et des formes soigneusement découpées, comme dans Ada in the Water (1958). Constatant un décalage dans la relation entre le sujet et le sol, en 1959 Alex Katz commence à utiliser des découpes pour disposer des figures sur des morceaux de bois, un concept qui se développe en une série de « sculptures » plates, ou portraits autonomes dans l’espace réel. Katz a créé cette œuvre avec des papiers soigneusement colorés à la main et découpés en formes précises. Ici, Ada pose dans un paysage comme une photographie en grand angle, un format que Katz a souvent utilisé dans sa phase de maturité.
Le découpage est l’une des contributions de Katz à l’art contemporain. L’idée d’isoler la figure lui est venue à l’origine des tableaux ratés où, insatisfait de l’arrière-plan, il retirait la figure de la composition pour en placer d’autres. Le portrait grandeur nature du poète américain Frank O’Hara présente des similitudes avec les débuts du pop art dans son approche apparente d’un élément tel qu’une enseigne peinte ou une figure photographique de supermarché dans un contexte artistique. Il préfigure les statues moulées grandeur nature de George Segal (que Katz connaissait grâce à la Hansa Gallery), et les sculptures hyperréalistes de Duane Hanson. O’Hara était un défenseur de Katz, qu’il décrivait comme « un peintre cool ». Au fil des ans, Katz a continué à explorer cet hybride de peinture et de sculpture, présentant tantôt des groupes de personnages, recadrés ou en pied, tantôt des motifs plus complexes, comme un couple en train de faire du canoë, extraits de ses peintures antérieures.
Lorsqu’en 1957 Ada et Alex Katz se sont rencontrés, Katz a déclaré à propos de cette rencontre, qu’Ada était « déjà une légende du monde de l’art », bien qu’elle ait dit qu’elle était « timide à l’idée d’entrer dans les galeries », et que « ce dont je me souviens de notre rencontre, c’est que j’étais assise, les mains sur les genoux, et que ce type qui m’intéressait regardait mes yeux, mes oreilles, mes épaules. Tout cela était très sensuel. Je ne pensais pas pouvoir le supporter. Mais ensuite, c’est devenu une chose qu’il faisait. J’étais assise et il peignait, et c’était tout ». The Black Dress montre Ada vêtue d’une petite robe noire et répétée dans une variété de poses. Les vues multiples de la composition impliquent ses nombreuses facettes, mais agissent également comme un substitut de la tridimensionnalité, tout comme la danse des Trois Grâces dans l’art classique. La séquence de poses rappelle également la photographie en stop-motion, ou les vues simultanées cubistes et futuristes à partir de perspectives multiples. Pourtant, Ada ne bouge pas. Ici, chaque pose est séparée, immobile et fixée comme un portrait individuel ou comme des poupées de papier séparées. Ada pose habillée comme s’il s’agissait d’un vernissage regardant un tableau accroché au mur. Sa robe noire et ses poses raffinées sont similaires à celles de Jacqueline Kennedy Onassis, comme le poète Frank O’Hara a dû le remarquer lorsqu’à cette l’époque il nommé Ada la « première dame du monde de l’art ».
Ada était la pierre angulaire de la pratique du portrait de Katz, et ses traits, explorés pendant de nombreuses années, révèlent à la fois la cohésion et l’évolution de sa carrière ; elle est également devenue une sorte d’icône abstraite dans l’art de Katz. Le tableau Red Smile (Sourire rouge) de 1963 en est un exemple. Dans les années 1960, Katz a commencé à produire des peintures inspirées par l’esthétique de la publicité commerciale, du cinéma et de la télévision, démontrant ainsi le parallèle entre son travail et le mouvement pop art naissant. Red Smile, l’un de ses plus grands portraits (mesure près de trois mètres), la composition ressemble à un panneau d’affichage ou à un gros plan au cinéma. La vue recadrée d’Ada sur le côté droit, avec sa peau pâle, ses vêtements et les détails linéaires du visage, de sa chemise et de ses cheveux, est équilibré par l’étendue audacieuse d’un rouge plat sur le côté gauche. Le fond rouge semble caresser le contour de son visage, et cette caractéristique, ainsi que le sourire éclatant, expriment l’univers captivant de l’art de Katz.
Les médias et la culture commerciale jouent un rôle important dans l’œuvre de Katz des années 1960, qui s’inspire du cinéma, de la télévision et des panneaux publicitaires. Le sens dramatique de Katz s’exprime aussi dans la conception de costumes et de décors qu’il réalisa pour le chorégraphe Paul Taylor à partir du début des années 1960, ce qui culmine dans l’intérêt qu’il porte depuis toujours à la musique et à la danse. Alex Katz a également commencé à réaliser des portraits de groupe, qui ont continué à dominer son œuvre tout au long des années 1970. Utilisant les gens qui l’entourent comme modèles, ces peintures constituent une fascinante histoire sociale de son cercle d’artistes, de poètes, d’écrivains et de critiques.
Attiré par les possibilités offertes par le contraste entre la lumière et l’obscurité, il s’est également lancé dans une série de peintures urbaines nocturnes qui créent une atmosphère similaire aux paysages urbains isolés d’Edward Hopper. L’œuvre de Katz a été reconnue par le Whitney Museum of American Art, qui a organisé sa première grande rétrospective en 1986. Malgré ce succès, Katz s’est efforcé de continuer à se remettre en question sur le plan artistique en explorant différents sujets, couleurs, textures et effets de lumière.
Katz contemporain
Aujourd’hui, l’art d’Alex Katz est représentatif d’une acceptation heureuse du réalisme face à des mouvements qui remettaient en question les fondements de cette tendance. Le monde de l’art des années 1990 et au-delà, n’était plus attaché aux règles et aux attentes de l’héritage moderniste, ce qui a suscité un plus grand intérêt pour son art. L’accent mis par Katz sur l’iconique – ou même l’amusant – plutôt que sur l’expressivité, et sa mise en avant de la « surface des choses » ont attiré de jeunes artistes. Elizabeth Peyton, qui réalise des portraits idéalisés de célébrités, s’est inspirée de Katz. Et le peintre et photographe Richard Prince, s’est intéressé au style commercial et à l’ambiguïté de l’art figuratif de Katz. Autrefois tourné en dérision par le critique Clément Greenberg, plusieurs écrivains et collectionneurs de renom promeuvent aujourd’hui activement l’art de Katz, dont l’influence ne cesse de croître. Alex Katz est admiré pour son aura « cool », qui se manifeste par le bien-être simple de ses personnages, ainsi que par la forte individualité de l’artiste et sa distinction par rapport aux mouvements qui ont dominé l’art de la fin du 20e siècle.
Aujourd’hui, Alex Katz conserve encore son atelier à SoHo, New York, dans l’immeuble de la coopérative d’artistes où il vit et travaille depuis 1968.
Bibliographie
Collectif. Alex Katz. Phaidon Press, 2006
De Chassey, Eric. Alex Katz: An American Way of Seeing. Kerber, 2010
Carter Radcliff. Alex Katz. Rizzoli Electa, 2020
Collectif. Alex Katz. Cat. Exp. Fundación Thyssen Bornemizsa, 2022
Collectif. Alex Katz. Cat. Exp. Guggenheim Museum, 2022